Alliance 5 étoiles - Ligue : ce qui attend l’Italie -et l’Europe- avec le gouvernement populiste qui se profile<!-- --> | Atlantico.fr
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A gauche, Luigi di Maio (M5s). A droite, Matteo Salivini (Ligue du Nord)
A gauche, Luigi di Maio (M5s). A droite, Matteo Salivini (Ligue du Nord)
©TIZIANA FABI / AFP

Inédit

L'alliance improbable entre le Mouvement 5 Etoiles et la Ligue du Nord pourrait être scellée ce dimanche. Cela aura des répercutions tant en Italie qu'au niveau européen

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Alors que l'hypothèse d'une coalition de gouvernement entre le M5S et la Ligue du Nord paraît de plus en plus probable, comment peut-on en anticiper les conséquences, aussi bien pour la politique intérieure italienne que pour l'Europe ? Comment expliquer une telle alliance ? 

Si cette alliance entre le M5S et la Ligue du Nord finit effectivement par prendre forme –ce qui est encore bien loin d’être certain à cette heure  –, il faudra bien en mesurer le caractère totalement inédit pour la politique intérieure italienne et pour la politique européenne. Ce serait en effet la première fois qu’un gouvernement serait formé dans un grand pays fondateur de l’Union européenne entre deux forces ne référant pas aux grandes familles idéologiques qui ont émergé en Europe occidentale entre la fin du XIXème siècle et les années 1920 : libéraux, conservateurs, démocrates-chrétiens, socialistes, communistes, fascistes. 
Certes, la Ligue du Nord s’est constituée dans les années 1980 sur la base d’une alliance de ligues régionalistes du nord du pays, et son succès au fil des décennies qui ont suivi se fonde sur la dissidence d’une partie de l’électorat démocrate-chrétien du nord de l’Italie. Elle peut donc être inscrite dans l’histoire politique longue de l’Italie, mais, sous la direction de Matteo Salvini, depuis 2013, elle s’est transformée en un parti nationaliste visant à parler à tous les Italiens sans exception quelle que soit leur région ou leur héritage partisan. Quant au M5S, selon toutes les reconstructions disponibles à ce jour, il constitue une nouveauté absolue. Du point de vue organisationnel et idéologique, il n’a aucune racine dans l’histoire politique italienne avant 2005, avant la création du blog de Beppe Grillo. Le succès d’audience de ce dernier amènera en effet à la création du M5S en 2009. 
Au contraire, celui qui représente toute l’histoire politique de l’Italie depuis 1945, celle de la « Ière République (1946-1992) » finie dans les affres de l’affaire Mains propres comme celle de la « Seconde République (1993-2013) » s’étant fracassée sur les contraintes européennes, celle de la « partitocratie »  des années 1950-1980, puis de la « caste » des années 2000, n’est autre que l’actuel Président de la République, Sergio Mattarella, un vieux démocrate-chrétien de gauche. Il est tellement peu heureux de cette alliance M5S/Ligue, dont toute son histoire l’éloigne, en particulier tout son engagement européen qu’il devrait même essayer de l’empêcher. 
En effet, le point dur de cette alliance et aussi la raison des succès parallèles de la Ligue et du M5S ne sont autres que le refus du gouvernement Monti en 2011. Ce gouvernement qui imposa un surcroit d’austérité aux Italiens, en déclenchant de fait une seconde récession en Italie, constitue le repoussoir absolu pour ces deux partis et leurs électorats respectifs. C’est la menace du Président Sergio Mattarella de nommer un gouvernement technique à la Monti suite à l’échec des consultations entre les différents partis qui a fait électrochoc. Vu les règles constitutionnelles italiennes, une fois nommé par le Président, le gouvernement, même non investi par le vote de défiance de l’une des deux Chambres, reste en poste pour expédier les affaires courantes, y compris en prenant des décret-loi valables soixante jours, – et surtout il siègerait au nom de l’Italie lors des prochains Conseils européens, dont celui de juin prochain. Bref, on retomberait dans un gouvernement non élu dont les électeurs italiens ne veulent plus entendre parler- et sans doute à juste titre.
Or les deux partis – M5S et Ligue – ont promis de donner la priorité aux besoins des Italiens sur tout ou partie des contraintes européennes. Il est donc hors de question pour eux de donner l’impression à leurs électeurs que leur absence d’entente conduit au final au cauchemar du retour d’une période à la Monti. Il leur faut donc tenter de saisir leur chance. La situation s’est débloquée aussi parce que Silvio Berlusconi voit bien dans les sondages que de nouvelles élections ne seraient pas favorables à son parti et que dans le fond le gros de son électorat n’est pas très favorable à un retour, même temporaire, à la période Monti. 
En tout cas, vu ce qui est sorti dans la presse jusqu’ici de la négociation du contrat de gouvernement entre M5S et Ligue, cela ne correspondra guère aux critères de bonne gestion des finances selon les traités européens en vigueur. Mattarella vient d’ailleurs de dire que le Président n’est pas un notaire et qu’il ne peut tout accepter. De toute façon, l’équation est simple : la Ligue veut moins d’impôts sur les entreprises et les classes moyennes du nord, le M5S veut aider les pauvres dans tout le pays, en particulier dans le sud, avec l’introduction d’un équivalent du RSA, et les deux partis veulent revoir la réforme Fornero des retraites prise sous Monti en 2011 pour faire des économies, tout cela mis ensemble ne peut aboutir qu’à une accentuation du déficit budgétaire au moins à court terme. 
Il faudra aussi voir qui deviendrait Président du Conseil et quels seraient les Ministres pour les postes principaux (Intérieur, Economie, Affaires étrangères). Cela donnera d’autres indications sur la ligne que les éventuels alliés du M5S et de la Ligue entendent suivre. Il y a des choix plus ou moins provoquants bien sûr.

