L'administration Obama a-t-elle systématiquement privilégié les musulmans au détriment des chrétiens aux Etats-Unis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Sur les 10 801 Syriens qui sont entrés aux États-Unis en 2016, 56 seulement étaient chrétiens, tous les autres musulmans sunnites, ce qui ne reflète pas, ni près, la part des chrétiens dans la population du pays.
Sur les 10 801 Syriens qui sont entrés aux États-Unis en 2016, 56 seulement étaient chrétiens, tous les autres musulmans sunnites, ce qui ne reflète pas, ni près, la part des chrétiens dans la population du pays.
©Reuters

WikiLeaks, suite

Selon WikiLeaks, l'administration Obama aurait favorisé les réfugiés musulmans au détriment des chrétiens.Une nouvelle fois, les démocrates sont pointés du doigts par les chrétiens qui s'indignent de cette discrimination.

Blandine Chelini-Pont

Blandine Chelini-Pont

Blandine Chelini-Pont est professeure d’histoire contemporaine à l'Université d'Aix-Marseille.

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Qu'avons-nous pu observer concrètement de la part de l'administration Obama envers les chrétiens d'orient ? Pensez-vous réellement qu'ils ont pu être défavorisés par rapport aux musulmans d'orient ?

Roland Hureaux : Ce sont des informations très graves qui nous parviennent d'Amérique au travers de Wikileaks ou de Fox News. 

Les courriels interceptés, ce ne sont pas des opinions, ce sont des faits - que je découvre avec vous. Les preuves représentées par les courriels échangés au sein de l'entourage d'Obama entre Prêta Banal (qui avait servi dans l'administration Clinton dans les années 1990) et John Podesta, secrétaire général de la Maison blanche sous Bill Clinton et actuel directeur de campagne de Hillary, contiennent des instructions pour recruter des Américains d'origine arabe mais seulement des musulmans, en excluant les chrétiens d'Orient donc. Dans un courriel daté du 29 septembre 2008, elle écrit "J'ai exclu (de la liste) ceux qui sont d'origine arabo-américaine mais qui ne sont pas musulmans". Cela en violation de la Constitution américaine, qui stipule qu'"aucun questionnaire portant sur la religion ne sera imposé pour juger de l'aptitude d'un candidat à l'exercice de fonctions ou charges publiques aux États-Unis".

Instruction d'autant plus paradoxale qu'elle émane d'une ancienne présidente de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale, passée au service de Bill Clinton puis de Barack Obama. 

Nous sommes à la fin de 2008, elle prépare la future administration Obama, sachant qu'aux États-Unis, du fait du spoil system, les changements à la tête de l'exécutif sous un nouveau Président sont plus étendus qu'en France. 

Par ailleurs, Fox News fait part d'une autre discrimination : les Etats-Unis s'étaient engagés à recevoir 10 000 réfugiés syriens, ce qui est bien normal compte tenu de la responsabilité de ce pays dans le chaos qui règne actuellement en Syrie. Sur les 10 801 Syriens qui sont entrés aux États-Unis en 2016, 56 seulement étaient chrétiens, tous les autres musulmans sunnites, ce qui ne reflète pas la part des chrétiens dans la population du pays (environ 10 % avant la guerre, moins aujourd'hui). 

Discrimination d'autant plus paradoxale que les chrétiens ont été, bien plus que les sunnites, les premières victimes de la guerre, les cibles privilégiées des rebelles islamistes. 

S'agissant du recrutement de cadres pour l'administration, on pouvait penser que les chrétiens, peu suspects de collusion avec les islamistes, auraient été un élément plus sûr. Or ils ont été systématiquement écartés. 

Vous me demandez si cela est possible : on a vu tellement d'horreurs, de paradoxes et d'absurdités dans les récentes guerres du Proche-Orient et dans leurs conséquences que l'on ne s'étonne plus de rien. 

Cette discrimination au détriment de chrétiens remonte loin : souvenez-vous que la grande entreprise militaire de Bill Clinton, la guerre de Yougoslavie (1999), se fit au bénéfice de musulmans des Balkans (Bosniaques et Albanais) avec l'appui des Turcs, contre les chrétiens orthodoxes (Serbes). 

