L’analyse sur 120 ans du bilan économique de leaders politiques populistes à travers le monde montre que leurs résultats sont…<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président du Venezuela Hugo Chavez devant ses partisans le 11 juin 2012, dans le cadre de sa campagne en vue de la présidentielle
Le président du Venezuela Hugo Chavez devant ses partisans le 11 juin 2012, dans le cadre de sa campagne en vue de la présidentielle
©AFP / LEO RAMIREZ

Étude

Selon une étude publiée dans l'American Economic Association, plus de 25 % des pays de la planète sont actuellement gouvernés par des gouvernements populistes

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Selon une étude de Manuel Funke, Moritz Schularick et Christoph Trebesch (« Populist Leaders and the Economy » pour le American Economic Association), le populisme a atteint un niveau sans précédent à travers la planète. Plus de 25 % des pays sont actuellement gouvernés par des populistes. Mais cela a un impact conséquent sur l’économie... Quelle a été la méthode employée par les chercheurs et quelles sont leurs principales conclusions sur l'histoire macroéconomique du populisme ?

Alexandre Delaigue : Dans leur méthodologie, ces économistes se sont beaucoup intéressés à l'Amérique du Sud. L’économiste Sebastian Edwards a notamment travaillé sur ces questions. Cela correspond au type de leader politique qui est assez commun en Amérique du Sud, via le péronisme par exemple en Argentine ou plus récemment avec Hugo Chavez au Venezuela. Cela touche la spécificité sud-américaine des dirigeants populistes qui adoptent une attitude de représentant du peuple contre les élites. 

Le contexte sud américain concerne des pays qui sont très inégalitaires, dans lesquels il y a une oligarchie, une élite économique, militaire, politique qui se maintient au pouvoir. 

A partir de la définition donnée du leader populiste, les auteurs de l’étude ont étudié les programmes et les réformes des dirigeants qui se présentent vis-à-vis des électeurs comme les représentants du peuple contre une élite installée. Dans leur étude, les économistes ont essayé d’étudier ces cas sur une période plus longue et dans une région plus grande, pour étudier cela au niveau mondial.

Dans les travaux sud-américains, il y a une définition assez spécifique de l'écume du populisme économique. Les politiques qui sont menées reposent sur beaucoup de redistribution, les déficits publics n’ont aucune importance. 

Le populisme, sur le plan macroéconomique, consiste à dire qu’il n’y a pas de contrainte, qu’il est possible de dépenser. Cela aboutit souvent à une grande instabilité macroéconomique et à beaucoup d'inflation, notamment dans le contexte sud américain.

Les auteurs de l’étude ont essayé d'étudier l'impact du populisme historiquement en imaginant ce qu’il se serait passé si les tendances d'avant s'étaient poursuivies? Ils essaient de voir quel pourrait être l'impact économique de l'arrivée au pouvoir d'un dirigeant populiste. Cela relève un peu de ce que l'on pourrait appeler de la politique fiction en matière économique. 

Cette méthodologie consiste à formuler des hypothèses afin de savoir ce qu’il se serait passé en fonction de différents scénarios spécifiques.

Il est possible notamment de se pencher sur l'économie du Pérou, qui évoluait comme celle de ses pays voisins. En faisant une analyse statistique, il est possible d’avoir un aperçu de l'économie du Pérou, qui ressemble à un échantillon d’une dizaine de pays et qui correspond à une conjoncture particulière. 

Mais suite à l’arrivée d’un leader populiste au Pérou, l’évolution du pays et ses performances économiques seront scrutées avec beaucoup d’attention. Les auteurs de l’étude ont imaginé ce qu'aurait pu être l'état de l'économie et l’ont comparé avec celui qui a réellement prévalu.

Après l’arrivée au pouvoir de leaders populistes, l'économie a tendance à s'effondrer. Pour le cas de l'Argentine actuelle, ce sont les difficultés économiques du pays qui ont amené le populisme.

Quelles sont les principales conclusions à tirer de cette étude ?

Les auteurs de cette étude ont utilisé une période de 120 ans, de 1900 à 2020. Ils ont identifié 51 dirigeants populistes sur cette durée. Ils ont constaté avec leur méthode que le PIB par habitant dans les pays avec des dirigeants populistes est 10 % plus bas au bout de quinze ans qu'il n'aurait été en l'absence de dirigeants populistes. Ils ont ajouté également une série d'autres indicateurs macroéconomiques comme l'inflation ou le niveau de la dette publique qui ne se portent pas bien et qui démontrent que le populisme n’est pas bon pour l’économie.

