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Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev arrive pour sa rencontre avec son homologue serbe dans le cadre de sa visite officielle en Serbie, le 23 novembre 2022.
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev arrive pour sa rencontre avec son homologue serbe dans le cadre de sa visite officielle en Serbie, le 23 novembre 2022.
©OLIVER BUNIC / AFP

Fermeté

Le Parlement français a demandé au gouvernement d'envisager, avec ses partenaires européens, "les réponses les plus fermes" à l'égard de l'Azerbaïdjan et d'"exiger son retrait immédiat du territoire arménien".

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie.

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Ce mercredi 30 novembre, l’Assemblée nationale a adopté sans surprise une résolution « visant à exiger la fin de l’agression de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie et à établir une paix durable dans le Caucase du Sud ». Cette nouvelle résolution vient après celle adoptée par le Sénat le 15 novembre. Ces deux textes réitèrent, en les durcissant, ceux déjà adoptés par les deux chambres à la fin 2020, après l’attaque et la conquête de larges portions du territoire de la République autodéterminée du Karabagh par le régime de Bakou. Cette fois-ci cependant, les parlementaires des deux chambres se sont souciés au moins autant du sort de l’Arménie proprement dite que de celui du Karabagh, après que l’Azerbaïdjan s’en est pris au territoire souverain de la première.

Les votes de ces résolutions frappent par leur unanimisme transpartisan. La résolution du Sénat a été adoptée par 295 voix pour, 1 contre et 15 abstentions tandis que celle de l’Assemblée nationale a bénéficié de 256 voix sur 256. De la NUPES au Rassemblement national en passant par Renaissance et les Républicains, l’Arménie semble être devenue une cause sacrée. Et si les Verts se sont abstenus lors du vote au Sénat, c’est parce que le texte adopté invite « le Gouvernement [à envisager] le renforcement des capacités de défense de l’Arménie en vue d’assurer son intégrité territoriale », une politique de soutien militaire à l’étranger à propos de laquelle les Verts français se sont alignés sur leurs homologues allemands pour refuser toute intervention de ce genre.

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Les considérations électorales ne sont évidemment pas étrangères à cet élan de soutien envers ce peuple martyrisé du Caucase mais il convient néanmoins de discerner des causes plus larges à un tel niveau de solidarité. Si celles-ci peuvent bien sûr différer d’une sensibilité politique à l’autre, il en est une qui leur est sans doute commune et de nature à susciter la mobilisation personnelle des élus toutes tendances confondues : l’ampleur et le caractère révulsant des crimes perpétrés par le régime de Bakou à l’encontre des Arméniens, qu’ils soient du Karabagh ou d’Arménie. Des vidéos fièrement enregistrées par les bourreaux eux-mêmes et allègrement diffusées sur les réseaux sociaux attestent des meurtres barbares qu’ils ont opérés sur des civils comme sur des prisonniers de guerre, fusillés ou égorgés vifs ou atrocement mutilés. Ces exactions et les destructions sauvages du patrimoine arménien des régions conquises par la soldatesque azerbaïdjanaise n’ont rien à envier à celles de l’Etat islamique en Syrie. Du reste, la résolution du Sénat prend soin de mentionner un rapport inhabituellement critique adopté le 30 août dernier par le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale qui pointe la politique raciste de l’Azerbaïdjan envers les Arméniens et notamment l’éducation à la haine des enfants.

Au-delà cependant de ces atteintes aux valeurs humanistes, deux autres lignes de force s’expriment à travers cette condamnation de l’Azerbaïdjan. Du côté des Républicains d’une part, la défense des Chrétiens d’orient. Procédant par analogie, et face à un Islam conquérant qu’elle considère comme un danger létal pour la civilisation européenne elle-même, une fraction croissante de la droite vient à considérer les Arméniens chrétiens comme l’avant-poste de l’Occident face à l’Islam. Des personnalités comme l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson, le directeur adjoint du Figaro Jean-Christophe Buisson ou le sénateur Bruno Retailleau – qui tous ne ménagent pas leurs efforts pour soutenir les Arméniens – sont particulièrement illustratifs de cette tendance. Le Président du groupe républicain au Sénat – par ailleurs Président du groupe Chrétiens d'Orient et Président du Groupe d'information internationale sur le Haut-Karabagh – a en effet joué un rôle moteur dans l’adoption du texte de la Chambre haute, d’où l’absence de groupe parlementaire de la majorité présidentielle a permis l’adoption d’un texte plus dur. Même si le facteur religieux joue un rôle mineur dans une agression surtout motivée par l’impérialisme territorial d’un pouvoir ultranationaliste, on ne doit cependant pas sous-estimer son instrumentalisation par le régime de Bakou qui n’a pas hésité à employer pour ses sales besognes des mercenaires djihadistes importés du Proche-Orient via la Turquie. Ce soutien de la Turquie et des djihadistes avait été dénoncé dès octobre 2020 par le Président Macron lui-même.