La guerre de Syrie a vu une alliance entre les Etats-Unis et les islamistes de ce pays (dont Daesh et Al Qaïda) contre le régime musulman mais modéré et tolérant les minorités de Bachar el Assad. Peut-être avons-nous là l'explication du fait que les chrétiens aient été jugés peu sûrs car ils pouvaient difficilement approuver cette ligne. Mais comme au moment des faits, Obama n'était pas encore élu ; cet incident montre que la future politique pro-islamiste était déjà en gestation. 

C'est d'ailleurs une constante de la politique américaine dans cette région que de soutenir les franges les plus radicales de l'islam, depuis le pacte passé sur le croiseur Quincy le 14 février 1945 entre le président Roosevelt et le roi d'Arabie, Ibn Séoud. Or la monarchie saoudienne a toujours protégé et financé les courants salafistes les plus radicaux du monde arabe. 

S'agissant de l'exode des chrétiens de Syrie, il passe généralement par le Liban. Or, sans que cette fois les Américains y soient pour quelque chose, les agences de services et de traduction (payantes) par lesquelles les candidats à un visa pour l'Occident doivent passer sont notoirement tenues par des musulmans sunnites qui favorisent leurs coreligionnaires et défavorisent les chrétiens.

Quand le pape est venu à Lesbos, il a pris avec lui trois familles syriennes, toutes musulmanes, ce qui a choqué. Son secrétariat a fait savoir que les chrétiens n'avaient pas les papiers en règle. Voilà l'explication.

Quel est l'intérêt pour l'administration Obama/Clinton de placer des musulmans d'orient à des positions de pouvoir au dépit des chrétiens d'orient ? Pour quelles raisons sont-ils écartés au profit des musulmans parfois radicaux ?

Roland Hureaux : Il faut se replacer au moment où ces décisions ont été prises : Obama n'est pas encore élu mais il prépare ses équipes. Comme le vote est très communautaire aux Etats-Unis, il se peut que le candidat démocrate ait reçu le soutien des musulmans américains mais que les chrétiens venus du Proche-Orient aient plutôt joué les républicains (ce sont des communautés de faible importance qui ne pèsent ni l'une ni l'autre d'un poids décisif dans le vote).

Cela est en conformité avec un clivage très ancien. Face à la guerre d'Algérie, Eisenhower (républicain) était resté relativement neutre alors que Kennedy (démocrate) s'engagea, sitôt élu, à fond du côté du FLN, obligeant le général de Gaulle à précipiter l'indépendance, ce qui, au passage, montre la stupidité de ceux qui, par hostilité à la politique algérienne du général, se sont jetés dans l'atlantisme.

Mais le tropisme pro-musulman du gouvernement américain s'est accentué au cours des dernières années, comme le montre la politique étrangère du couple Obama-Clinton.

Il est vrai que le demi-frère d'Obama, Abon'go Malik Obama est trésorier d'une association missionnaire islamiste au Soudan. Mais je ne crois pas que ces instructions discriminatoires soient venues du Président : parce qu'il s'appelle Barack Hussein, parce que ses ennemis n'ont cessé de dire que, quoique officiellement protestant, il était en réalité un musulman caché, il n'avait pas intérêt à en faire trop en faveur des musulmans. Et encore, en pleine campagne, serait-il descendu dans ces détails ?

Je crois qu'il faut regarder plutôt du côté d'Hillary Clinton : sa plus proche conseillère, Huma Abedin, est une musulmane américaine dont la mère dirige les Sœurs musulmanes en Arabie saoudite et travaillait avec l'épouse du président égyptien islamiste Mohamed Morsi. Son frère Hassan est le conseiller spirituel d'Al-Jazeera.

Quant à Podesta il a été le lobbyiste attitré du Royaume d'Arabie saoudite au Congrès pour la modique somme de 200 000 dollars mensuels.

Hillary Clinton n'a cessé de favoriser les Frères musulmans ayant une affection particulière pour Erdogan et Morsi.

