Jour des morts : et si le Covid avait prouvé que nous avions plus peur de la vieillesse que de la mort ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme âgée se promène dans le jardin d'un EHPAD en Haute-Goulaine, près de Nantes, le 30 mars 2021.
Une femme âgée se promène dans le jardin d'un EHPAD en Haute-Goulaine, près de Nantes, le 30 mars 2021.
©LOIC VENANCE / AFP

Toussaint

Les personnes âgées ont été délaissées lors de la crise sanitaire. Des manquements ont été constatés dans les Ehpad ainsi que pour les rites funéraires. Avons-nous plus peur de la vieillesse que de la mort elle-même ?

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : La crise du Covid a entraîné des manquements envers les personnes âgées, par exemple dans les Ehpad ainsi que des manquements aux rites funéraires ? Comment expliquer ce phénomène ? Est-il inquiétant qu’on ait ainsi laissé faire ?

Damien Le Guay : En ce qui concerne les EHPAD, on a vu qu'il y avait un confinement indispensable, et à la fois, quelque chose qui s'est retourné dans ses résidents, lorsqu'on a instauré une distance, une barrière, qui a séparé les résidents de leur propre famille. Cette situation est difficile à comprendre, considérant qu'à un certain âge, les raisons de vivre, c'est-à-dire ce qui nous maintient en vie, tiennent pour l'essentiel, soit aux liens que l'on a avec les autres résidents, soit avec sa propre famille. Couper les liens avec les autres résidents et ceux avec la famille, sur une durée trop longue, c'est comme si vous coupiez une fleur pour la mettre dans un vase vide. Il y a donc eu cette défaillance du système, qui a empêché sur une durée trop longue à maintenir ces liens sociaux indispensables.

Ce phénomène que l'on retrouve sur d'autres sujets est inquiétant. La raison hygiéniste a pris le pas sur les autres considérations. On considère deux choses, la vie biologique, celle du corps, et la raison de vivre. Quand vous maintenez la vie biologique, vous devez dans certaines situations les raisons de vivre des personnes en EHPAD, mais aussi de toutes celles qui sont en fin de vie, dans les hôpitaux, etc. Il y a eu une forme de primauté de la raison hygiéniste au détriment de la raison de vivre. C'était une faute, mais surtout, une forme d'incompréhension et d'aveuglement anthropologique quant aux raisons des uns et des autres de se maintenir en vie.

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Faut-il voir dans les comportements lors de la pandémie de Covid-19 un révélateur d’une peur de la proximité avec les mourants ? La vieillesse et la maladie, sont-elles des craintes fondamentales ? Qu’est-ce qui les motive ?

Vous avez une considération générale qui est que le troisième âge n'a plus complètement sa place dans la société. Ça ne veut pas dire qu'on ne s'en occupe plus, qu'on ne les considère pas ou qu'on les maltraite. La vieillesse est considérée comme une forme d'obsolescence des personnes, dans des sociétés qui valorisent depuis longtemps le plein âge, et la vie active.

La deuxième chose, c'est que toute l'attention que l'on a et toutes les réformes que l'on met en place sur la cinquième branche, le mode de financement, montre qu'on leur saupoudre un peu d'attention par moments. Nous ne sommes pas complètement dans cette urgence du troisième âge qui mériterait que l'on s'y intéresse plus.

La troisième considération, c'est que les personnes du troisième âge sont plutôt dans des considérations de relégation sociale. Elles ne sont plus ces personnes dans la maison, la vie de famille, la vie commune. Elles sont essentiellement entre elles plutôt dans à l'extérieur des villes. Les EHPAD ne sont pas des lieux de vie. Il y a donc ce côté à la fois relégation sociale et urbaine.

Avons-nous plus peur de la vieillesse que de la mort elle-même ?

De manière générale, et c'est une réalité heureuse, nous vivons tous plus longtemps. Et grâce aux progrès de la médecine, on maintient les corps, mais ses progrès ne sont pas encore assez puissants pour guérir ou atténuer les maladies dégénératives du cerveau. Ce sont développées depuis quelques années, des personnes âgées en déficience, ou en altération, trouble cognitif, ce qui n'existait pas avant. La mort intervenait avant que ces situations n'arrivent. La peur de la dégénérescence cognitive est une vraie peur, et sa nature inquiète les concitoyens, elle fait en sorte que nous voulions trouver des solutions, comme l'euthanasie (qui arrivera malheureusement en France). L'euthanasie est comme une réponse à des progrès médicaux qui sont puissants. Assez puissants pour maintenir les corps sans le cerveau.

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Finalement, il existe la peur de la mort, cette peur ancestrale. Pour l'instant, nous vivons toujours sous son règne, mais qui sait ce que le transhumanisme nous réserve ? Il est vrai qu'il y a un lien direct entre l'angoisse de la mort et l'absence d'assurance religieuse que nous nous donnions. Vous aviez 25 % de croyance catholique en France il y a 50 ans. Maintenant, nous sommes à 5 %. Le bouclier symbolique de la religion ne fonctionne plus comme il a fonctionné. Cependant, on voit bien qu'au moment de la mort, la question religieuse revient. 50 % des Français se disent athées, mais 75 % des obsèques en France ont une connotation religieuse, donc cette question du décuplement entre la mort et l'assurance religieuse est un vrai problème qui ne fera que croître avec la baisse de croyance que l'on peut imaginer.

Comment renouer avec un meilleur accompagnement des personnes en fin de vie et avec les rites funéraires ? La Toussaint, est-elle l’occasion pour le faire ?

Lorsqu'on considère la fin et vie et le Covid, nous avons assisté, et pas toujours de façon positive, une forme d'aveuglement réglementaire. D'approches bureaucratiques de situations qui se devaient d'être mises en dehors du droit commun, ou en dehors de la chappe de plomb hydiéniste qui s'est abattue sur la France.

À l'évidence, on ne meurt qu'une fois, le deuil ne se diffère pas, et ce qui n'est pas fait sur le moment n'est pas de nature à enclencher un deuil le moins mal fait possible.

Nous avons eu de vrais manquements, et il faut avoir une vraie réflexion pour faire en sorte que l'accès aux personnes en fin de vie ou aux personnes mortes soit un droit inaliénable, et qui s'opposent à toutes les autres formes de considérations. Il y a un amendement qui a été accepté par le sénat à ce sujet récemment, pour faire évoluer les choses, pour les aménagements possibles avec le Covid, qui n'est évidemment pas une maladie aussi contagieuse que la lèpre ou la peste. Il y a eu un conflit entre le politique et la voix d'Antigone.

On le voit souvent, il faut plus de 6 mois pour développer juridiquement quoi que ce soit à ce sujet-là. Tout ce qui a été fait, comme pour le père de Stéphanie Bataille, où les personnes qui ont permis cela se sont réfugiées derrière les réglementations, dictées par l'Etat.

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