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Aussi, le succès de ces résolutions parlementaires doit-il beaucoup à cet autre facteur qu’est l’alignement croissant de l’Azerbaïdjan sur des puissances hostiles aux démocratie libérales. Si l’Elysée a – à tout le moins – laissé faire, c’est parce que la France est de plus en plus préoccupée par l’expansionnisme agressif de la Turquie – dont l’Azerbaïdjan est politiquement parlant une excroissance territoriale. Cette préoccupation qui est en vérité celle de toute l’Europe – et même de l’OTAN comme en atteste le chantage aux Kurdes exercé par Ankara au sujet de l’adhésion de la Finlande et de la Suède – est particulièrement prégnante en France chez tous ceux qui ont conservé et une vision géopolitique des relations internationales, et une certaine ambition régalienne pour la France. D’Emmanuel Macron à Laurent Wauquiez, de Bruno Retailleau à Edouard Philippe, le soutien aux Arméniens s’accompagne d’une véritable inquiétude quant à la menace turque. En lançant son nouveau parti Horizons, l’ancien Premier Ministre a ainsi explicitement lié « ce qui se passe en Arménie, c’est-à-dire si loin de chez nous » à ce qui est « important pour nous parce que c’est d’une certaine façon notre sécurité qui est en jeu ». Et d’établir une relation directe entre « la volonté du président Erdogan de prendre une revanche sur l’Histoire et de rétablir les fondements de la puissance ottomane » et la nécessité de « continuer l’effort de défense français ».

Mais si le régime de Bakou est aussi voué aux gémonies par les législateurs français, c’est sans doute parce qu’il sabote littéralement les sanctions imposées à la Russie – du reste en connivence avec Ankara – en important du gaz russe afin de réserver le peu de gaz azerbaïdjanais qu’il reste au marché européen. Cette stratégie de vases communicants – qui fait de l’Azerbaïdjan l’obligé de Moscou – a non seulement pour conséquence de permettre au Kremlin de contourner les sanctions européennes, mais conduisent certains pays de l’Union européenne – notamment l’Allemagne et l’Italie – à se retrouver otage d’Aliev et d’Erdogan en sus de Poutine. Comme l’a souligné Emmanuel Macron sur France 2 ce 12 octobre, La France, dont les ressources énergétiques sont autres, s’inquiète à juste titre de cette dépendance envers des régimes hostiles aux démocraties européennes.

C’est peut-être pourquoi l’Elysée n’a pas fait montre d’hostilité aux résolutions du Sénat et de l’Assemblée nationale qui invitent le gouvernement à « œuvrer avec détermination pour que le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations unies saisisse la Cour pénale internationale au sujet de l’agression de l’Azerbaïdjan » et « tirer toutes les conséquences diplomatiques et économiques de ces nouvelles agressions et à envisager, avec ses partenaires européens, les réponses les plus fermes appropriées – y compris la saisie des avoirs des dirigeants azerbaïdjanais et un embargo sur les importations de gaz et de pétrole d’Azerbaïdjan – pour sanctionner l’agression militaire menée par les forces azéries sur le territoire de la République d’Arménie, en violation de sa souveraineté ».

Dans ce contexte, les dénégations du Quai d’Orsay – assurant que « cette initiative parlementaire ne représente pas une position officielle du gouvernement » – sonnent faux. Car on ne peut croire que plus de cent parlementaires de la majorité présidentielle auraient voté le texte de l’Assemblée nationale si l’Elysée s’y était opposé. De deux choses l’une alors : ou bien il existe au Quai d’Orsay cet « Etat profond » qu’avait d’ailleurs justement dénoncé le président Macron et qui se soustrairait à toute autorité démocratiquement élue, ou bien – et plus probablement – le Quai parfaitement informé de la démarche soutenue par l’Elysée allume, en concertation avec la Présidence, un contrefeu uniquement destiné à préserver un canal de dialogue avec l’Azerbaïdjan.

Quoi qu’il en soit, ces demandes de sanctions constituent peut-être le prélude à une démarche politique et judiciaire visant à inclure ces pratiques de contournement opérées par Bakou dans la liste des « eurocrimes » au sujet desquels l’Union européenne va tenter de se doter d’un arsenal législatif répressif commun. A cet égard, la défense politique de l’Arménie et des Arméniens prendrait une coloration géostratégique renforcée qui s’ajouterait à son évidente dimension morale.

Laurent Leylekian

Analyste politique

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