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Ces résultats soulignent avant tout l’ampleur du soutien électoral à La France insoumise dans les banlieues populaires, au sein desquels le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon s’impose nettement comme la première force électorale.
Ces résultats soulignent avant tout l’ampleur du soutien électoral à La France insoumise dans les banlieues populaires, au sein desquels le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon s’impose nettement comme la première force électorale.
©Sameer Al-Doumy / AFP

Electoralisme

Selon des informations du Canard enchaîné, lors des résultats des élections européennes, La France insoumise a réalisé de très bons scores dans les banlieues et en périphérie de certaines grandes villes dans le 93 et le 78 notamment.

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est Directeur Conseil chez Odoxa.

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Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : Selon des informations duCanard enchaîné, lors des résultats des élections européennes, La France insoumise a réalisé de très bons scores dans les banlieues et en périphérie de certaines grandes villes dans le 93 et le 78 notamment. Dans le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie, 83 % des électeurs ont voté pour LFI. En quoi le vote LFI, influencé par le soutien à la cause palestinienne et avec la candidature de Rima Hassan aux européennes, pourrait modifier le paysage politique ? Où pourrait mener ce vote, notamment dans le cadre d’une présidentielle en se projetant dans le temps ? Le poids de ce vote pourrait-il être plus important en 2027 et permettre d'obtenir une majorité ?

Erwan Lestrohan : Ces résultats soulignent avant tout l’ampleur du soutien électoral à La France insoumise dans les banlieues populaires, au sein desquels le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon s’impose nettement comme la première force électorale. Si l’on prend le cas de la Seine-Saint-Denis par exemple, 37% des votants y ont voté pour la liste de Manon Aubry dimanche soir contre 11% en 2019. Ce résultat peut également être mis en parallèle avec le score très élevé de Jean-Luc Mélenchon au 1er tour de l’élection présidentielle de 2022 (49,1%), dans un contexte décorrélé de la question palestinienne. 

Au-delà de l’enseignement central qui est le fort ancrage insoumis dans les banlieues populaires, ces résultats n’indiquent pas non plus une poussée nationale et doivent être relativisés pour deux raisons. Tout d’abord, La France Insoumise réalise des scores élevés dans de nombreux territoires fortement abstentionnistes ce qui signifie que si elle y est nettement majoritaire… ils sont faiblement « pourvoyeurs de votes » au niveau national. Si l’on prend à nouveau le cas de la Seine-Saint-Denis, uniquement 43% des inscrits sur les listes électorales y ont voté dimanche soir soit une participation inférieure de 8 points à la moyenne nationale. Ainsi, La France Insoumise y est hégémonique mais elle n’y a capté que 130 000 suffrages quand, à titre de comparaison, la liste de Jordan Bardella a obtenu plus de 270 000 voix dans les Bouches du Rhône en y réalisant un score pourtant équivalent (36,9%) à celui de LFI dans le 93.

Jean-Paul Gourévitch : Selon un sondage IFOP  pour La Croix, 62% des électeurs musulmans qui se sont déplacés aux Européennes auraient voté pour La France Insoumise, contre 8% pour Glucksmann, 6% pour le Rassemblement National et 6% pour Renaissance. A comparer avec les 69% de votants musulmans qui, selon des études précises, auraient apporté leurs suffrages à Jean-Luc Mélenchon au premier tour des présidentielles de 2022.  Ces chiffres doivent toutefois être pris avec circonspection. Une élection européenne ne véhicule pas les mêmes enjeux qu’une élection présidentielle et il existe un biais entre la réponse à un sondage sur le vote, y compris sur celui qu’on vient de finaliser, et le vote lui-même.  

L’analyse des résultats nécessite de se focaliser sur les villes où la population musulmane est globalement majoritaire. Dans ce cadre et dans l’emblématique 9.3, les votants ont représenté 43,33% des inscrits, bien en dessous de la moyenne nationale et la liste LFI a obtenu 37,13% des suffrages ce qui constitue son  record.  Mais si on sélectionne les villes où la population musulmane est de très loin la plus nombreuse, on atteint pour LFI des scores de 47,3% à Sevran, 52,6% à Stains, 53% à Bobigny, 58,1% à La Courneuve. On pourrait faire la même observation dans d’autres départements de la couronne parisienne avec 52,8% à Gennevilliers et 56,6% à Argenteuil. Et même en province où LFI atteint 42,8% à Roubaix.
Il faut toutefois apporter à cette analyse deux correctifs. Toutes ces villes citées ont une très longue tradition ouvrière, très souvent communiste, ce qui n’est pas contradictoire avec le vote musulman mais en module l’impact. D’autre part LFI a « asséché » les votes pour ses alliés d’extrême-gauche qui visent en partie la même clientèle comme le Nouveau Parti Anticapitaliste qui peine à atteindre les 0,5%. Reste que la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui était de transformer le vote pour les européennes en un référendum sur Gaza a exercé une influence indéniable sur le vote musulman.
Pour l’avenir et par souci de cohérence scientifique, je me refuse, comme vous le savez, à faire des prévisions sur trois ans. Démographiquement, l’augmentation continue de la proportion de musulmans en France, à moins d’un séisme, ne peut que se poursuivre.  Ce qu’il faudra observer, c’est comment elle se traduira dans les urnes. Est-ce que la participation de l’électorat musulman se rapprochera de la moyenne nationale ? Et quels seront ses votes en fonction des futurs rapports de force entre les diverses composantes de ce qui constitue aujourd’hui le Nouveau Front Populaire ? 