Au regard de cette étude, comment les économies se comportent-elles sous des dirigeants populistes ? Le coût économique du populisme est-il élevé ?

Selon cette étude, le coût économique du populisme est effectivement élevé. Mais le problème est qu’il y a quelques doutes à avoir sur l'étude en question.

Quand vous avez dans votre échantillon Peron, Hugo Chavez, Donald Trump, Benito Mussolini et Adolf Hitler, il faudrait peut-être resserrer cet échantillon et faire la part des choses.

Les dirigeants populistes ont généralement un programme de rupture. Les risques qu’ils prennent peuvent avoir un certain nombre d'effets favorables. Le dirigeant populiste, dans l'absolu, va faire abstraction des règles, des normes et des pratiques auxquelles se livraient les élites auparavant. Il y a un certain nombre de situations dans lesquelles cela peut éventuellement aboutir à des situations favorables. Un pays peut se retrouver bloqué par des choix de politique économique qui ne sont pas bons, qui ne lui sont pas adaptés mais qui sont dans l'intérêt de l'élite existante. Un leader populiste qui arrive va changer les choses. Le problème est que lorsque vous renversez la table, cela peut briser un certain nombre de mécanismes qui pouvaient être positifs. 

Selon les conclusions de cette étude, l’expérience populiste est une expérience qui est dangereuse. Mais il ne faudrait pas en tirer la conclusion que cette expérience est à bannir absolument. Qui sommes-nous pour dire aux Argentins pour qui ils doivent voter ?

Leur étude s'arrête en 2020, à un moment où le populisme est très dominant et a pris un poids démesuré dans le monde. Les Etats-Unis de Donald Trump sont dans l'échantillon mais le bilan économique de Donald Trump est encore à écrire. Il a mené une politique budgétaire qui a été beaucoup plus expansionniste qu'elle ne l'aurait été sous Hillary Clinton. Il a pratiqué des baisses d'impôts considérables mais le fait est que cela a eu pour effet de mettre l'économie américaine sous pression et le chômage a été extrêmement bas. Donald Trump a eu une politique typiquement populiste en adressant des chèques aux Américains. Mais est-ce que cela a été si inefficace que ça pour l'économie américaine au moment du Covid ?

Est-ce que l'économie américaine s’est trouvée après quatre ans de Donald Trump avec 10 % de PIB en moins ? Cela paraît très discutable.

A travers cette étude, le populisme est-il aussi néfaste pour l’économie que le communisme ou les dictatures ? Pourquoi les choix des leaders populistes ne permettent-ils pas une embellie économique ?

Cela est relativement difficile à dire parce que sur cet aspect là, quel est le meilleur régime politique pour l'économie ? Ce n’est pas si facile de répondre à cette question. Les plus grands succès de développement rapide et de très forte croissance économique ne se sont pas faits dans des régimes qui étaient particulièrement démocratiques et ont même été menés par le parti communiste. L'exemple le plus marquant est celui de la Chine. Il y a eu un certain nombre de catastrophes économiques en Chine. Mais globalement, le bilan économique du Parti communiste chinois n'a pas été si négatif. Taïwan était une dictature particulièrement brutale au moment où l'essentiel des réformes économiques ont été menées. La Corée du Sud s'est aussi mise à mener ce genre de réformes dans un contexte de dictature, de très forte répression et de corruption généralisée. Il n’est donc pas tout le temps évident de savoir ce qui est vraiment bon pour l'économie. 

Certains auteurs avancent par exemple que dans des pays qui sont extrêmement pauvres, la démocratisation est parfois assez dangereuse. La démocratisation peut aboutir à des factions et au lieu d’accepter le résultat des élections et certaines réformes, cela peut provoquer la guerre civile. Des travaux en économie montrent que dans un certain niveau de revenus assez bas, c'est après les élections que les risques de guerre civile sont les plus élevés.

Le bilan du communisme en matière d'économie est quelque chose qui mérite d'être nuancé. On y associe les pénuries et la très grande pauvreté qui étaient présentes en URSS et dans les pays de l'Est à partir des années 1970-1980. Cela a été fait à juste titre. Le communisme a été un échec, bien sûr. Mais concernant les pays très pauvres qui ont besoin de faire une transition économique, le bilan est beaucoup plus mitigé. La politique stalinienne en matière économique a été perçue par les économistes dans les années 1950 comme étant plutôt un succès.

