L’arbre HSBC qui cachait la forêt des vices de bien des banques : le vrai-faux des accusations contre les banquiers<!-- --> | Atlantico.fr
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La banque HSBC aurait organisé un système d'évasion fiscale.
La banque HSBC aurait organisé un système d'évasion fiscale.
©Reuters

Entre réalités et fantasmes

Les dirigeants de HSBC ont à plusieurs reprises présenté leurs excuses pour le système d'évasion fiscale de grande ampleur mis en place par la banque suisse, mais n'envisagent pas de démissionner. Immersion dans le monde bancaire.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est professeur affilié de Finance à l’université Paris-Dauphine.

Il est auteur ou co-auteur de plus d’une dizaine d’ouvrages dédié à la finance. Il est notamment l'auteur de Les paradis fiscaux (Sefi, mai 2011) et de plsuieurs ouvrages sur les hedge funds.

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Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est Docteur en Sciences de Gestion et professeur émérite en finance à HEC ainsi que Président du Club Finance HEC qui réunit plus de 300 professionnels de la finance.

Il est  également consultant auprès de grandes banques et d'organismes internationaux et travaille dans le domaine du "private equity" à travers un fonds d'amorçage dédié aux "start-ups".

Il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Les meilleurs pratiques de l'entreprise et de la finance durables, à l'automne 2010.

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Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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7 ans après après le déclenchement de la crise économique de 2008, certaines pratiques bancaires douteuses alors mises en lumière continuent d'alimenter l'actualité, ainsi que l'indignation collective. Dernièrement, la révélation d'un système optimisé pour l'évasion fiscale des clients de la banque HSBC à grande échelle - affaire plus communément appelée "Swissleaks" - a fait ressurgir l'idée que les banques sont des entités amorales qui se considèrent au-dessus des lois. Même si elles sont loin d'être en tous points innocentes, certaines accusations récurrentes peuvent en toute raison être nuancées. Ci-dessous, la liste des griefs couramment retenus contre les banques :

  • "Les banques sont au cœur de l'évasion fiscale et organisent celle de leurs clients"
  • "Les banques ont recours à des dispositifs qui leur permettent de contourner les lois nationales"
  • "Malgré des disponibilités importantes, les banques n'accordent pas suffisamment de crédits"
  • "Les banques se sont éloignées de leur métier en se déconnectant de leurs clients et de leurs besoins. Elles ne participent plus à l'économie réelle"
  • "Les banques pratiquent des frais bancaires excessifs, et trompent leurs clients avec des politiques de prix peu compréhensibles"
  • "Les banques luttent inefficacement contre les fraudes aux cartes bancaires"
  • "Les banques manipulent des taux comme le Libor, ceux des matières premières, des métaux, avec des conséquences catastrophiques pour les populations"
  • "Au plus haut du risque de faillite grecque en 2010, les banques ont transféré les risques de leurs créances aux Etats."
  • "Les banques n'hésitent pas à créer des produits financiers qui leur profitent en desservant leurs clients"

1. "Les banques sont au cœur de l'évasion fiscale et organisent celle de leurs clients"

Jean-Michel Rocchi : Les banques françaises sont peu actives en matière d’évasion fiscale, d’une part certaines banques étrangères sont beaucoup plus agressives sur le marché, d’autre part plusieurs filiales suisses de banques françaises sont à vendre à Genève, en attendant il faut bien les gérer.

Par rapport à la France, tous les pays du monde sont des paradis fiscaux car c’est dans l’hexagone que l’on paye le plus d’impôt dans le monde (Forbes a cessé de publier le Tax Misery Index où nous étions toujours 1er !).

Les choses sont en fait assez différentes. De nombreux Français fuyant l’enfer fiscal hexagonal, les banques françaises ont essayé via certaines de leurs filiales étrangères (notamment suisses) de les conserver comme clients. Souvent les Français n’ont pas confiance dans les filiales étrangères des banques françaises et préfèrent les banques locales. Les fiscalistes déconseillent d’ailleurs aux exilés fiscaux d’ouvrir des comptes dans les filiales étrangères des banques françaises. Ce bon comportement des banques françaises est donc plus subi que le reflet d’une éthique particulière qui justifierait l’admiration. Certes le phénomène n’est pas nouveau, déjà au XIXe siècle Balzac écrivait dans La Maison Nucingen : "Tu as mis le doigt sur la plaie de la France, la Fiscalité qui a plus ôté de conquêtes à notre pays que les vexations de la guerre". Le problème c’est que les choses s’aggravent constamment dans le pays.

