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Justin Trudeau au pays de Donald Trump : quand les deux pôles les plus opposés de la politique nord-américaine se rejoignent
©Reuters

Le Yin et le Yang

Reçu ce jeudi soir à la Maison Blanche dans le cadre d'un dîner (souper, devrait-on dire !) officiel avec Barack Obama, le Premier ministre canadien incarne une ligne résolument différente de celle de l'actuel président américain. S'il pourrait (de loin) être pris pour Trump, les deux personnalités politiques divergent en bien des points.

Mathieu Bock-Côté

Mathieu Bock-Côté

Sociologue, enseignant, essayiste et chroniqueur québécois. Mathieu Bock-Côté a publié en 2016 Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf.

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Atlantico : Justin Trudeau est invité à dîner à la Maison Blanche ce jeudi 10 mars, où il devrait notamment évoquer avec Barack Obama les questions des frontières et de la sécurité. Sur ces deux thèmes, le Premier ministre canadien n'incarne-t-il pas l'exact opposé de la ligne actuellement en vogue chez les supporters de Donald Trump, possible candidat à la succession d'Obama ?

Mathieu Bock-Coté : Justin Trudeau s’imagine le Canada à la manière d’un pays à la diversité de carte postale, sorte de Disneyland cosmopolite et multiculturel censé faire l’envie du monde entier, en lui servant de modèle. Le Canada n’est pas une grande puissance, mais il se représente à la manière d’une superpuissance morale en bonne position pour faire la morale au monde entier. Le Canada n’est pas un pays comme les autres : c’est un pays qui croit avoir résolu certaines contradictions fondamentales dans l’histoire de l’humanité. Dans ses frontières, les langues, les cultures et les peuples cohabiteraient naturellement, sans problème, en faisant l’expérience d’une diversité féconde. Ici, les cultures n’auraient pas besoin de frontières séparatrices et civilisatrices pour cohabiter.

En fait, on devrait peut-être moins parler du Canada que de l’idéologie canadienne, associée principalement au Parti libéral du Canada, tel qu’il a été transformé, depuis la fin des années 1960, par Pierre Elliot Trudeau, le père de l’actuel premier ministre. Cette vision, Trudeau est parvenu à l’inscrire dans la constitution canadienne, celle de 1982, que le Québec n’a toujours pas signée, soit dit en passant. Les conservateurs de Stephen Harper ont été au pouvoir à Ottawa de 2006 à 2015 : ils ont toujours été considérés fondamentalement comme des intrus par les médias canadiens et par la fonction publique fédérale. On imaginait leur règne comme une désagréable parenthèse, nuisible à la splendide réputation du pays. Lorsque les libéraux ont repris le pouvoir, un peu par surprise, à la fin 2015, il y avait dans l’air un parfum de restauration : enfin, le Canada redeviendrait admirable à la grandeur de la planète, enfin, il pourrait renouer avec sa mission civilisatrice universelle.

Évidemment, la réalité est loin de ce portrait idyllique : par exemple, le Canada s’entête à ne pas reconnaître constitutionnellement l’existence de la nation québécoise, qui est pourtant un des deux peuples fondateurs du pays. Ce n’est pas un détail : cela empêche le Québec d’assurer une véritable défense de sa langue et de sa culture, cela l’empêche aussi de mettre de l’avant sa propre politique d’intégration, conforme à sa vision de la nation. Le Canada enferme le Québec dans la logique du multiculturalisme: on le traite comme une communauté parmi d’autres dans la diversité canadienne. D’ailleurs, le Canada de Trudeau pousse le multiculturalisme jusqu’au délire. Par exemple, une femme s’est récemment battue devant les tribunaux pour avoir le droit de porter son niqab lors de son serment de citoyenneté. Elle a gagné.Une députée libérale, membre de la majorité gouvernementale, l’a même présentée comme une femme inspirante qui représenterait bien la cause des femmes à notre époque. L’idéologie canadienne radicalise comme jamais l’individualisation de l’identité : si quelqu’un demande un accommodement raisonnable devant les tribunaux au nom d’une croyance ou d’une conviction sincère, en général, il l’obtiendra. Cela pousse naturellement à une fragmentation du pays, qui n’a plus d’autre identité collective que la Charte des droits et liberté, qui est sacralisée, dans la politique canadienne. Il faut dire que le Canada est un pays qui a renoncé à son histoire binationale, celle de ses deux peuples fondateurs, pour se refonder dans l’utopie multiculturaliste. Aujourd’hui, il croit être fidèle à ses idéaux en poussant toujours plus loin cette vision.

