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Jeanne d'Arc, une dissidente au temps du Moyen Age
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Bonnes feuilles

Joël Blanchard publie "La Fin du Moyen Age" aux éditions Perrin. La fin du Moyen Age est une période forte en contrastes, marquée par la guerre de Cent Ans, les rivalités fratricides entre princes du sang, les pandémies comme la peste noire. Joël Blanchard donne à voir une fin de Moyen Age inspirée, savante, bouillonnante d'idées neuves et traversée d'une rare vitalité créative. Extrait 1/2.

Joël Blanchard

Joël Blanchard

Professeur émérite à l'université du Maine, Joël Blanchard est un spécialiste reconnu du Moyen Âge tardif. Il est l'auteur d'une biographie remarquée de Philippe de Commynes (Fayard, 2006), et de très nombreux travaux et éditions de référence sur les XIVe et XVe siècles.

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Jeanne est fille de la prophétie ; plus particulièrement, elle est fille de la prophétie faite femme, si l’on peut dire. Car, depuis les dix Sibylles grecques et latines jusqu’à Brigitte de Suède (1303-1373), les prophètes sont souvent des prophétesses. En période de crise, il n’est pas rare que les puissants consultent une prophétesse, béguine ou recluse, qui a la réputation d’entendre une ou plusieurs voix, d’entrer en contact avec des anges, des archanges ou la Vierge Marie. L’intervention de Jeanne, dit Philippe Contamine, s’inscrit « dans un environnement mental prompt à un enthousiasme presque messianique ». Il n’en demeure pas moins que son aventure tragique constitue un cas exceptionnel de prophétie réalisée, « directement à l’origine de décisions politiques et militaires à la fois précises et de grande portée ». L’histoire de Jeanne passionna les plus grands auteurs et continue d’alimenter toute une littérature dans le monde entier, tant son passage sur terre est marqué du sceau du mystère. Résumons. Venus du « haut du firmament » – pour reprendre une expression de Joseph Delteil –, l’archange saint Michel, le premier, puis sainte Catherine et sainte Marguerite révèlent sa mission à la Pucelle : relever le royaume de France. La suite est connue. Jeanne s’incline, à Chinon, devant le roi qu’elle interpelle comme l’héritier de la Couronne ; elle devient « chef de guerre », empoignant l’épée et l’étendard, délivre Orléans, Jargeau, Beaugency, Saint-Florentin, Troyes ; assiste Charle VII, sacré le 17 juillet  1429. En 1430, quelque chose se brise. Jeanne, prisonnière, est vendue aux Anglais puis livrée à l’évêque Cauchon. Le 30 mai 1431, elle meurt sur le bûcher. Elle a 1 ans. Son entreprise aura duré trois années. Cependant, peut-on dire de Jeanne qu’elle fut une dissidente ? Certes, elle fut condamnée comme hérétique et relapse par le tribunal de Rouen ; mais, dans son parcours terrestre, rien n’indique qu’elle ait adhéré à un quelconque courant hétérodoxe. La veille d’être suppliciée, elle demanda et obtint la confession et la communion. Il n’importe. Sa transgression des coutumes du temps – elle s’habille en homme, porte l’épée et commande – fait d’elle une figure de révolte et de fierté à laquelle souscrit, enthousiaste, le poète René Char, ancien maquisard, écrivant en 1956 : « J’aurais bataillé avec cette jeune fille, près d’elle, pour elle, car en son temps, son action insurgée et mystique était totalement justifiée. » 

Tout au long de ce chapitre, nous avons essayé de cerner la question de la dissidence en suivant la piste de la prophétie. Car, sans conteste, le système prophétique de Joachim a servi de base théorique à une véritable dissidence, celle d’Angelo Clareno, celle de Roquetaillade, exprimant contre l’Église romaine une soif croissante de renaissance et de rénovation dans les domaines politique, social et scientifique. De plus, l’exemple de Jeanne nous donne à voir que la dissidence n’entre pas tout entière dans le lit de Procuste du joachimisme. En effet, si les prophéties, issues de ce courant, sont aussi utilisées par l’opposition aristocratique, elles se mêlent de prédictions astrologiques et de techniques divinatoires extérieures aux conceptions de Joachim de Flore. Et gardons à l’esprit que Jeanne a mené au combat de grands capitaines comme Dunois, le Gascon La Hire et surtout Gilles de Rais qui, plus tard, aura à demeure un alchimiste. La magie, l’astrologie, l’alchimie semblent, en cette fin du Moyen Âge, converger avec les traditions prophétiques nourrissant le phénomène de la dissidence. 

On le voit : les courants d’idées à la fin du Moyen Âge sont multiformes, mélangés, bariolés. Certes, le socle est intact : nos intellectuels restent toujours profondément attachés à une conception unitaire et organique de la société. Les conceptions dionysienne et augustinienne de la hiérarchie n’ont pas été ébranlées, l’aristotélisme a bien été assimilé, et l’élargissement, l’étirement, l’éclatement des intérêts et des croyances a considérablement modifié le paysage intellectuel. L’influence et l’aura de l’Université sont intactes et profondes. Mais comme toute œuvre agencée, rythmée, harmonieuse, le bel équilibre est attaqué sur ses marges par des courants, des particularismes singulièrement tenaces. Dès lors les prises de parole se multiplient, les débats, ardents, brûlants, passionnés s’installent, entraînent des réactions de défense, des prises de position, des dénonciations fortes, des récupérations. Au sein même des lieux de paroles, les postures, le jeu des rivalités, les comportements opportunistes accentuent les contrastes, les mouvements de retour. Nous voilà revenus au discours et à ses corrélats sémantique et pragmatique. L’« espace public » s’anime. Encore faut-il en définir les contours et les modalités. Les richesses d’expression, leur chevauchement, leur contamination empêchent de dresser une typologie rigoureuse des engagements, de la communication politique. Essayons cependant de cartographier cet espace à géométrie variable.

Extrait du livre de Joël Blanchard, "La Fin du Moyen Age", aux éditions Perrin

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