Nous sommes le seul pays du monde à avoir poussé aussi loin un business model fondé sur ce que j’appellerai de manière lapidaire mais sans exagération "l’exportation des riches et l’importation des pauvres". C’est non seulement économiquement imbécile mais proprement suicidaire. Le résultat c’est que le PIB par habitant baisse, ou si l’on préfère : les Français s’appauvrissent. 

Bernard Marois :Les banques ont effectivement eu tendance à vouloir anticiper les désirs de leurs clients, ce qui est condamnable moralement comme légalement. Une des fonctions des banques est de transférer des fonds pour le compte d’entreprises ou de particuliers. Que ces fonds soient la contrepartie d’opérations commerciales, ou des transferts unilatéraux, la mission principale d'une banque est avant tout de satisfaire ses clients. Ce qu’on peut leur reprocher, c’est effectivement d’avoir pu inciter leurs clients : On a pu voir dans certains cas (comme HSBC ou UBS) que des banques organisaient un dépassement de la ligne jaune à une échelle commerciale. Cependant, les règlementations et les différentes entreprises d'harmonisations entre Etats ont eu pour conséquence de réduire fortement ces pratiques.

2. "Les banques ont recours à des dispositifs qui leur permettent de contourner les lois nationales"

Jean-Michel Rocchi : En France on a tendance à oublier que nous ne sommes ni dans un pays totalitaire, ni soviétique, et que les banques ne sont pas au service des Etats mais de leurs clients qui ont droit à une obligation de loyauté et de défense de leurs intérêts. Néanmoins deux cas très différents sont à considérer :

  • L’optimisation fiscale: il est de l’intérêt des clients de payer le moins d’impôt possible et il est normal que les banques aident leur clients à poursuivre ce but légitime et légal. Les banques n’ont pas à se placer sous l’angle moral, si les Etats trouvent le système trop permissif qu’ils changent les lois fiscales.
  • La fraude fiscale : dans ce cas les banques doivent être sanctionnées.

Bernard Marois : Il est clair que dans la mesure où elles sont à l’origine des transferts de fonds, elles sont amenées à avoir des filiales dans le monde et ces transferts peuvent être utilisés par les clients de manière frauduleuse. Il n’est pas excessif de dire que les entreprises pétrolières en général ont par exemple coutume de transférer certains revenus vers des paradis fiscaux comme les Bermudes ou les îles Caïman afin de profiter de cadres fiscaux beaucoup plus avantageux, de manière illégale, et qui ne correspondent vraiment pas toujours à des opérations réelles. L’une d’entre-elles revient par exemple à faire assurer certaines opérations pétrolières à partir d’assurances captives aux Bermudes. Il demeure cependant toujours délicat de savoir dans quelle mesure ces opérations sont frauduleuses. Les banques ne sont en ce cas pas directement actrices de ces opérations, ce qui ne les empêche pas de mettre les mécanismes à la disposition de leurs clients des opérations de contournement de règlementation.

3. "Malgré des disponibilités importantes, les banques n'accordent pas suffisamment de crédits"

Jean-Michel Rocchi : Les banques n’accordent pas assez de crédit aux TPE et PME-PMI car elles considèrent que cela constitue de "mauvais" risques. Cette vision s’appuie notamment sur des taux de provisionnement structurellement élevés sur ces types de crédit et sur une forte croissance du nombre des dépôts de bilan des entreprises françaises en 2013 et 2014. La situation économique s’est dégradée depuis deux ans et il n’est pas sûr qu’ouvrir en grand les vannes du crédit serait efficace lorsque les carnets de commandes sont trop faibles. Un autre gouvernement socialiste en son temps avait poussé le Crédit Lyonnais à aider les canards boiteux contre vents et marées ; cela n’avait pas eu d’impact macroéconomique mais avait réussi à couler la banque. Au final les pertes ont été comblées grâce aux impôts des Français.

