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Jeu de dupes à Bruxelles sur le budget français : qui de la commission et de la France a lâché quoi exactement ?
©Reuters

127 000ème épisode

D'un côté Bruxelles martèle sa volonté de voir la France réaliser une économie supplémentaire de 4 milliards d'euros en 2015 en appliquant des politiques dont la Commission européenne admet à demi-mot qu'il s'agira de nouvelles politiques d'austérité conduisant à une absence de reprise et une augmentation du chômage. De l'autre, la France reste dans sa politique de consolidation budgétaire et affirme qu'elle ne fera pas plus que ce qui a été annoncé dans la loi de Finances.

Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

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Atlantico : Le Premier ministre Manuel Valls est présent ce mercredi 17 mars à Bruxelles pour défendre les positions de la France concernant son budget. Sur quoi portent les exigences de la Commission européenne concernant le budget français ?

Mathieu Plane : Il y a deux choses. Une première à très court terme. Bruxelles considère que pour que notre budget soit en conformité avec les traités, il manque 4 milliards en 2015. François Hollande dans une interview accordée au Parisien a estimé qu'il faudrait donc trouver ces 4 milliards manquants. La question est donc : y aura-t-il une loi de finance rectificative ou non ? Ou des dépenses courantes vont-elles être supprimées ? Va-t-on lier cela au fait que les charges d'intérêt baissent parce que les taux diminuent aussi, ou au fait que les consommations intermédiaires des administrations vont diminuer grâce à la baisse du prix du pétrole… ?

Le deuxième problème est très technique : la Commission va-t-elle considérer cela comme un ajustement budgétaire structurel ? Typiquement, la charge d'intérêt n'est pas considérée comme structurelle. Politiquement, personne ne souhaite, je le pense, arriver à une sanction de la France. Mais pour l'instant, d'après l'avis de la Commission rendu fin février, il manque 4 milliards pour obtenir au moins 0.5 point de PIB.

Mais ce n'est pas tout. Plus on avance dans le temps, plus cela devient intéressant. Dans l'avis de la Commission rendu le 27 février, il est mentionné que la France devrait faire, pour respecter ses engagements, 0,8 point de PIB d'ajustement budgétaire structurel en 2016 et 0,9 point de PIB d'ajustement budgétaire structurel en 2017. Or, dans le programme pluriannuel de la loi de Finances, est mentionné 0,3 point de PIB en 2016. Donc rien pour cette année, il y a plus de 0,5 point de PIB, soit un écart de l'ordre de 11 milliards. 11 milliards en plus des 15 milliards d'économies annoncés en 2016. Par conséquent, est-ce juste une annonce ou cela sera-t-il pris en compte dans le prochain projet de loi de Finances ?

Sachant que dans un cas, notamment pour 2016, on se trouve dans une trajectoire de croissance très favorable étant donné la baisse du prix du pétrole, de l'euro, les taux d'intérêt très faibles… Du coup la consolidation budgétaire prévue par le gouvernement de 0,3 point du PIB est tout à fait absorbable et permettrait que la croissance reparte. On ne fait pas de la relance, mais pas non plus un choc budgétaire suffisamment fort pour casser la croissance.

En revanche, si l'on applique la recommandation de la Commission, on revient dans une politique d'austérité en 2016. Même la Commission le reconnaît de façon implicite. Pour 2016, la Commission européenne donne à voir la trajectoire à suivre pour les finances publiques – 0,8 point de PIB d'ajustement budgétaire structurel – mais à ce moment-là la croissance en 2016 sera de 0,7%. Mais l'output gap se creusera également, c'est-à-dire qu'à nouveau le chômage augmentera. Donc la Commission dit qu'il est nécessaire de faire plus, mais implicitement elle montre qu'en faisant cela nous n'aurons pas de reprise et que le chômage va augmenter. Donc l'arbitrage politique est délicat.

D'après nos estimations, il est possible de faire moins de 0,3% de déficit sans faire plus d'efforts budgétaires qu'annoncé. Le risque, c'est de dire qu'il faut respecter l'effort budgétaire, appliquer les recommandations de la Commission et faire replonger la croissance, donc les recettes fiscales qui rentrent moins, et rien ne nous assure que l'on atteindra l'objectif de déficit.

Quel est le parti pris de la France vis-à-vis des exigences de Bruxelles ?

La France ne fait pas de plans de relance. On continue à faire de la consolidation budgétaire, mais aux yeux de Bruxelles elle n'est pas suffisante. La France fait ce qu'elle a annoncé dans les lois de Finances, mais affirme qu'elle ne fera pas plus que ce qu'elle a annoncé. Fera-t-elle plus que ce qui a été annoncé ? C'est là toute la question.

Quand on parle d'ajustement budgétaire structurel, cela signifie que l'on procède à une réduction du déficit structurel, donc de la consolidation budgétaire. Mais ce qu'exige Bruxelles c'est que cela soit plus important. Donc on reste dans une logique d'ajustement budgétaire, mais toujours moins importante que ce que souhaite Bruxelles.

Politiquement la situation est donc très sensible : d'un côté il y a des traités, mais d'un autre côté en les respectant on casse la reprise. Le grand enjeu de 2016 est donc de savoir si la France va tenir la trajectoire d'ajustement des finances publiques ou soumettre à la Commission de faire plus d'efforts budgétaires, de façon à éviter une sanction mais au risque de ne jamais connaître de reprise et d'arriver en 2017 avec un chômage toujours plus important.

Comment réagit Bruxelles face au refus de la France de fournir des efforts plus importants ?

Pour 2015, Bruxelles considère qu'il faut absolument trouver ces 4 milliards. Pour 2016, cela reste du cadrage budgétaire puisqu'il n'y a pas eu de loi de Finances. On va voir si dans le projet de loi de Finances qui va sortir en septembre 2015, on aura de nouvelles annonces d'économies ou non. Le gouvernement va-t-il privilégier la croissance et la diminution du chômage au risque de se faire sanctionner par Bruxelles ? Ou va-t-il accepter les recommandations de Bruxelles au risque de ne pas avoir de reprise de la croissance et toujours plus de chômage ? C'est toute la question. 

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