Elle appartient encore plus qu'Obama à cette gauche américaine postmoderne qui, reniant les valeurs chrétiennes sur certains points essentiels comme l'avortement ou le mariage homosexuel qu'elle soutient à fond, trouve bon de transcender ses propres origines en prenant le parti de l'autre, le musulman en l'occurrence. 

Nous connaissons cet état d'esprit en France. Le comportement de l'administration américaine ne devrait pas surprendre un Cazeneuve, notre ministre de l'Intérieur, qui s'agite aujourd'hui pour caser dans les communes les 8 000 réfugiés de Calais, en majorité musulmans, mais qui, il y a quelques mois, déconseillait à un maire de recevoir chez lui des chrétiens d'Orient. 

Alors qu'elle avait la mission historique de les protéger, la France est le pays qui en a reçu le moins au cours de ces dernières années ! 

En gros, la politique américaine des néo-conservateurs (les Clinton, Bush fils et Obama) peut s'expliquer par une alliance entre les Etats-Unis et le monde islamique contre la Russie. Dans ce triangle, l'Europe est un champ de bataille, pas un acteur que l'on prenne en considération. La position exprimée par Trump est différente : il propose, lui, un rapprochement avec la Russie contre l'islamisme . Affaire à suivre donc.

Suite aux révélations de WikiLeaks qui expliquent que l'administration Obama aurait favorisé les réfugiés musulmans, un pan de l'électorat chrétien accuse les démocrates de manipulation. Cette polémique sur la discrimination des chrétiens d'Orient au profit de musulmans survient après celle des emails demandant un "Printemps chrétien". Ces critiques envers les démocrates vous semblent-elles légitimes ? D'où émanent-elles ?

Blandine Chelini-Pont : Il y a plusieurs choses : d'un côté les critiques concernant l'accueil défavorable que recevraient les chrétiens d'Orient aux Etats-Unis, au profit des Syriens musulmans qui sont très majoritaires ; de l'autre les critiques privées du directeur de campagne d'Hillary Clinton qui pour résumer considère que cela ferait du bien si les catholiques se dépoussiéraient un peu. Ces critiques existent et sont situées : elles concernent une partie militante, même si pas majoritaire, qui est celle du catholicisme conservateur. Cette frange du catholicisme américain est en désamour du parti démocrate depuis des années.

Depuis 2008 et l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, il y a eu un réajustement de la politique envers l'Islam, avec une volonté de se présenter au monde musulman comme un pays ouvert, comme un pays où les musulmans sont très bien traités et où le modèle américain séculariste joue son rôle protecteur des minorités, et particulièrement des musulmans. C'est pour cela que le Président a désigné un représentant spécial à ses côtés auprès des communautés musulmanes, et un autre auprès de la Conférence islamique… c'est une politique générale qui s'est mise en place pour rompre avec la logique de guerre de civilisation qui s'était affirmée sous George W. Bush.

Mais de façon corrélée, il y a eu depuis les années 90 un mouvement très fort aux Etats-Unis de défense des Chrétiens persécutés dans le monde. La loi IRFA de 1998 sur la liberté religieuse dans le monde partait de cette militance relayée par les Républicains. L'idée est que les Etats-Unis ont un rôle important dans la défense des chrétiens dans le monde, et ce à cause de la montée généralisée de l'islamisme.

Ces manifestations de crainte et de reproches envers l'administration Obama sont à mon sens la continuation de ces mouvements plus ou moins récents. Mais elle n'est pas majoritaire, et est très soutenue par les milieux chrétiens conservateurs, émanant de ce qu'on appelle la "droite religieuse".

Avec les minorités latinos et avec la forte implantation de catholiques partout dans le pays, leur vote pourrait être important dans ces élections. Existe-t-il à proprement parler un vote catholique ? Pour qui penchent-ils ?

Blandine Chelini-Pont : Il me semble que ce vote catholique existe et est assez décisif. On sait que généralement celui qui dispose du vote catholique l'emporte, et ce depuis des années. Les analystes américains ont ajouté ce vote religieux à leur panel d'outils d'appréhension de la vie politique. Une personne comme Ted Jelen est par exemple connue pour ses statistiques sur le vote catholique. Toute une littérature existe sur le sujet, et on peut la prendre au sérieux.