S’agissant des crédits aux particuliers les choses sont tout aussi défavorables pour d’autres raisons. Les Français sont pratiquement les moins endettés en Europe, ce qui est le reflet du fait qu’ils sont les moins confiants dans l’avenir. A l’inverse ceux qui voudraient s’endetter sont de moins en moins solvables avec la hausse du chômage. Au final, les crédits aux particuliers baissent et les dossiers dans les commissions de surendettement augmentent. Bref, le marché du crédit aux particuliers n’est pas très reluisant non plus

Évolution annuelle de l'investissement en valeur dans l'industrie manufacturière (source Insee)

Eric Dor : En ce qui concerne la France cette croyance très répandue n’est pas confortée par la réalité. Tous les indicateurs montrent que la croissance limitée du crédit bancaire français aux ménages et aux entreprises a été essentiellement due à l’atonie de la demande d’emprunts par ceux-ci, plutôt qu’à un rationnement de l’offre de prêts par les banques. La stagnation économique a été peu en faveur d’une expansion dynamique des investissements et donc de la demande d’emprunts. Les enquêtes auprès des chefs de PME françaises montrent d’ailleurs que les difficultés d’obtenir des prêts bancaires ne sont pas citées comme causes principales de leurs difficultés. Et le taux d’acceptation de leurs demandes de prêts est assez élevé.

Il est vrai que de manière générale les banques européennes ont subi, au cours des dernières années, des contraintes structurelles qui peuvent avoir un impact négatif sur la quantité de crédit qu’elles sont prêtes à offrir. Essentiellement, les exigences légales de capital  qu’elles doivent avoir en proportion de leurs actifs ont augmenté, ce qui est coûteux. On a également exigé d’elles d’accroître la part  des actifs liquides dans le total du bilan. Tout cela pourrait amener les banques, dans certaines conditions, à prêter moins pour diminuer la taille globale de leurs actifs, ou à privilégier des formes d’investissements liquides. Mais dans le cas de la France ces contraintes n’ont pas causé de rationnement du crédit. Par contre il semble que ce soit le cas, dans certains pays de la périphérie de la zone euro comme en Espagne, où les banques sont encore très affectées par des taux de défaut élevés sur leurs prêts.

Bernard Marois : Il ne faut pas oublier que depuis Bâle III, des dispositifs draconiens existent pour assurer la solvabilité et la liquidité des banques, ce qui les oblige à être précautionneuses dans les critères d’attribution des crédits. Dans une certaine mesure donc, cette observation peut sembler fondée, mais d’un autre côté, la récession économique que nous connaissons en Europe a une influence inévitable sur les demandes des entreprises et des particuliers, corrélées à leurs besoins d’investissement, d’innovation et de consommation. Le doute sur la responsabilité des banques sur ce point est donc permis. D’autant que les observateurs pourraient avoir tendance à relever une inconscience des banques, une attitude purement inscrite dans la profitabilité dans le cas inverse.

4. "Les banques se sont éloignées de leur métier en se déconnectant de leurs clients et de leurs besoins. Elles ne participent plus à l'économie réelle"

Jean-Michel Rocchi : C’est à la fois vrai et faux. En fait, au sein des banques universelles coexistent un métier classique de banque à l’ancienne dans les agences (le retail banking) qui est sain et peu risqué et est pratiqué dans les agences de proximité, et une banque de casino constituée de la partie la plus spéculative de la banque d’investissement (l’activité produits dérivés et commodities du wholesale banking) dans les salles de marché.

Historiquement la rentabilité financière de l’activité de banque de casino (le return on equity – ROE) est plus élevée que celle de la banque de détail mais au prix de risques encourus plus élevés. En fait, ce n’est que le reflet d’un couple risque / rendement différent. Les banquiers sont soit myopes, soit préfèrent fermer les yeux car renoncer à la banque de casino c’est renoncer aux bonus. Les Etats eux-mêmes sont hypocrites car l’activité de banque de casino (avant chaque crise cyclique) génère des bénéfices, et donc de l’impôt sur les sociétés pour l’Etat. Par un étrange paradoxe la spéculation finance indirectement les services publics et les transferts sociaux. L’ultra-capitalisme venant aux secours de l’assistanat, les romains avaient raison "pecunia non olet" (l'argent n'a pas d'odeur, ndlr). Pour conclure, il y a un unanimisme de la vision à court terme et pas grand-chose d’entrepris pour anticiper les crises.

Bernard Marois : Je ne le crois pas. Il faut savoir que les grandes banques ont pour la plupart divisé leurs activités en deux parties : commerciales et investissements. L’objectif est donc plutôt d’être efficace dans ces deux types d’opérations. Encore une fois, au moment des subprimes, on a pu reprocher aux banques – en particulier américaines d’avoir eu des comportements spéculatifs, ou en Espagne en ce qui concerne les bulles immobilières déraisonnables. Mais aujourd’hui, ces comportements ont été rééquilibrés.