Alors pour répondre directement à votre question : rien n’est plus opposé à Donald Trump que Justin Trudeau. Et s’il y a d’excellentes raisons de se méfier des deux, elles ne sont évidemment pas de même nature.

Alors que les problématiques sociologiques du moment sont sensiblement les mêmes au Canada et aux États-Unis, Justin Trudeau et Donald Trump ne partagent-ils pas également des méthodes similaires de communication politique ? 

Non. Pas du tout en fait. La communication de Justin Trudeau repose sur une peopolisation radicale de la politique. Justin Trudeau voit la politique comme une extension du showbiz, où domine ou doit dominer la logique des bons sentiments. Justin Trudeau réduit peut-être la politique à la communication, mais il s’agit d’une communication qui pousse plus loin que jamais la rectitude politique. Le système médiatique l’adore, les journalistes roucoulent devant lui. Il incarne l’époque. Trump mise sur une stratégie contraire. Il transgresse consciemment et systématiquement tous les tabous de notre époque en espérant diriger vers lui les foudres médiatiques et la colère des élites, puis se présenter devant le peuple, ou du moins, devant une bonne partie de l’électorat, comme le grand contradicteur du système, comme l’homme courageux qui se dresse contre les puissants et les interdits du moment. Plus on le rejette dans l’Amérique d’en haut, plus il souhaite rallier l’Amérique d’en-bas. Il s’alimente de la haine et du mépris des élites à son endroit, tout en incarnant, pour bien des Américains, la figure du milliardaire accompli, qui ne dépend de personne, et qui peut défier le système comme il veut. Évidemment, pour que cette stratégie fonctionne, il faut qu’une part considérable du corps électoral se sente en situation d’insurrection politique potentielle contre ses élites, il faut que les tensions entre les classes populaires et les représentants du système soient très fortes et très vives. C’est le cas aux États-Unis.

De ce point de vue, Trudeau et Trump représentent en fait les deux pôles les plus opposés qu’on puisse imaginer de la communication politique.

Trudeau flatte les libéraux, Trump les conservateurs, mais finalement ne sont-ils pas autant l'un que l'autre les symptômes de la crise du politique qui touche actuellement l'Occident ?

Trudeau flatte effectivement les libéraux, mais je ne dirais pas que Trump flatte les conservateurs. Dans la présente course chez les républicains, le mouvement conservateur a tendance à se  méfier de lui. Trump flatte plutôt les électeurs qui se sentent largués par le système politique et qui sont réceptifs à la fois à un discours patriotique sur la grandeur de l’Amérique, qui touche aux questions comme l’immigration ou la crise de la mondialisation. Le créneau de Trump, c’est moins le conservatisme que le nationalisme. Trump incarne pour eux le désir du volontarisme politique : dans un pays bloqué, où on s’imagine que les élites politiques sont occupées à gérer les privilèges de l’oligarchie, il représente à la fois un homme à poigne et un coup de balais contre les élites en place. Pour le dire à l’américaine, Trump hérite davantage de la Buchanan Brigade que du Tea Party.

Cela dit, pour répondre directement à votre question, oui, Trudeau et Trump, chacun à leur manière, incarnent cette crise du politique. Trudeau l’incarne par son adhésion presque fondamentaliste à la rectitude politique. Il aime passionnément un modèle qui partout, est rejeté, et partout, pousse les sociétés occidentales au déclin. Trudeau est le contre-modèle d’une politique renouant avec les réalités. Du côté de Trump, c’est autre chose. Par sa grossièreté, sa vulgarité, son esprit non seulement polémique mais querelleur et son désir d’humilier tous ceux qui s’opposent à lui, il se comporte comme un voyou. Il falsifie l’esprit conservateur, si on tient à tout prix à l’associer à cette étiquette. Il ne s’agit pas de le fasciser artificiellement, mais de constater que si nos sociétés ont certainement besoin de renouer avec la souveraineté populaire et avec une politique de l’identité nationale, cela ne pourra ni ne devra se faire à travers un mouvement ressemblant à celui qui porte et qui est porté par Donald Trump. 

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