Quelle pourrait être l’influence de ce vote “Gaza”, de ce vote LFI sur les rapports de force politique gauche - droite et au cœur de la gauche ?

Erwan Lestrohan : Au-delà de la question de l’existence d’un « vote Gaza », levier dont la force de mobilisation électorale est difficile à mesurer, la centralité de La France Insoumise sur certains territoires la place nécessairement en position de force au sein de l’union de la gauche. Stratégiquement, l’existence de circonscriptions aisément gagnables est un atout non négligeable pour le Front populaire en vue d’élections qui s’annoncent fortement disputées. Un atout d’autant plus important que l’alliance de gauche dispose de peu de territoires où elle est hégémonique. Sur le plan purement électoral, les bons scores réalisés par La France Insoumise dans les banlieues populaires lui assurent donc une certaine prééminence dans les négociations sur les investitures dans les 577 circonscriptions législatives à répartir entre PS, PCF, LFI et Les Ecologistes.

Sur le plan idéologique, la spécificité des positions de certains élus Insoumis sur le conflit israélo-palestinien radicalise l’image de LFI et pèse mécaniquement sur la capacité de l’union de la gauche à rassembler largement tout son électorat potentiel en mettant à distance la gauche modérée. En octobre 2023 par exemple, 75% des sympathisants PS et 42% des sympathisants Ecologistes estimaient que leurs mouvements devaient quitter la NUPES pour exprimer leurs désaccords avec la France Insoumise à propos de l’attaque du 7 octobre contre Israël. Dans le même ordre d’idée, les manifestations propalestiniennes ont plutôt tendance à braquer les Français : 7 sur 10 d’entre eux (et plus de la moitié des sympathisants PS et Verts) y sont défavorables et les identifient comme un trouble à l’ordre public… alors que 70% des sympathisants LFI y sont favorables (sondage IFOP pour le CRIF).

Ainsi la radicalité de La France Insoumise peut nécessairement desservir la performance du Front populaire dans les urnes et bénéficier à ses concurrents électoraux aux postures plus consensuelles sur le sujet que sont la majorité présidentielle et le RN. Néanmoins, il existe à gauche une sensibilité transversale à la cause palestinienne, bien que parfois plus modérée dans son expression, et la période récente ne semble pas avoir dégradé l’intention des sympathisants de gauche « non-insoumis » à s’allier avec ce mouvement. Dans notre sondage du 11 juin, 82% des sympathisants de gauche étaient favorables à une alliance entre le Parti socialiste, La France Insoumise, Les Ecologistes et le Parti communiste… à un niveau parfaitement équivalent à celui que nous mesurions en mai 2022 (84%).

L’influence et le poids de ce vote pourraient-il conduire ou contribuer à la libanisation du pays au regard du vote dans les banlieues ou dans certains quartiers prioritaires ? 

Jean-Paul Gourévitch : Nul ne sait ce qui se passera d’ici quelques mois sur les terrains de conflits du Proche-Orient. En revanche, dans ce domaine, la stratégie et la personnalité même deMélenchon expliquenten partie la percée de Raphael Glucksmann qui a profité du rejet par une partie de la gauche des outrances de certains porte-parole de la LFI.

Aujourd’hui la donne est différente. Glucksmann est pour le moment hors-jeu et personne ne sait si ses électeurs en feront grief au Nouveau Front Populaire ou s’ils trouveront leur place dans une nouvelle dynamique qui peut générer une espérance  débordant les frontières de l’électorat traditionnel de la gauche et ramenant vers la politique ceux qui s’en sont dégoûtés.
Au-delà même des échéances électorales du 30 juin et du 7 juillet, l’archipellisation de la carte électorale est un fait acquis. Faute d’un projet de société susceptible de solidariser et de vivifier la majorité de la nation et notamment sa jeunesse, ce que les uns appellent « les  banlieues populaires » et les autres « les territoires perdus de la République »  exprimeront des votes spécifiques, irréductibles à toute standardisation nationale. Ceci avec d’autant plus de force qu’ils nourriront  toujours le sentiment d’être des laissés pour compte  et de ne pouvoir se fier qu’à ceux qui proclament bien haut que leur combat est légitime.

Erwan Lestrohan : Dans la mesure où le soutien à la cause palestinienne n’est pas uniquement partagé dans les quartiers prioritaires cette hypothèse est peu solide aujourd’hui, l’affrontement se situant aujourd’hui plus dans le champ politique et du débat d’idées que dans des antagonismes territoriaux profonds. En revanche, la prise de positions radicales par les formations politiques est susceptible de consolider les frontières entre les différents espaces politiques. Et ce point est particulièrement important alors que nous nous dirigeons vers une élection à deux tours où disposer de bons reports de vote des électeurs des candidats éliminés au 1er tour est un enjeu stratégique. Sur ce plan, on peut légitimement se demander si les positions controversées de certains élus LFI sur le conflit israélo-palestinien ne sont pas de nature à isoler le bloc de gauche et à dégrader sa capacité à remporter certaines circonscriptions en pesant sur le soutien inconditionnel de tout son socle électoral et sur de potentiels votes « de barrage » au RN (ou à la majorité présidentielle).

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