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Mélenchon, Le Pen même combat ? Pourquoi les candidats de la rupture radicale seraient surtout des présidents de l’impuissance
©Rémi Mathis / CC BY-SA 3.0

Impuissance

La possible défaite des deux grands partis de droite et de gauche en mai ouvre le champ des possibles pour une recomposition politique, y compris la victoire des candidats de la "rupture" que sont Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Mais en l'absence de majorité à l'Assemblée lors des législatives de juin et avec une difficulté à former une équipe gouvernementale, ils pourraient bien devenir les candidats de l'impuissance.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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S'il est facile de se faire une idée d'un gouvernement sous Emmanuel Macron ou François Fillon, les deux candidats pourront compter sur des personnalités ayant déjà été aux responsabilités dans leur entourage, le cas est moins évident en ce qui concerne Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon. En quoi cette difficulté apparente de former des équipes gouvernementales annonce-t-elle une difficulté pour gouverner des deux candidats ?

Maxime Tandonnet : Nous vivons en permanence dans l'illusion présidentialiste. Dès lors que les projecteurs sont braqués par le système médiatique sur des candidats à l'élection présidentielle, s'installe le sentiment que le président de la République est un être tout puissant, omnipotent, pourvu de tous les pouvoir. Or, cela est totalement faux. Le chef de l'Etat a relativement peu de pouvoirs propres en temps ordinaire. Son seul véritable pouvoir qu'il exerce seul en son nom propre est celui de dissoudre l'Assemblée nationale. Il ne peut organiser un référendum que sur proposition du Premier ministre ou conjointe des deux assemblées. Il ne dispose pas du pouvoir réglementaires (prendre des décrets) qui appartient au Premier ministre, ni celui de déposer des projets de loi qui est celui du Conseil des ministre, du Gouvernement. Ses actes, par exemple la nomination d'un haut fonctionnaire doivent être co-signés par un ministre. Dès lors, le chef de l'Etat, s'il ne parvient pas à s'entourer d'une équipe ministérielle cohérente et stable, soutenue par l'Assemblée nationale, sombre inévitablement dans l'impuissance. Dans un cas comme dans l'autre, nous avons deux personnalités qui jouent sur une mise en scène de leur personnage, mais qui ne disposent probablement pas de la ressource humaine en compétences et en fidélités, en expérience de l'Etat pour former un gouvernement et des cabinets ministériels qui assurent l'interface entre les ministres et les administrations.

Eric Verhaeghe : Le gouvernement ne peut s'entendre des seuls élus qui apparaissent en tête de gondole. Il doit reposer aussi sur une technostructure capable de mettre la politique en oeuvre, dirigée au jour le jour par des ministres solides, qui connaissent les dossiers et qui sont capables de garantir le respect d'orientations conformes aux options des élus et au programme pour lequel les électeurs ont voté. Cet enjeu souvent invisible pour les Français est essentiel dans la conduite des affaires. Au jour le jour, en effet, une multitude de décisions doivent être prises. Le Président a besoin de ministres capables de les encadrer. On le voit régulièrement avec Bercy! Les sujets de réglementation financière ne s'improvisent pas, et ne peuvent être laissés aux services. Mais l'exemple caricatural de Bercy vaut pour tous les sujets et pour tous les ministères. Il faudra bien à chaque équipe des gens capables d'y voir clair dans le fonctionnement quotidien de l'Etat. Et c'est là qu'on peut imaginer qu'il y a un os de taille. Au-delà des mesures emblématiques, il faut des acteurs solides. Regardez par exemple l'affaire guyanaise. Quand Ericka Bareigts prend sur elle de présenter les excuses de la France aux manifestants sans en parler au Premier Ministre, on a quand même un sacré problème, qui montre que la fiabilité des ministres et leur capacité à faire face aux situations de crise devient cruciale. 

Si Marine Le Pen parvenait à être élue Présidente de la République créant ainsi une véritable dynamique en sa faveur, celle-ci risque bien d'être insuffisante pour permettre l’émergence d’une majorité législative au mois de juin. Même constat pour le candidat de la France Insoumise. En quoi l'absence de majorité risque-t-elle de réduire sous silence l'impact d'une potentielle présidence de ces deux candidats ? Quelles sont les chances pour ces candidats d'en obtenir une ?

Maxime Tandonnet : Les chances des deux candidats d'obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale pouvant leur permettre de gouverner me paraissent inexistantes. Les législatives vont donner lieu à une situation totalement inédite et chaotique. Nous allons avoir cinq forces principales: le parti lepéniste, les mélenchonistes appuyés par les communistes, la droite des Républicains alliée à l'UDI, les vestiges du parti socialiste institutionnel qui aura soutenu Hamon, les macroniste bénéficiant de l'investiture "d'en marche". En cas de victoire de Mme le Pen aux présidentielles. Avec le mode de scrutin, uninominal à deux tours, une coalition naturelle des autres forces se produirait au second tour et ses candidats aux législatives seraient laminés.

Dans l'hypothèse la plus spectaculaire, le FN obtiendrait une centaine d'élus, c'est-à-dire qu'il serait réduit à n'être qu'une infime minorité sur 577 députés. Le phénomène jouerait exactement de la même manière en cas de victoire de M. Mélenchon. Ses partisans, le parti communiste notamment ne seraient qu'une minorité à l'Assemblée. Or, sans majorité à l'Assemblée nationale, un président de la République sombre dans l'impuissance absolue: il ne peut pas faire voter de réforme législative. Tout gouvernement nommé par lui serait aussitôt renversé. Il ne dispose pas du pouvoir réglementaire. Il se voit donc réduit à néant.