5. "Les banques pratiquent des frais bancaires excessifs, et trompent leurs clients avec des politiques de prix peu compréhensibles"

Jean-Michel Rocchi : Les banques ont des pratiques assez similaires et ces dernières années elles ont toutes augmenté leurs frais et leurs marges, il n’y a de ce point de vue pas d’acteur ayant eu une politique de prise de parts de marché fondée sur la compétitivité. Néanmoins, peu de secteurs économiques ont vu arriver un Free comme dans la téléphonie mobile. On a même constaté un phénomène inverse avec le hard discount qui a replié la voilure face à la grande distribution.

Il ne faut pas rêver, je ne parierais pas sur une baisse des tarifs bancaires français pourtant élevés, je serais trop certain de perdre. Les banques semblent donner raison à la célèbre maxime de Vauvenargues : "le commerce est l’école de la fourberie."

Bernard Marois : Ce procès qui est très récurrente est en lui-même excessif. Les services proposés – tenue de compte, agios de découverts, commissions de transferts en dollar par exemple  peuvent paraître trop dispendieux, mais La direction de la concurrence, organe de surveillance présent dans la plupart des pays, effectue un travail plutôt efficace pour réguler les comportements oligopolistiques et anormaux. Par ailleurs, n’oublions pas que le développement des banques en ligne prend des parts de marché toujours plus importantes, ce qui oblige les banques traditionnelles à revoir leurs positionnements. Au final, ces récriminations peuvent paraître plutôt subjectives, pour ne pas dire irrationnelles.

6. "Les banques luttent inefficacement contre les fraudes aux cartes bancaires"

Jean-Michel Rocchi : En fait les banques utilisent les infrastructures de prestataires externes (VISA et Mastercard) qui sont moins sûres et fiables que ne le croient généralement les clients. Il existe de nombreuses fraudes et les grands réseaux luttent en permanence contre les fraudeurs, Le Mythe de Sisiphe prend ici tout son sens. La technologie simplifie en apparence les paiements mais est aussi à l’origine de nouveaux risques. Les fraudeurs de plus en plus habiles essaient de détourner la technologie à leur profit. Les banquiers raisonnent en risque statistique et objectent que le total de la fraude en France en 2013 n’était que de 469 millions d’euros à rapprocher de 586 milliards d’euros de paiements par carte en 2013. Un chiffre est néanmoins plus inquiétant : 861 000 cartes ont été victimes d’un piratage (avec 116 euros de fraude moyenne).

Les fraudes ne se limitent pas d’ailleurs, et loin s’en faut, aux cartes de paiement : selon les chiffres du CFE les fraudes mondiales représenteraient 3 700 milliards en 2013, soit 5% du PIB mondial, ce qui en fait un des premiers secteurs économiques mondiaux ! 

Bernard Marois : Les banques n’ont pas intérêt à voir la sécurité des cartes de crédit de leurs clients être insuffisante. L’émergence des acteurs comme Apple dans ce domaine les oblige à être plus transparente, et plus encore à l’avenir.

7. "Les banques manipulent des taux comme le Libor, ceux des matières premières, des métaux, avec des conséquences catastrophiques pour les populations"

Jean-Michel Rocchi : Il est inadmissible que les banques manipulent les taux, c’est extrêmement dérangeant pour ne pas dire inadmissible. On se souvient du trait d’humour de Raymond Poincaré : "un banquier est toujours en liberté provisoire". Au-delà du caractère juridiquement répréhensible, c’est une attitude irresponsable car de nature à remettre en question la confiance dans le système bancaire, moyen le plus simple et le plus sûr pour provoquer son effondrement. Le levier des banques étant fort, toutes les demandes massives de retrait des dépôts ou course aux dépôts (bank run) rendraient les banques mondiales immédiatement insolvables.

Bernard Marois : Effectivement il y a eu des manipulations – des taux Libor en particulier. Les instructions menée par la Commission européenne et les autorités britanniques ont révélé des comportements condamnables, qui ont d’ailleurs justifié des amendes et des pénalités très lourdes. Sur les matières premières en revanche, cela me semble plus difficile à prouver. Le marché papier  des contrats futurs sur environ 95% des matières premières  rend compliqué pour les banques d'y recourrir. Là encore, nous pouvons faire confiance aux autorités de surveillance pour contenir les moutons noirs.

8. "Au plus haut du risque de faillite grecque en 2010, les banques ont transféré les risques de leurs créances aux Etats."

