J. Edgar Hoover : le mystère que Clint Eastwood n’a pas réussi à percer<!-- --> | Atlantico.fr
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John Edgar Hoover, directeur du FBI pendant près d’un demi-siècle, est un personnage qui divise
John Edgar Hoover, directeur du FBI pendant près d’un demi-siècle, est un personnage qui divise
©Warner Bros. France

Trans-Amérique Express

Comme tous les mercredi, Gérald Olivier livre sa chronique sur l'actualité américaine. Cette semaine, coup de projecteur sur J. Edgard Hoover protagoniste ambivalent du dernier long métrage de Clint Eastwood.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Pour Clint Eastwood, les hommes ont leur part de lumière et leur part d’ombre. On se souvient de son film "Chasseur blanc, cœur noir" qui exprimait cette dualité jusque dans son titre.

John Edgar Hoover, directeur du FBI pendant près d’un demi-siècle, se prête parfaitement à cette définition. Côté lumière, Hoover est un policier tenace, brillant, distingué. Côte ombre, c’est un mégalomane inflexible, un égotiste complexé, obsédé par le pouvoir.

Aux États-Unis, le personnage divise. Pour les uns, c’est un justicier qui a voué sa vie à la lutte contre la criminalité et à la protection de l’Amérique. Pour les autres c’est la personnification des abus liés à un État policier. Il serait à lui seul la part d’ombre de toute l’Amérique bien-pensante.

Dans ce contexte, on espérait beaucoup de J. Edgar, le "biopic" que Clint Eastwood vient de lui consacrer, et qui est sorti en France le 11 Janvier. Malheureusement le film déçoit. Il reste superficiel. Ne parvient jamais à briser la carapace du personnage. A lui donner du relief. Il ne parvient pas non plus à éclairer sur l’Amérique du vingtième siècle. Sur ces années cruciales qui vont de la Prohibition à la présidence de Richard Nixon et qui la virent asseoir sa domination du monde.

Homme clé de l’Amérique du vingtième siècle, J. Edgar Hoover est un né en 1895 à Washington D.C. Entré au Département de la Justice en 1919 il en devient, cinq ans plus tard, le directeur de son "Bureau d’Investigation". Fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1972. Dès 1935 le Bureau voit son pouvoir étendu à l’ensemble du territoire fédéral en devenant le "FBI", et Hoover devient l’indéboulonnable premier flic d’Amérique. Celui qui reste quand les présidents passent…

A son poste Hoover entreprend de moderniser les méthodes d’enquêtes policières. Les expertises médico-légales, c’est lui. Le fichier central des empreintes digitales, c’est lui. L’analyse scientifique d’une scène de crime, c’est lui. Les écoutes téléphoniques, c’est aussi lui…

Entré en fonction à l’aube de la Prohibition, alors que le pays affrontait une vague d’attentats anarchistes, et des émeutes ouvrières, il combat à la fois les criminels de droit commun et les opposants politiques radicaux, ceux qui ont recours au terrorisme. Cette double lutte définit son personnage.

Intraitable avec les "gangsters", Hoover, se fait une renommée par des arrestations, ou exécutions, spectaculaires, comme celles de John Dillinger. Habile communicant, il suscite auprès d’Hollywood des films à la gloire de ses hommes, les "G Men" (pour "Government Men"). Il fait parfois la une des journaux "people" au bras de quelque actrice célèbre et fréquente les champs de course, derniers lieux à la mode alors.

Hoover poursuit aussi tout ce qu’il considère comme subversif, ou ressemblant à un communiste. Il écoute tout et tout le monde et se constitue un fichier d’informations compromettantes qui le rend intouchable. Ce sera la source de son confit avec les Kennedy. Il connaît en détails les frasques de John. Il est persuadé que certaines de ses maîtresses sont des agents de l’Est…

Hoover est aussi un homme du sud, d’avant la déségrégation. Il a pour les noirs une attitude de racisme condescendant ("prejudice" en américain). Il porte une détestation particulière pour Martin Luther King. Peut-être parce que le pasteur de Montgomery ne colle pas aux stéréotypes que Hoover associe aux noirs ! 

Et il y a la question de l’homosexualité refoulée. Hoover ne s’est jamais marié. Il a longtemps vécu avec sa mère. Il a engagé comme assistant en 1930 Clyde Tolson, dont il fera, un compagnon d’arme. Les deux hommes travaillent côte à côte, dînent ensemble, voyagent ensemble, prennent leurs vacances ensemble...

Dans le film cette homosexualité refoulée est mise en avant. De supposée, elle devient avérée. Un élément constitutif du personnage, que l‘on voit se travestir devant une glace et qui crie "Ne me quitte pas, je t’aime !" à Tolson, après une véritable "scène de ménage" entre les deux hommes !

L’explication tient peut-être à l’auteur du scénario, Dustin Lance Black, jeune homosexuel et militant de la cause "gay", déjà "oscarisé" en 2008 pour le script de "Milk", un "biopic" sur Harvey Milk, maire homosexuel de San Francisco assassiné dans les années 70.

L’accent mis sur cet aspect du personnage prend le pas sur tout le reste. J. Edgar devient une marionnette prise entre sa mère qu’il vénère, et Clyde qu’il chérit. Le contexte historique disparaît. L’Amérique s’efface.

C’est pourtant une part importante de l’histoire. Car la longévité d’Hoover à son poste, fait sa légende. Imagine-t-on en France un patron de Police en place d’Edouard Herriot à Georges Pompidou ?

L’Amérique de 1920 n’est pas grand-chose à voir avec celle de 1960. Rurale et isolée, elle est devenue industrielle et impériale. Blanche, pieuse et moralisatrice, elle est devenue "multi-raciale", matérialiste et dévergondée. Un vieux professeur protestant de Princeton occupait la Maison Blanche, c’est désormais un couple "glamour" de la bourgeoisie catholique bostonienne. Ayant triomphé, du fascisme, du nazisme et du stalinisme, l’Amérique jouit d’un niveau de vie sans précédent. Pourtant cet âge d’abondance débouche sur une nouvelle contestation, très violente, qui mêle les minorités noires tenues à l’écart du rêve américain, et la jeunesse dorée issue du baby-boom.

Mais cette évolution n’est pas perceptible dans le film. Parce que le film ne nous montre pas cette Amérique-là. Focalisée sur Hoover, la caméra le suit de son bureau, à son domicile, au restaurant, et fait abstraction de tout ce qui se déroule à l’extérieur des murs. C’est dommage. Eastwood et son scénariste sont passés à côté de leur sujet. 

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