Jordanie, Israël, Arabie Saoudite... Ou s'arrêtera l’offensive du Califat islamique ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Abou Bakr al-Baghdadi a appelé ses partisans à venger les torts causés aux musulmans à travers le monde.
Abou Bakr al-Baghdadi a appelé ses partisans à venger les torts causés aux musulmans à travers le monde.
©easybranches.co.th/

Grands horizons

En appelant ses partisans à venger les torts causés aux musulmans, al-Baghdadi, récemment auto-proclamé Calife, commence à gagner en popularité dans les cellules djihadistes de plusieurs pays musulmans. Et suite à son annonce invitant les musulmans à le rejoindre en Irak, les pays voisins, et notamment l'Arabie Saoudite, postent des milliers d'hommes à la frontière, faisant de la région une véritable poudrière.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Atlantico : Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), devenu Etat islamique, a appelé ses partisans à venger les torts causés aux musulmans à travers le monde, dans un message sonore rendu public mardi 1er juillet à l'occasion du mois de jeûne du ramadan. Concrètement, que sait-on de ses ambitions ?

Alain Rodier : Ses ambitions sont claires : devenir le chef de tous les croyants. Le roi d'Arabie saoudite, "gardien des lieux saints de l'Islam" (la Mecque et Médine), le roi du Maroc, "commandeur des croyants", Ayman al-Zawahiri, émir historique d'Al-Qaida et bien sûr les chiites qu'al-Baghdadi considère comme des "traîtres" (apostats) vont apprécier. Son projet est de conquérir l'ensemble du monde pour le plier à la conception qu'il se fait de l'Islam. Cela devrait se passer en plusieurs temps.

Tout d'abord, il convient pour lui de s'attaquer à l' "ennemi proche", c'est à dire à l'ensemble du Moyen-Orient après avoir consolidé ses positions sur l'Etat Islamique (EI) situé à cheval sur la frontière syro-irakienne. Les pays les plus fragiles sont le Liban et la Jordanie. Pour ce faire, il utilise trois moyens qui vont crescendo : le terrorisme pour déstabiliser ses cibles, la guerre non conventionnelle pour exploiter les faiblesses de l'adversaire puis, lorsqu'il se sent en position de force (comme lors de la conquête d'une partie de l'Irak), la guerre conventionnelle.

Ensuite, ses visées se tournent contre Israël et le régime égyptien du maréchal Sissi. Il va vraisemblablement avoir recours au terrorisme contre l'Etat hébreu en se servant, au démarrage, du Sinaï comme base de départ car des groupuscules se revendiquant de son idéologie y sont déjà disséminés. Il peut, en même temps, tenter de recruter et de développer des cellules clandestines en Jordanie (où il compte de nombreux adeptes). Idem pour les territoires palestiniens où de nombreux jeunes sont réceptifs à son discours car ils sont extrêmement déçus du peu de résultats obtenus par le Hamas et l'Autorité palestinienne.

Enfin, il ambitionne de s'attaquer à l' "ennemi lointain": le reste du monde. Il peut déjà lancer des coups d'épingle par des actions terroristes, soit importées du Moyen-Orient, (je pense là au Caucase, l'Etat Islamique bénéficiant de nombreux volontaires issus de cette région), en utilisant des combattants européens et américains revenus au pays ou en utilisant des "loups solitaires". Certes, la majorité des "anciens combattants du djihad" retournera vraisemblablement à ses activités antérieures (trafics divers et variés pour la majorité), mais quelques individus déterminés peuvent représenter un risque sécuritaire important.

Je ne pense pas qu'al-Baghdadi croit voir, de son vivant, l'établissement du "califat mondial", mais c'est vraiment son objectif. Il sait que cela devrait prendre plusieurs générations. La conception du temps est totalement différente pour les Occidentaux et pour les Orientaux.

De quels moyens humains et techniques dispose-t-il ?

Il y aurait entre la Syrie et l'Irak environ 25 000 combattants dépendant de l'EI. 10 000 d'entre eux auraient été recrutés récemmentmais ils représenteraient davantage une charge qu'un atout. En effet,  il convient de les faire vivre, de les équiper, de les former et de les encadrer. Cela prend du temps et détourne les plus anciens de leur mission première : le combat. Mais à terme, cela peut constituer une force redoutable.