Quelles pourraient être les réactions dans les principales capitales européennes ? Paris et Berlin ont-ils ici les mêmes intérêts face à la situation ? 

Pour l’instant, tout le monde reste bien silencieux. Il est vrai que cette alliance M5S/Ligue paraissait improbable à tout le monde après les élections du 4 mars, et encore il y a quelques jours. Elle peut encore échouer sur la dernière ligne droite au soulagement général.
Si un tel gouvernement devait se former, les intérêts de Paris et de Berlin face à cette situation sont divergents. Une alliance M5S/Ligue serait en effet une façon de dire bien haut à Berlin que « la politique d’austérité, cela commence à bien faire » et que l’Italie va désormais faire autrement. De ce point de vue, Paris pourra utiliser la situation italienne pour illustrer auprès de tous ceux qui sont en Europe dans le « fétichisme des comptes publics » la nécessité absolue de revoir de fond en comble la politique économique européenne. En tout cas, Emmanuel Macron aura alors le choix de soutenir Rome ou de se plier devant Berlin. Par contre, Berlin n’a pas le choix : ce gouvernement italien est contre toute sa vision de l’application des traités européens, il va raviver outre-Rhin la peur de l’inflation liée à des finances publiques trop prodigues.
En revanche, sur le front de l’immigration, il risque d’y avoir des étincelles entre Rome et Paris. Ce gouvernement éventuel M5S/Ligue voudra impliquer plus les autres pays européens dans la gestion de la crise migratoire en Méditerranée. Cela voudra peut-être dire que la France devra prendre sur son sol plus de réfugiés déjà présents en Italie. 
Enfin, une orientation plus favorable aux intérêts de la Russie de la part de l’Italie va encore compliquer le jeu diplomatique en Europe, mais là peut-être Français, Allemands et Italiens peuvent se retrouver pour limiter la pression des Etats-Unis en sens contraire.

Dans le cas d'une tolérance européenne vis à vis de positions plus ou moins eurosceptiques de la part d'un tel gouvernement italien, quels sont les risques de donner une prime politique à de tels mouvements ? A qui pourrait profiter une telle configuration ? 

Les autres pays européens auront intérêt à ne pas trop intervenir dans les affaires italiennes. En effet, au-delà du succès électoral du M5S et de la Ligue, c’est tout l’électorat italien, celui le plus jeune en particulier, qui n’est pas très europhile en ce moment. La crise économique a marqué les esprits, et la crise migratoire de même. 
Tout dépendra ensuite de la capacité de ce gouvernement inédit de gouverner l’Italie.  S’il réussit, cela peut marquer le début de bouleversements similaires dans d’autres pays de la zone Euro. En effet, il prouvera qu’une autre manière de faire fonctionner un pays dans la zone Euro peut exister que la recette promue par le « consensus de Francfort-Berlin-Bruxelles ». Le petit Portugal a déjà fait largement cette démonstration avec son gouvernement de toutes les gauches, mais, là, avec l’Italie, il s’agit d’un grand pays dont la dette représente plus de 2000 milliards d’euros, d’un pays que personne ne peut sauver d’une éventuelle faillite, sauf une banque centrale accommodante ou une sortie de l’Euro. C’est aussi un pays qui vit au nom des changes fixes en Europe l’austérité budgétaire depuis le début des années 1990, et qui en subit les conséquences de moyen terme sur sa productivité et même sur sa démographie. 
S’il échoue, on peut imaginer un retour en grâce des partis traditionnels. Le Parti démocrate devrait rester dans cette configuration le seul grand parti dans l’opposition. Mais on peut aussi imaginer que la faute de l’échec soit attribuée par les électeurs aux ingérences européennes… et qu’aux prochaines élections, le résultat soit encore pire pour les partis cherchant à incarner en Italie l’idée européenne. 
Mais, quoi qu’il en soit, à très court terme, c’est la réaction des marchés financiers qui risque d’être déstabilisante. Si cet éventuel gouvernement M5S/Ligue est confronté à une hausse insoutenable des taux d’intérêt sur la dette italienne, recevra-t-il un soutien de la BCE ? Au cas où la BCE ne l’aiderait pas, cela mènera à une crise inédite, et qui se dénouera moins facilement que la crise grecque en 2015... 

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