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Joseph Mitterrand, (père de François), une "apparence froide et austère" doublée d'une "foi catholique ardente"
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Bonnes feuilles

En s'appuyant sur le souvenir de récits, Frédéric Mitterrand a cherché à reconstituer l'enfance de François, à partager ses premières affections et ses chagrins, ses émotions et ses ambitions. "J'en ai conçu une profonde nostalgie pour ce pays de l'innocence qui fut celui de sa prime jeunesse". (Extrait de "Le Pays de l’innocence" de Frédéric Mitterrand, publié aux éditions Robert Laffont 1/2)

Frédéric Mitterrand

Frédéric Mitterrand

Frédéric Mitterrand est ancien ministe de la Culture et de la Communication. Il est notamment l'auteur de  La Récréation (Prix du livre politique 2014), Une adolescence (2015), Mes regrets sont des remords (2016), et Le Pays de l'innocence (2017) tous parus chez Robert Laffont.

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Frédéric Mitterrand prend la voix de son oncle, François, pour cet ouvrage.

Joseph Mitterrand, mon père, avait trente-trois ans et faisait carrière dans les chemins de fer, l’une des grandes aventures industrielles à cette époque. Il avait perdu sa mère tôt et son père avait veillé à son éducation avec tendresse : bon collège, humanités, diplômes, amitiés sagement bohèmes. Il aimait écrire, jouer la comédie, rêvait de journalisme et de Paris, mais son père ambitionnait pour lui une situation comme celle qui lui avait permis de sortir de la pauvreté. Les chemins de fer, donc, et Joseph, employé à la maintenance, puis souschef de station, mena longtemps une sorte de vie de caserne à travers la France, bien noté, gravissant les échelons de gare en gare. Humbles métayers ou vignerons, les Mitterrand, enracinés dans le Berry, avaient été jetés sur les routes par les convulsions politiques et sociales. Joseph était sans attaches, hormis ses deux soeurs, son père, et une foi catholique ardente qui l’avait conduit à se dévouer comme brancardier à Lourdes et à relire régulièrement les Évangiles. Il avait retiré de ses renoncements une apparence froide et austère quand il était en fait bienveillant, d’esprit ouvert, avec des traits d’humour. On s’accorda très vite : communion des âmes pieuses et, quoique sanctifiée, la chair en partage sans pudeurs inutiles. Maman suivit papa au gré de ses affectations, revenant seulement à Jarnac pour faire ses couches. Le médecin avait prévenu maman : coeur fragile, point trop d’enfants, et elle de répondre vivement : « J’en aurai autant que le Bon Dieu m’en donnera. »

(...)

Elle s’astreignait aussi à une discipline de fer : messe chaque matin à l’aube, quatre méditations par jour, prière du soir, bénédicité avant chaque repas. Pas beaucoup d’effusions : papa était peu porté sur les épanchements et maman n’avait pas le temps. Pour la société bien-pensante de Jarnac, cette famille, avec les petits courant gaiement à la pâtisserie de madame Bérard à la sortie de la messe, était citée en exemple, mais pour quelques bigotes : « À quoi s’occupent-ils donc à faire tous ces enfants, des gens qui paraissent si convenables ? »

J’écoutais les conversations des grandes personnes. Malgré des vies retirées des fracas du monde, on s’entretenait beaucoup des questions politiques. Maman admirait Déroulède et citait ses poèmes mais un voyage en Espagne auprès de l’exilé avec Papa Jules avait tempéré son enthousiasme : elle avait été horrifiée par l’antisémitisme des disciples du grand patriote. Et justement, après que Papa Jules eut un peu hésité, la famille tout entière avait finalement pris le parti de Dreyfus. Pourtant, nous ne connaissions pas de Juifs, on parlait vaguement d’une famille à Jarnac mais on n’en savait pas plus. De toute façon, on était républicains dans la famille, maman avec une nuance de regret pour la fleur de lys et l’horreur des excès de la Terreur, Papa Jules avec enthousiasme, au point d’avoir à peu près convaincu Maman Nini encore méfiante, mon père pour l’instruction publique et la liberté en général. En revanche, la question sociale agitait beaucoup les esprits : oui à la justice, mais non à la violence, au désordre, à l’anarchie.

Extrait de "Le Pays de l’innocence" de Frédéric Mitterrand, publié aux éditions Robert Laffont

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