Il peut éventuellement appliquer l'article 16, instituant une dictature légale, mais en l'absence de circonstances exceptionnelles, telle une guerre civile ou internationale, il serait considéré comme commettant une haute trahison qui justifierait alors sa mise en cause par le Parlement et son jugement par la haute cour de justice. Il peut dissoudre l'Assemblée nationale en vertu de l'article 12. Mais en général, les dissolutions de "confort", correspondant à un calcul politique se retournent toujours conte leurs auteurs et lui renvoient une assemblée encore plus hostile. Il peut tenter un référendum article 11 si le Premier ministre le lui propose mais avec le risque de le perdre et de se retrouver encore plus affaibli.

Eric Verhaeghe : Pour l'un comme pour l'autre, la solution passe forcément par une alliance. Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, aucune victoire n'est envisageable sans un raccommodage avec le Parti Socialiste. Il aura besoin d'une majorité de gouvernement avec une assise de gauche assez large. C'est en ce sens que la situation est périlleuse pour le Parti Socialiste. On voit mal comment ceux qui ont quitté Hamon pour rejoindre Macron pourrait demain soutenir le programme de Mélenchon. En revanche, ceux qui sont restés auprès de Hamon pourraient être Mélenchon compatibles. Une victoire de Mélenchon conduirait donc à une explosion du Parti Socialiste, qui se scinderait en deux partis très différents. Rien ne prouve que la fraction du PS qui s'allierait à Mélenchon suffirait à constituer une majorité. Du côté du Front National, la dialectique est la même. Marine Le Pen aura vraisemblablement besoin d'une alliance avec les Républicains pour gouverner. On imagine mal que les juppéistes en fassent partie. En revanche, l'aile la plus conservatrice, autour de personnalités comme Laurent Wauquiez, pourrait de façon réaliste rejoindre une majorité autour de Marine Le Pen, à condition qu'elle lâche du lest sur l'Europe et l'euro. Mais là encore rien ne prouve que cette alliance suffirait à constituer une majorité.  

Le patron de la CFDT Laurent Berger déclare ne pas adhérer au programme de Jean-Luc Mélenchon (idem concernant Marine Le Pen). En quoi l'opposition des corps intermédiaires entraverait-elle la politique des deux candidats ? Quel pouvoir d'opposition les corps intermédiaire, ceux qu'on appelle le gouvernement profond, peuvent-il exercer sur le pouvoir en place ? 

Eric Verhaeghe : Je distinguerais le gouvernement profond et l'action syndicale, qui en est une sorte d'exécutant. Mais Marine Le Pen comme Jean-Luc Mélenchon ne pourront passer outre l'intervention de ces corps, et en particulier, l'intervention syndicale, ou les blocages syndicaux. Sur ce point, on aurait tort de croire que Mélenchon fonctionnera mieux avec les syndicats que Marine Le Pen. Par exemple, Mélenchon propose la réintégration automatique des salariés dont le licenciement est annulé par les prudhommes. Cette idée risque paradoxalement de heurter les syndicats, parce que beaucoup de salariés qui saisissent aujourd'hui les prudhommes n'ont nulle envie de réintégrer l'entreprise qui les a licenciés. Par son zèle excessif, Mélenchon pourrait donc non seulement rendre la vie des entreprises ingérables, mais limiter le droit des salariés. Dans ce cas de figure, les tensions entre le pouvoir et les syndicats risquent d'être aussi fortes qu'avec Marine Le Pen. Les atermoiements qu'on a connus avec la loi Travail risquent donc d'être encore plus puissants et paralysants. 

Maxime Tandonnet : Les corps intermédiaires sont de deux ordres, les juridictions et les syndicats. Il est évident que les projets de réforme de  l'un comme de l'autre se heurteraient au veto du Conseil constitutionnel. Ainsi, l'idée de confisquer l'intégralité de la part des hauts revenus dépassant un certain plafond serait sans doute considérée comme confiscatoire au regard de la jurisprudence constitutionnelle et le nouveau chef de l'Etat ne pourrait l'appliquer qu'en révisant la Constitution, c'est-à-dire avec un vote favorable à la fois du Sénat et de l'Assemblée nationale, puis des 3/5ème du Congrès ou par référendum. Mission impossible...

Quant à la candidate FN, elle se heurterait aux mêmes difficultés par exemple pour appliquer sa "priorité nationale" en matière de logement ou d'accès au marché du travail. Dès lors que l'Etat français remet un titre de séjour à un étranger, il lui reconnaît un certain nombre de droits dont celui d'être traité sans discrimination, sur un pied d'égalité avec les ressortissants français en dehors de certaines exceptions, dont le droit de vote. Il peut faire l'objet dérogation limitées dans le temps (par exemple, sur l'accès au RSA, au bout de cinq ans de séjour régulier)  mais demeure un principe juridique fondamental qui découle du principe d'égalité dans la déclaration des droits de l'homme de 1789, de traités européens et de la convention européenne des droits de l'homme. Les juridictions ne le laisseront jamais remettre en cause. Et puis, il y a les syndicats. Là aussi, on ne peut faire passer de grandes réformes économiques et sociales qu'avec l'appui d'au moins une partie d'entre eux. Un front syndical uni et déterminé appelant à une grève générale contre une politique serait de nature à paralyser durablement le pays.

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