Jean-Michel Rocchi : En fait, les choses ne se sont pas réellement passées ainsi. C’est un secret de polichinelle dans les milieux financiers de dire que de nombreuses directions du trésor en Europe ont fait pression sur les banques privées afin qu’elles achètent de la dette grecque en leur expliquant que le pays serait soutenu et que les risques étaient sous contrôle. Lorsque les choses ont fini de manière piteuse les risques bancaires ont été ensuite transférés aux Etats. Il ne faut pas s’apitoyer sur des pompiers pyromanes et démagogues. Une nouvelle manifestation en l’occurrence de l’incompétence des Etats dans l’interventionnisme économique.

En guise de conclusion, on peut méditer les propos avisés de Ludwig Von Mises : "L’interventionnisme ne peut être considéré comme un système économique durable. C’est une méthode destinée à passer du capitalisme au socialisme par une série d’étapes successives." Quant au socialisme, derrière l’utopie, il y a la dure réalité de la mise en commun d’une égale pauvreté.

Eric Dor : La manière dont la crise grecque a été gérée par les autorités européennes a effectivement eu cet effet. En 2010 les banques européennes avaient 178 milliards de dollars de créances sur la Grèce, dont 67 pour les banques françaises et 44 pour les banques allemandes. Rien que sur le secteur public grec l’exposition des banques françaises s’élevaient à 15 milliards de dollars, et celle des banques allemandes également. La nécessité de restructurer la dette grecque a été niée par les autorités européennes, qui se sont contentées d’offrir des prêts bilatéraux des Etats et des prêts du FMI. Elles étaient effrayées par la perspective de laisser les banques subir l’effet d’une forte décote sur leurs obligations publiques grecques, craignant l’effet de faillites bancaires sur les dépôts des citoyens qu’elles n’avaient pas vraiment les moyens d’indemniser, et sur le financement de l’activité économique en général. La crise grecque survenait dans un contexte où les banques européennes étaient encore très fragilisées par leurs pertes dues à la crise des subprimes et la récession qui avait suivi. Et il n’y avait encore aucun mécanisme communautaire de résolution bancaire. Lorsqu’il a fallu se résoudre à restructurer la dette de la Grèce en 2012, les banques européennes, dont les françaises et allemandes, avaient déjà eu le temps de réduire très fortement leur détention d’obligations publiques grecques. Après la restructuration le financement du gouvernement grec a été pris en charge essentiellement par le FESF et le FMI. Depuis 2010 les banques européennes ont également très fortement réduit leur exposition au secteur privé grec, leur retrait impliquant une forte augmentation des créances de l’Eurosystème sur la banque centrale de Grèce en compensation. Que ce soit directement par les prêts bilatéraux et les garanties au FESF, ou indirectement par l’Eurosystème, il y a bien eu déplacement de l’exposition des banques vers celle des gouvernements.

Bernard Marois : Les Etats et leurs systèmes bancaires sont extrêmement proches car l’Etat place pour des pourcentages importants ses titres chez les banques nationales. Inversement, les banques nationales cherchent à être garanties par les Etats. Ce jeu permanent d’obligations réciproques rend donc difficile d'imputer la responsabilité du transfert de ces créances douteuses aux seules banques, d’autant que l’Etat avait forcé la main de ces dernières dans ce cas précis.

9. "Les banques n'hésitent pas à créer des produits financiers qui leur profitent en desservant leurs clients"

Jean-Michel Rocchi : Je pense que c’est leur faire un mauvais procès. En fait il s’agit d’erreurs que l’on peut classer dans deux catégories :

  • Les erreurs de débutants : on peut citer le fait d’avoir par exemple prêté en francs suisses à des entreprises, ménages et collectivités locales ou hôpitaux, faire prendre un risque de change non couvert relève simplement de la plus grande incompétence. J’ai pratiqué par le passé des prêts en devises étrangères pour offrir des taux d’intérêts plus bas, nous le réservions à des clients exportateurs ayant des recettes dans la même devise (la position étant alors couverte)
  • Le risque de modèle : les banques sur des produits financiers très complexes dont les risques sont difficiles à évaluer peuvent les sous-estimer par erreur. Ceci est bien sûr distinct du cas de Goldman Sachs prenant des positions short sur des produits subprimes qu’elle avait elle-même structurés, la banque a d’ailleurs plaidé coupable devant les autorités judiciaires dans ce cas d’espèce.

Propos recueillis par Alexis Franco

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