Même chose pour la Corée du Nord qui jusqu'aux années 1960 était vue comme plutôt réussissant mieux que la Corée du Sud économiquement. Il est aussi possible de penser au Vietnam. Le bilan économique du communisme lui-même doit être nuancé. Le communisme a pu permettre un certain nombre de décollages économiques et a pu bousculer des structures politiques qui empêchaient le développement. L’économiste Branko Milanovic, que vous avez interrogé souvent dans vos colonnes, a expliqué cette idée-là dans des pays très pauvres qui étaient politiquement bloqués. Les communistes ont pu faire un certain nombre de choses de réformes, en particulier dans la redistribution des richesses, qui ont pu réussir. L'un des obstacles au développement de l'Amérique du Sud est en effet l'existence d'une oligarchie qui ne favorise pas véritablement le développement. Des auteurs peu suspects de sympathie envers le communisme, comme Daron Acemoğlu, spécialiste de ce sujet, ont montré l'existence de ce type de problème. 

Ces réformes sont néanmoins des expériences risquées. Il y a aussi énormément d'échecs considérables dans l’expérience du communisme. 

Il est difficile de trancher et de savoir quel est le meilleur régime politique pour l'économie. Il n’est pas aisé de répondre de la manière la plus affirmative possible à votre question. Il s’agit plus d’étudier la conjecture, surtout pour avoir un point de vue nuancé. Il est important de mettre de côté ses propres préjugés. Certains économistes vont trouver Donald Trump détestable pour toute une série de raisons. Il peut y avoir certains biais des économistes qui eux-mêmes appartiennent à une certaine catégorie sociale ou dépendent d’une idéologie. 

Ils rejettent un certain nombre d'idées et peuvent considérer qu’économiquement le populisme est néfaste. Il est parfois très difficile de sortir de sa subjectivité pour être objectif dans de telles études. 

Quand l’on observe les effets économiques, le constat est un peu plus nuancé.

Alors que la vague populiste s’étend aux Pays-Bas, en Argentine avec Javier Milei et pourrait bientôt gagner l’Europe lors des élections européennes, faut-il s’alarmer des conséquences pour l’économie mondiale et en Europe au regard des enseignements de cette étude ?

Au niveau mondial, ce qui se passe en Hongrie ou aux Pays-Bas ne va pas avoir des grandes conséquences pour l'économie mondiale. En revanche, la question que tout le monde se pose est de savoir ce qu’il va se passer après l'élection présidentielle américaine de 2024 ? Ce scrutin aura un certain nombre de conséquences pour l'économie mondiale et ces conséquences pourraient être très importantes. Que va-t-il se passer si Donald Trump arrive en 2024 avec un programme qui sera beaucoup plus affirmé et beaucoup plus populiste ?

Dans le cas européen, il y a toute une série de garde-fous face aux dirigeants populistes. Ce phénomène peut s’observer avec l'Italie et le cas de Giorgia Meloni qui se retrouve à avoir un programme qui est relativement orthodoxe en matière économique, quoi que l'on puisse penser du reste de ses prises de positions politiques et de son action dans le domaine économique.

Parmi les garde-fous figurent l'accès à des fonds européens, la politique de la Banque centrale européenne qui fait que les pays doivent suivre une ligne droite dans leur action économique. Dans le cas des pays européens, il y a un certain nombre de freins face à l’action des dirigeants populistes sur l’économie. 

Pour reprendre le cas de l'Argentine, Javier Milei est un cas particulier car il se présente lui-même comme populiste mais avec un programme qui ne ressemble pas au populisme traditionnel. Son programme est économiquement extrêmement libéral et il promet de remplacer la devise argentine par le dollar américain, ce qui n'est pas quelque chose de très populiste. Le populisme traditionnel en Amérique latine consiste à faire marcher la planche à billets afin de faire des cadeaux à tout le monde. La grille de lecture populiste a un certain nombre de limites. Elle est pertinente en matière d'analyse politique pour essayer de juger la manière dont un dirigeant se présente et le type d'attitude qu'il va avoir vis-à-vis de l'économie. Mais une attitude ne fait pas une politique. Les dirigeants populistes, en réalité, ont beaucoup moins les mains liées..

Pour l'économie mondiale, la seule chose qui compte vraiment sur ce débat autour du populisme est l’issue de l’élection présidentielle aux Etats-Unis l'année prochaine. L’issue du vote aura un impact majeur sur l’économie.

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