L’amitié franco-allemande, ce mirage masochiste<!-- --> | Atlantico.fr
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Les festivités s'annoncent assez formelles ce dimanche avec une cérémonie à la Sorbonne le matin suivie d'un conseil des ministres franco-allemand à l'Élysée, qui avait été reporté fin octobre sur fond de dissensions bilatérales.
Les festivités s'annoncent assez formelles ce dimanche avec une cérémonie à la Sorbonne le matin suivie d'un conseil des ministres franco-allemand à l'Élysée, qui avait été reporté fin octobre sur fond de dissensions bilatérales.
©Ludovic MARIN / AFP

Intérêts divergents

Ce dimanche 22 janvier, la France et l'Allemagne fêtent les 60 ans du traité de l’Elysée. L'occasion de faire un point sur les relations tumultueuses entre les deux pays voisins.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Ce dimanche 22 janvier, la France et l'Allemagne fêtent les 60 ans du traité de l’Elysée. Une célébration en présence d’Olaf Scholz et un conseil des ministres franco-allemand auront lieu. A quel point l’amitié franco-allemande et le couple franco-allemand sont-ils devenus des mirages ?

Rodrigo Ballester : Je ne le qualifierai pas de mirage, plutôt de coopération par inertie ou de couple établi qui bat résolument de l’aile. Après soixante ans, l’impulsion des débuts n’est plus au rendez-vous mais cette entente a tout de même permis de tisser des loins étroits entre les deux administrations, d’établir et de consolider des projets concrets qui ont pris leur envol (par exemples les lycées franco-allemands) et de mettre en œuvre un reflexe de coordination bien rodé pendant des décennies. Voici l’intertie dont je parlais : faute de leadership, cette mécanique et ces liens tissés sur plusieurs décennies demeurent.

En effet, le leadership et l’affinité des couples iconiques De Gaulle-Adenauer, Giscard d'Estaing-Schmidt ou Mitterrand-Kohl n’est plus qu’un lointain souvenir même s’il faut souligner que l’âge d’or du couple eut lieu pendant la Guerre Froide et qu’après celle-ci, il est compréhensible que l’intensité de la coopération s’estompe. Donc, ne jugeons pas la santé actuelle ni le bilan général du couple seulement à l’aune de l’affinité entre Présidents et Chanceliers.

Mais ne nous voilons pas la face non plus : le couple est mal en point, et à trop dépendre de l’inertie, on finit par s’enliser. Plusieurs symptômes l’attestent : les différences non négligeables entre les deux pays sur la guerre en Ukraine, les réactions timorées de l’Allemagne dans ce nouveau contexte, le manque de connivence entre Macron et Scholz et, surtout, que le leadership implicite de ce groupe est contesté à l’intérieur même de l’UE. Par la Pologne, clairement, dont les relations avec le gouvernement Scholz sont exécrables et qui critique vertement ce « duopole » de grands Etats membres. Par l’Italie, également, sur un ton plus discret et policé mais en sachant que Meloni garde un œil vigilant. Après crises européennes à répétition des dix dernières années pendant lesquelles ce couple n’a pas forcémment été à la hauteur ni n’a pas parlé d’une même voix, et en observant que le moteur est grippé, il est compréhensible que d’autres pays contestent ou se méfient. Le couple franco-allemand repose sur une perception très…franco-allemande ou, du moins, d’Europe occidentale. En Europe Centrale et de l’Est, on perçoit ce « moteur » quelque peu comme une relique. 

Dans la relation franco-allemande, dans quelle mesure, et sur quels sujet l’Allemagne a-t-elle fait prévaloir ses intérêts, au détriment de la France ?

L’exemple le plus frappant est le sabordage de la filière nucléaire française et d’une politique énergétique et environnementale européenne trop calée sur les intêrêts allemands et dont ces derniers se sont servis pour neutraliser l’avantage comparatif de la France et justifier leur position dogmatique sur le nucléaire. Plus récemment, l’annonce du plan de soutien allemand de 200 milliards a également fait grincer de nombreuses dents, à Paris et ailleurs, tellement cette initiative est considérée comme du dumping au sein du marché intérieur. Finalement, n’oublions pas les décisions unilatérales de l’Allemagne en matière de migration en 2015 dont les effets se font encore sentir ou l’obsession allemande de la rigueur pendant la crise de l’Euro et cristallisée dans le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance de 2013.

Finalement, en matière de défense, il semble que l’appétit de l’Allemagne pour concrétiser les déclarations grandiloquentes européennes est limité, voire obstructionniste, alors que la France, elle, est prête à faire des avancées concrètes. En mars 2022, l’UE a accouché d’une « Boussole stratégique » un texte ambitieux sur le papier. A quel point l’Allemagne souhaite le mettre en œuvre et donc, permettre l’autonomie militaire de l’UE dans le cadre de l’OTAN mais en dépendant moins des Etats-Unis ? La France le souhaite, l’Allemage, elle, est beaucoup moins demandeuse. Et pour l’instant, la mise en œuvre concrète de cette boussole se fait attendre.

A s’obstiner dans une vision optimiste de la relation franco-allemande, la France n'a-t-elle pas nui à ses propres intérêts ? En quelles occasions ?

Dans le cas du nucléaire, sans aucun doute. En matière de défense, il faudra voir comment l’Allemagne de Scholz réagira à la nouvelle donne géopolitique et voir si elle est prête à épauler la France pour matérialiser une vraie coopération européenne en matière de défense ou plutôt la laisser pourrir par inanition. Il faudra voir également comment le couple se positionne pour réagir aux subventions massives annoncées par Washington et s’ils soutiennent une riposte similaire au niveau européen sans visée protectionniste.

Du côté français, une certaine amertume est compréhensible car Paris donne l’impression d’être plus attaché au couple que Berlin, plus frileux. Mais encore une fois, ces états d’âme sont quelque peu égocentriques : n’oublions pas que dans le reste de l’UE, la France est également perçue comme un pays qui, de par son poids, n’hésite pas à imposer ses intérêts parfois de manière abrupte et qu’en général, le « couple » est perçu comme un directoire qui exaspère, surtout qu’il a beaucoup perdu de sa superbe. Il n’a plus la même influence, et que Paris le regrette ne fait pas forcémment pleurer les chaumières dans d’autres capitales. Il faudra dorénavant s’habituer à une UE à plusieurs pôles.

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