Jusqu'aux années 50, le vote était démocrate. Mais dans le sillage de la rupture sociétale des années 60, le vote catholique va éclater et se tourner progressivement vers les Républicains. La sécularisation des Catholiques va aussi encourager ce passage aux Républicains.

A partir du basculement des années 70, qui se fait essentiellement sur les questions éthiques, morales, intellectuelles et familiales, s'appuyant sur l'émergence de la droite religieuse sur des thèmes politiques autour de la dénaturation du christianisme américain et des thèmes comme l'avortement, le mariage homosexuel ou la bioéthique. Ronald Reagan a été élu sur ces thématiques. Les Républicains garderont cette majorité sans discontinuer, exception faite de Clinton qui a bénéficié d'un léger basculement du vote catholique (51%). Mais on est loin de Kennedy (qui était catholique) ou Roosevelt (le grand amour des Catholiques américains). Barack Obama reprend la main sur cet électorat, à chaque fois avec un score de 51%. Cela s'explique principalement par les désillusions qu'ont apporté la double présidence Bush, marquée par des guerres souvent désavouées par les Catholiques, et la personnalité de bon père de famille de Barack Obama, qui fait revenir sur la scène la figure du démocrate croyant. Paradoxalement, les Catholiques continuent cependant à voter pour les Républicains au Congrès.

Mais avec Donald Trump, on peut s'attendre à une vague démocrate, étant donné évidemment sa personnalité, mais aussi l'importance de ses attaques contre les latinos, majoritairement catholiques. Et ce même s'il faut atténuer l'importance de ce vote, très souvent surreprésenté, comme le montre Olivier Richomme qui a travaillé sur le sujet : une grande partie des latinos ne votent pas, parce qu'ils n'ont pas de papiers. Son analyse est qu'on exagère leur importance d'un point de vue médiatique.

Alors évidemment, tous les catholiques ethniques outre les Latinos, que ce soit les Philippins, les Asiatiques, votent généralement pour les démocrates. Mais aujourd'hui, même chez les Catholiques qui votent généralement pour les Républicains, la personnalité de Donald Trump ne passe pas. Ce qu'il dit sur les immigrés, sur les femmes ne passe pas, contrairement aux Évangéliques, car il existe malgré tout un fibre sociale chez les catholiques américains, même conservateurs.

Qui de Donald Trump ou Hillary Clinton a le mieux ciblé l'électorat catholique aujourd'hui ? Et le vote chrétien en général ?

Blandine Chelini-Pont : Ce qui est intéressant, c'est que les deux candidats ont des colistiers catholiques, mais qu'on a l'impression que leur intérêt pour le vote catholique vient finalement assez tardivement. Il faut savoir que cette campagne a donné peu d'importance à la religion, comparativement beaucoup moins que d'autres campagnes. La seule personnalité qui a porté ces questions a été Ted Cruz, mais battu par Donald Trump, elles ont été finalement évacué du débat. 20% des électeurs se déclarent aujourd'hui non croyant, ce qui est une transformation importante de l'électorat, alors qu'on avait un pourcentage plus proche de 7 ou 8%.

Hillary Clinton a peu ciblé les catholiques, et Donald Trump ne semble même pas donner l'impression qu'il sait de quoi il s'agit. Les catholiques vont voter pour le moins mauvais des candidats aujourd'hui, et donc contre le plus anticatholiques d'entre les deux comme le montre la déclaration des évêques américains, qui s'étaient pourtant fait remarquer ces dernières années par un conservatisme important et une parole très intrusive. Ces derniers en appellent aujourd'hui à un vote de conscience.

Hillary Clinton profite de la personnalité de son adversaire et d'un certain rééquilibrage du vote catholique pour les démocrates plus que pour elle. Elle bénéficie aussi de la perdition des Évangéliques, qui constitue la plus grande partie de l'électorat de Trump, mais qui est de moins en moins décisif. Et qui est en train d'exploser corrélativement à la campagne désastreuse de Donald Trump.

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