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Jacques Chirac, ce curieux président qui n'aimait pas les partis et s'intéressait peu à la politique... mais préférait parler aux hommes
©Reuters

Bonnes feuilles

Percer le mystère de Jacques Chirac, c'est suivre une destination incertaine. Il serait un être paradoxal, autoritaire et tolérant, généreux et indifférent aux autres, un enfant gâté de la République à qui tout semble avoir réussi. Énarque et grand bourgeois, il est, en vérité, profondément humain, rustique, simple. Cet être tourmenté aurait passé son existence à protéger ses jardins secrets. Extrait de "Président, la nuit vient de tomber" d'Arnaud Ardoin, aux Editions du cherche-midi (1/2).

Arnaud Ardoin

Arnaud Ardoin

Journaliste reporter de télévision sur la Chaîne Parlementaire Assemblée Nationale (LCP-AN), Arnaud Ardoin anime et coordonne l’émission quotidienne « Ça vous regarde » traitant de tous les sujets de société. Après être passé par France 2, France 3, M6, il a aussi réalisé plusieurs documentaires et magazines TV.

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Humanité. Ce mot circule de bouche en bouche, comme une évidence, comme si les témoins qui ont accepté de parler de lui s’étaient passé le mot. «Il était toujours d’une humeur égale, il avait toujours un mot, une attention pour le personnel, quelle que soit la pression sur ses épaules», se souvient celui qui fut l’un de ses cuisiniers personnels pendant douze ans. Il a servi trois présidents, trois personnalités aux profils si différents qu’il a pu observer, comme une petite souris, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Quand il parle de Jacques Chirac, ses yeux brillent, «parce que c’est un homme qui veut toujours faire le bien autour de lui ». Il se souvient du président venant s’asseoir à côté d’une lingère de l’Élysée qui pleurait dans son coin et d’insister pour savoir ce qui n’allait pas, ce qu’elle avait, prenant le temps de l’écouter lui raconter ses « petites misères ». Quelques minutes plus tard, elle avait retrouvé le sourire. Le président venait de régler le problème en deux coups de fil.

Jacques Chirac aime les hommes. Parfois il les tue parce que la politique n’offre pas beaucoup d’autres alternatives. Il a fait de la politique comme on fait «un job ». Lorsqu’il a fallu rédiger ses mémoires en 2007, il hésita longuement, si peu intéressé par l’image qu’il allait laisser de lui, puis accepta de se prêter à l’exercice : «Ce qui le passionnait le plus, c’était sa fondation, parler de la prévention des conflits, de la défense des langues, du musée du Quai Branly, il n’avait pas un désir immense de reparler de politique en somme. » Alors, comment cet homme a-t-il pu gravir toutes les marches du pouvoir pour en atteindre le sommet en s’intéressant, au fond, si peu à la politique? «Il avait horreur de l’idéologie, les partis l’exaspéraient et les militants encore plus, parce qu’ils étaient sans nuance. Au fond, il n’aimait pas les partis.»

Il aime d’abord les hommes parce qu’il cherche à percer leur mystère et, à travers eux, éclairer ses doutes, apaiser ses angoisses. Alors toute sa vie, dans le secret le plus absolu, il plonge à corps perdu dans les origines de l’humanité en essayant de tout comprendre, les religions, les civilisations, surtout celles que l’Occident méprise depuis des siècles. Il dévore les livres, les étudie intensément dans le plus grand secret.

Jacques Chirac a le corps d’un guerrier et l’âme d’un poète. C’est à la fois un rustique et un homme très fin, et entre les deux il n’y a pas grand-chose. Il pense en millénaires mais agit dans l’instant… et la seule chose qu’il a bien consenti à montrer de lui, c’est son agitation et sa silhouette si agréable à regarder. En Afrique, il aurait été sorcier; en Amérique du Sud, chaman; maître bouddhiste en Chine ; en France, il est devenu président de la République en prenant soin de ne dévoiler qu’une infime partie de lui-même. Comme s’il y avait eu une erreur d’aiguillage.

Une vie entière à se faufiler par une porte dérobée pour rejoindre sa caverne secrète. Au-dessus, une armure d’homme politique balafrée, abîmée à certains endroits, et en dessous un être pétri d’humanité, toujours prêt à aider son prochain, à tendre la main à celui qui souffre, à donner un coup de main, car Jacques Chirac a passé sa vie à rendre des services. Il écrit beaucoup, de petits mots d’encouragement, pour une naissance, des messages de soutien pour un ami ou une lointaine connaissance, il passe des heures au téléphone, pour prendre des nouvelles, remonter le moral de l’un ou de l’autre, pour chercher le meilleur hôpital ou le meilleur médecin pour soigner la compagne d’un député, réconforter un malade ou un blessé, les pieds sur le bureau. Le faisait-il pour se soigner ?

Il a rendu beaucoup de petits services, a souvent tendu sa main… Françoise de Panafieu se souvient qu’un matin Jacques Chirac l’appelle pour lui demander de recevoir quelqu’un de toute urgence : « Il faut l’aider», lui dit-il. Le message est clair: elle doit se débrouiller pour trouver un point de chute à cet homme dont elle n’a jamais entendu parler, ni à l’Hôtel de Ville, ni ailleurs. Cet homme que Françoise de Panafieu reçoit est en fait un soldat qui a combattu sous les ordres de Jacques Chirac en Algérie : « Je lui dois la vie, il m’a sauvé ! » lui explique-t-il, ému. Et l’homme de lui raconter la manière dont le lieutenant Chirac était proche de ses hommes, cette façon d’être toujours aux avant-postes, lui demandant avec insistance de remercier Jacques Chirac de ne pas l’avoir oublié.

Extrait de "Président, la nuit vient de tomber" d'Arnaud Ardoin, aux Editions du cherche-midi (date de parution : 5 octobre 2017)

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