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Le marché du Bitcoin concentre beaucoup de critiques, notamment sur sa consommation d’énergie qui est dangereuse écologiquement parlant.
Le marché du Bitcoin concentre beaucoup de critiques, notamment sur sa consommation d’énergie qui est dangereuse écologiquement parlant.
©Ozan KOSE / AFP

Evolution notable

Bien que l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Est soient communément reconnues comme des centres d’activité majeurs pour les cryptoactifs, l’Afrique, avec le Nigeria comme épicentre, démontre, elle aussi, une évolution notable dans ce secteur.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors que de nombreux États se montrent de plus en plus sévères avec le Bitcoin, comment expliquer que l’Afrique soit un territoire plus que favorable pour ce marché ?

Michel Ruimy : L’activité de minage de cryptoactifs est énergivore. C’est pourquoi elle gravite dans des pays où les coûts de l’énergie sont les moins élevés. Il y a encore quelques mois, la Chine était une terre d’accueil, avant que le gouvernement chinois ne l’interdise au motif de dommages environnementaux. Les mineurs se sont alors tournés vers le Texas, une des régions les plus productives de pétrole bon marché. Les Etats-Unis ont depuis créé près du tiers de la production mondiale de Bitcoins.

Dans le même temps, les régulateurs ont été de plus en plus présents. En 2022, New York est ainsi devenu le premier État américain à exclure toute nouvelle exploitation minière qui ne repose pas entièrement sur des énergies renouvelables.

En outre, de nombreux gouvernements ont craint qu’en faisant concurrence aux foyers et aux entreprises locales en matière d’accès à l’électricité, les ordinateurs énergivores des fermes de minage ne suscitent un vif mécontentement social. A cet égard, la tentative du Kazakhstan de se transformer en une puissance de minage de cryptoactifs est un avertissement : les mineurs ont été rapidement invités à quitter le pays du fait d’une consommation excessive d’énergie qui provoquait des pannes d’électricité.

Dans ce contexte, la recherche mondiale d’énergie peu chère a été lancée par de nombreux mineurs notamment à l’approche du prochain « halving » - phase réduisant de moitié la récompense pour le minage des transactions en Bitcoins -, qui aura lieu en avril 2024. L’Afrique est ainsi devenue une opportunité avec ses vastes ressources énergétiques renouvelables, à ce jour encore inexploitées.

Aujourd’hui, la production du Bitcoin sur le continent est négligeable, mais est-il possible que l’Afrique devienne le premier acteur mondial du marché dans l’avenir ?

Bien que l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Est soient communément reconnues comme des centres d’activité majeurs pour les cryptoactifs, l’Afrique, avec le Nigeria comme épicentre, démontre, elle aussi, une évolution notable dans ce secteur.

Toutefois, l’accueil des pays subsahariens est très disparate. La très instable République centrafricaine est l’un des premiers pays au monde à avoir adopté le bitcoin comme une monnaie officielle. Le Botswana a voté une loi, jugée avant-gardiste, mettant en place un système de licences pour les opérateurs. A l’autre bout du spectre, ces supports numériques sont totalement illégaux en Ethiopie ou encore en Tanzanie. Beaucoup d’autres pays ont commencé à réguler, à commencer par le Nigeria qui a interdit aux banques d’effectuer des transactions en cryptoactifs.

Le marché du Bitcoin concentre beaucoup de critiques, notamment sur sa consommation d’énergie qui est dangereuse écologiquement parlant. Est-ce que l’Afrique peut permettre à ce marché de répondre aux défis écologiques ?

Le continent offre, aux promoteurs du Bitcoin, la possibilité d’inverser le scénario d’une industrie dont la réputation s’est étiolée ces dernières années (succession d’escroqueries, de krachs et d’inquiétudes fondées quant à sa contribution au changement climatique…).

Tandis qu’on observe, dans de nombreux pays d’Afrique, des pénuries chroniques d’électricité et que de nombreux projets d’énergie renouvelable sur le continent souffrent de financements durables du fait d’une faible demande, le modèle émergent africain de production d’énergie pourrait être à l’opposé de la simple combustion de carburants fossiles. En effet, le continent possède environ 60% des meilleurs sites de production d’énergie solaire et accueille 5 des 10 pays ayant un prix de l’électricité parmi les plus bas au monde. En se présentant comme des acheteurs de « dernier recours », les mineurs peuvent ainsi contribuer à stabiliser la demande d’électricité et à encourager les investissements nécessaires à la fourniture d’électricité à la population africaine, qui n’a pas accès à l’électricité du réseau (600 millions de personnes).

Mais, en l’absence d’une régulation internationale obligeant l’industrie à utiliser des énergies renouvelables, il existe un risque que son expansion en Afrique ne soit menée par des mineurs sans scrupules dont les activités dépassent la capacité des gouvernements à les réglementer.

L’arrivée en masse du Bitcoin peut-il être une voie de développement pour l’Afrique ?

L’adoption de Bitcoin en Afrique progresse régulièrement. Selon les chiffres de la société d’études Chainalysis, le volume de cryptoactifs échangés en Afrique subsaharienne entre juillet 2021 et juin 2022 s’est établi à plus de 100 milliards USD (2% de l’activité mondiale).

Confrontées à la faiblesse de leurs monnaies nationales et à l’instabilité économique, les populations africaines commencent à prendre conscience des avantages intrinsèques qu’elles pourraient retirer de l’utilisation d’une monnaie décentralisée, notamment une participation plus active à l’économie mondiale sans restrictions, ni désavantages.

Toutefois, cet essor se réalise de manière inégale. Les pays anglophones (Nigeria, Afrique du Sud, Ghana…) sont en tête en matière d’adoption, comparativement à leurs homologues francophones du fait, en partie, de la prédominance des ressources disponibles en anglais et l’influence historique anglophone dans le secteur technologique. De plus, le continent est encore loin d’une adoption massive des cryptoactifs, souvent limitée à une partie de la jeunesse connectée. Les pays y voient la défiance envers leurs institutions, leurs banques, leurs gouvernements et même leurs monnaies comme un terreau fertile pour ces actifs alternatifs.

En conséquence, l’un des principaux usages actuels des cryptos en Afrique consiste à mettre son épargne à l’abri. Sur les plates-formes, les usagers viennent notamment troquer leur monnaie locale contre des « stable coins » (actifs indexés sur des devises traditionnelles fortes, comme l’euro ou le dollar). Un moyen de lutter contre l’érosion du pouvoir d’achat face à l’inflation galopante et à la chute des monnaies africaines.

Un usage encore plus courant concerne les transferts unilatéraux de fonds de la diaspora moins coûteux et plus rapides qu’avec les systèmes financiers traditionnels. Ces usages très pragmatiques, « par nécessité économique », des cryptoactifs sont très éloignés de ceux, spéculatifs, qui prévalent en Europe ou aux Etats-Unis.

Du fait d’une protection contre la dépréciation des monnaies locales, un accès simplifié à l’épargne et une plus grande inclusion financière, Bitcoin pourrait faciliter la vie quotidienne de la population. Mais, l’adoption plus vaste des cryptomonnaies en Afrique passe par des initiatives éducatives solides afin de sensibiliser le grand public à la technologie blockchain.

Il n’en demeure pas moins, qu’à ce jour, il y a peu de preuves que les cryptoactifs offrent aux pays pauvres un raccourci vers la richesse.

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