Toutefois, le terrain à couvrir est important et, 25 000 hommes, ce n'est vraisemblablement pas suffisant. L'EI compte donc sur l'appui des tribus et de mouvements opposés aux pouvoirs en place à Bagdad et à Damas, pour l'aider dans sa tâche. Il compte aussi sur les populations qu'il contrôle. Pour cela, il apporte une certaine aide sociale (nourriture, éducation, soins, justice "islamique") tout en faisant régner la terreur pour décourager les récalcitrants (d'où la "publicité" qu'il mène autour de ses exactions).

En dehors de sa zone, il est de plus en plus populaire au sein des mouvements djihadistes, certains lui prêtant allégeance. Il n'y a pas, pour l'instant, de liens opérationnels mais uniquement idéologiques. Beaucoup d'anciens fidèles d'Al-Qaida se tournent désormais vers l'EI jugé plus porteur. C'est particulièrement vrai en Libye et, dans une moindre mesure, au Maghreb. Curieusement, l'Indonésie serait aussi gagnée par la fièvre initiée par l'EI alors qu'Al-Qaida y avait reçu un écho plus que mitigé. 

Al-Baghdadi a notamment lancé un appel à la conversion et à la guerre sainte (djihad), en demandant à tous les musulmans de se rendre dans son "Etat islamique" de part et d'autre de la frontière irako-syrienne. De son côté l’Arabie saoudite déploie 30 000 militaires à la frontière irakienne. La région peut-elle s'embraser ?

La terre de djihad constituée par le front irako-syrien est déjà embrasée. Mais je pense que l'EI n'a pas actuellement les moyens humains d'aller beaucoup plus loin. Il ne peut, avec les effectifs qui sont les siens, s'aventurer en terre chiite ou dans d'autres pays, du moins de manière conventionnelle. Sa tactique consiste plutôt à infiltrer des éléments pour tenter de constituer des cellules clandestines qui pourront mener, ensuite, des actions terroristes. Le but est aussi de recruter de nouveaux adeptes pour monter des "réseaux" (renseignement, logistique, recrutement puis action).  

Peut-il imposer son "califat" à toute la région ? Quelles en seraient les conséquences ?

Non, pour les raisons évoquées ci-avant. Par contre, son pouvoir de déstabilisation au sein des populations les plus défavorisées (réfugiés, chômeurs, etc.) est important. La balle est maintenant dans le camp des autorités qu'il souhaite abattre : quelle va être leur réaction ? Dans un premier temps, elle est militaire avec un renforcement des dispositifs de contrôle des frontières (Jordanie, Liban, Iran, Arabie saoudite, Turquie, etc.). Dans un deuxième temps, il va leur falloir combattre l'idée même de "califat" et proposer autre chose. Pour les Iraniens, les Israéliens (pour une fois, ces deux Etats se retrouvent confronté à un ennemi commun) et les Kurdes, c'est assez simple : c'est la défense de leur existence même. Pour les Saoudiens, c'est plus compliqué puisqu'il y a concurrence sur le terrain idéologico-religieux.

Ce qui est nouveau, c'est que non seulement les ennemis d'hier sont visés mais que, même les chefs des groupes djihadistes voient leur place menacée : soient il font allégeance à l'EI, soit ils courent le risque d'être renversés par leur base! 

Doit-on s'attendre à une forte augmentation du terrorisme, particulièrement à l'encontre des Etats-Unis ?

C'est à craindre, surtout, dans un premier temps, de la part d'exaltés agissant tout seuls dans leur coin en s'inspirant de la propagande circulant sur le net. Nul doute que la volonté d'al-Baghdadi est de porter la terreur sur le terrain adverse, histoire d'augmenter sa popularité. Il est devenu complètement mégalo, grisé par ses succès initiaux. Et c'est là que réside sa faiblesse. Combien de temps sa popularité va-t'elle durer, surtout au sein de ses alliés "de circonstance" ? De plus, il a de plus en plus d'ennemi qui ne rêvent que d'une chose : le voir transformé en "chaleur et lumière". Des alliances étonnantes risquent de voir le jour dans le but de mener à bien cette mission, pourquoi pas l'Iran, les Etats-Unis, Israël et l'Arabie Saoudite. L'EI ne tient que grâce à al-Baghdadi. Sa disparition signifierait le début de la fin de ce mouvement (qui, il ne faut pas se faire d'illusions, renaîtra de ses cendres sous une autre forme).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !