Jean Jaurès, 100 ans après : où l’icône socialiste se situerait-elle aujourd’hui sur l’échiquier politique français (et ce que ça révèle de l’itinéraire du PS) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Jaurès
Jean Jaurès
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Souvenir

La France célèbre le souvenir de Jean Jaurès, mort assassiné il y a 100 ans à la veille du premier conflit mondial. Pas sûr que celui qui menait un parti révolutionnaire à l'époque reconnaîtrait le Parti socialiste d'aujourd'hui.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Bruno Fuligni

Bruno Fuligni

Bruno Fuligni est écrivain, historien, maître de conférences à Sciences Po et auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire politique de la France. Il est l'auteur de "Le Monde selon Jaurès. Polémiques, réflexions, discours et prophéties" (Tallandier, février 2014). Il a aussi porté les discours de Jaurès à la scène avec ses pièces "La Valise de Jaurès" et "Quelle République voulons-nous ?"

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Atlantico : A l'occasion du centenaire de sa mort par assassinat, un million et demi de timbres à l'effigie de Jean Jaurès ont été émis dans toute la France.  En souvenir du grand orateur socialiste né à Castres, Claude Bartolone s'est déplacé ce vendredi dans le Tarn, et ce samedi l'Assemblé national doit également célébrer sa mémoire. Pacifiste acharné, proche des grévistes, quelles étaient ses grandes orientations politiques ? Quels étaient ses combats ?

Bruno Fuligni : Il s’agit du plus grand tribun de notre histoire, capable de parler des heures sans notes. C’était aussi un penseur, un philosophe, qui a bâti un corpus de pensée intégrant la pensée marxiste dans un socialisme républicain et légaliste héritier de la Révolution française, faisant ainsi l’unité de la gauche française. Ajoutons qu’il a vu juste : Jaurès fut l’un des rares hommes politiques de son temps à comprendre qu’une guerre européenne ne serait pas une simple revanche de 1870, mais un conflit long, massif, mécanisé, qui bouleverserait profondément les sociétés.

Jaurès n’est jamais là où on l’attend. Laïc, il est ouvert aux idées religieuses ; internationaliste et pacifiste, il est en même temps patriote, au sens de 1789 ; révolutionnaire en ce qu’il veut changer la société, il souhaite que le peuple agisse par les voies institutionnelles et par les urnes. Il croit par-dessus tout en la justice, une justice que l’action combinée des hommes éclairés doit construire pour s’élever au-dessus du droit du plus fort. Fermement opposé à la peine de mort, il estime que les hommes peuvent échapper à la fatalité de la misère et de la violence si évolue le milieu où ils se forment. C’est aussi pourquoi il souhaite que les enfants du peuple, par l’école, puissent avoir accès aux plus grandes œuvres de l’esprit. Jaurès est en définitive un humaniste, qui met avec optimisme sa culture et ses talents au service de la démocratie.

Dominique Jamet : Il croyait au progrès, il voulait la justice sociale, et il était à la fois pacifiste et patriote. Cette croyance, que beaucoup considèrent aujourd'hui comme naïve, lui était chevillée au corps et à l'âme. Aujourd'hui on ne la retrouve guère dans le paysage actuel. Le socialisme était encore jeune, Jaurès espérait donc voir arriver le temps de l'homme socialiste. Il est évident qu'il n'a pas connu la dérive socialiste de la Russie, ni celle de la France.

Il se battait pour le progrès social, il était réformiste, ce n'était pas un homme de violence, mais bien au contraire, de dialogue. Il voulait améliorer la condition ouvrière, en termes d'horaires, de congés, de retraites… des choses humbles mais concrètes. Fondamentalement, il se positionnait du côté des pauvres.

En quel modèle économique croyait-il ?

Dominique Jamet : Il croyait à un socialisme humaniste. Il croyait beaucoup aux coopératives de production, notamment. Sans vouloir forcer le trait, ce n'était pas un adepte de la guerre sociale. Même si Jaurès était naturellement anticapitaliste, il ne considérait pas a priori les patrons comme des ennemis. Ce dont il rêvait, c'était d'un patronat humaniste, et de la réconciliation des classes.

Bruno Fuligni : Il pose nettement la question du capital : les moyens de production doivent selon lui être propriétés collectives, mais cette formule peut prendre une forme coopérative, comme à la verrerie ouvrière d’Albi. Il est révolté par les écarts de fortune et par la maigre rémunération du travail en son temps. La plus grande fierté de sa vie, dira-t-il peu de temps avant son assassinat, est d’avoir contribué à faire voter la loi sur les retraites ouvrières.

Comment se positionnait-il alors sur l'échiquier politique ?

Dominique Jamet : Il était naturellement à l'extrême gauche. Jusqu'au moment de sa mort, le parti socialiste n'envisageait pas de participer à un gouvernement bourgeois. Car le vœu de Jaurès était la conquête du pouvoir par les urnes, mais sans compromission avec les partis bourgeois. A l'époque, le Parti socialiste était un parti révolutionnaire.

Où se situerait-il aujourd'jui dans le paysage politique français ?

Bruno Fuligni : Ce serait trahir Jaurès que de lui coller une étiquette. Sa grandeur est d’avoir été un intellectuel en politique, un homme qui pensait par lui-même. Jaurès, comme Victor Hugo qu’il citait parfois, est l’une de ces grandes figures inspiratrices de la République. Pour se réclamer de lui, il ne faut pas l’annexer : il faut le lire et le méditer.

Dominique Jamet : La question est de savoir si Jaurès, transplanté par je ne sais quel miracle biologique au XXIe siècle, serait resté le même, ou s'il se serait adapté à son temps. S'il renaissait tel qu'il était en 1914, il ne céderait pas forcément à l'extrême gauche, car il était patriote. N'étant pas très à la mode aujourd'hui d'être patriote, on peut émettre des réserves. Il n'est pas insensé d'imaginer que s'il vivait maintenant, ses conceptions auraient évolué. Serait-il un partisan de l'Europe ? On peut très bien imaginer qu'il y serait favorable, mais n'approuverait pas le tour libéral pris par celle-ci. Je ne le vois pas dans les rangs d'un Parti socialiste de compromis, ni dans ceux du centre de Bayrou, et encore moins à l'UMP.

Ne pourrait-il pas s'entendre avec la gauche de la gauche actuelle ?

Dominique Jamet : C'est peut-être du côté de Mélenchon que Jaurès aurait aujourd'hui le plus d'affinités. Il n'approuverait pas forcément le style de ce dernier, mais sur le fond il est assez vraisemblable que c'est du côté du Front de gauche que se situeraient ses préférences, c’est-à-dire du côté des gens qui sont encore fidèles à la structure idéologique socialiste, un peu teintée de marxisme. Jaurès ne détestait pas Marx, ceci dit en passant, il était simplement moins matérialiste que ce dernier.

Le Parti socialiste se revendique beaucoup de Jean Jaurès mais en est-il réellement si proche ?

Dominique Jamet : Entre Jean Jaurès, son honnêteté intellectuelle et morale, sa probité, son refus du compromis idéologique, et le Parti socialiste actuel, la distance est considérable. Le PS a même dérivé par rapport à des personnages plus récents comme Léon Blum, voire le Mitterrand de 1981... Je ne crois pas que Jaurès reconnaîtrait le socialisme au sein du PS tel qu'il fonctionne à l'heure actuelle.

Qu'est-ce que cette distance révèle de l'évolution idéologique du PS ?

Dominique Jamet : Il faut se référer à Péguy : c'est la transformation de la mystique en politique. A partir du moment où le Parti socialiste est devenu un parti de gouvernement, l'idéologie a reculé par rapport au pragmatisme, et ce recul n'a cessé de s'accentuer. Le principe qui a prévalu au sein du PS depuis 30 ans est celui d'être un parti de gouvernement. Or un tel parti voit forcément sa teneur idéologique s'affaiblir au profit de considérations pragmatiques. Même sans chercher à être vexant, force est de constater que le PS est un parti qui s'accommode du monde tel qu'il est, à savoir gouverné par le capitalisme et le libéralisme, plutôt qu'un parti qui veut changer le monde. François Mitterrand s'était fait élire en 1981 sur le slogan "changer la vie". François Hollande a été beaucoup plus vague : "le changement, c'est maintenant". Son vocabulaire n'est pas bien différent de celui de Sarkozy en 2007...

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