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Islam et République : comment Manuel Valls s'arque-boute sur ses positions de laïcard pur et dur pour se différencier de François Hollande
©Reuters

Dérapage contrôlé … ou pas

Après avoir assimilé le port du voile à un asservissement de la femme, Manuel Valls s'est interrogé sur la compatibilité de l'islam avec la République dans un entretien accordé au journal Libération mardi 13 avril. Les postures du Premier ministre relèvent du calcul politique mais montrent aussi la difficulté qu'ont les gouvernants à avoir une vision claire du phénomène de l'islam radical mondialisé.

Serge Raffy

Serge Raffy

Journaliste au Nouvel Observateur, écrivain, Serge Raffy a publié en 2011 chez Fayard François Hollande, itinéraire secret, qui s'est vendu à 15 500 exemplaires, et Moi, l'homme qui rit (Flammarion, octobre 2014). Il est également l'auteur de Nicolas et les vampires (Robert Lafont, 2016).

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Atlantico :  Après avoir associé le port du voile à l’asservissement de la femme, Manuel Valls, dans une interview accordée au journal Libération mardi 13 avril, a déclaré souhaiter que "nous soyons capables de faire la démonstration que l’islam, grande religion dans le monde et deuxième religion de France, est fondamentalement compatible avec la République, la démocratie, nos valeurs, l’égalité entre les hommes et les femmes". Au cours du même entretien, il a par ailleurs pris position en faveur de l’interdiction du voile à l’Université. De la même façon, après avoir parlé un an avant le président de terrorisme "islamiste", il avait dénoncé dans la foulée l’ "apartheid social, ethnique, et culturel" dont seraient victimes les quartiers populaires. Dans ces discours changeants qui apparaissent parfois contradictoires, quelle est la part assimilable à une stratégie maîtrisée et celle qui correspond à des réajustements improvisés ? 

Serge Raffy : Sur la question de l’islam en particulier et de la religion en général, Manuel Valls n'est pas sur la même longueur d'onde que François Hollande qui se veut le Président de l'apaisement, d'une France qui refuse la division. Manuel Valls cherche-t-il surtout à se distinguer du Président, pour se positionner sur une ligne dure, quasi sarkozyste comme on le lui a souvent reproché à gauche, dans la perspective d'une non candidature du chef de l'Etat en 2017 ? Ces postures sont liées à des calculs politiques mais révèlent également l'extrême difficulté qu'ont nous gouvernants, mais, au fond, comme de nombreux Français, à avoir une vision claire du phénomène de l'islam radical mondialisé qui frappe jusque dans nos rues. Le débat douloureux autour de la déchéance de la nationalité en est l'illustration la plus flagrante.

La déclaration de Manuel Valls sur le voile et l’asservissement de la femme a été prononcée en clôture d'un colloque au théâtre Déjazet à Paris sur "L'islamisme et la récupération populiste en Europe". Est-il possible que Manuel Valls se soit laissé emporter dans la surenchère par son auditoire ? Selon cette hypothèse, l’entretien accordé à Libération avait-il vocation à "corriger le tir" ? 

Il ne s’est pas laissé emporter, il est sur une position tranchée. En tant que radical de la laïcité, tous les signes religieux le dérangent de manière quasi à fleur de peau. 

L’entretien accordé à Libération ne va pas dans le sens de l’apaisement, au contraire. Manuel Valls est cohérent dans sa démarche politique dans la mesure où ses propos s’inscrivent dans l’idéologie laïque la plus dure qui considère qu’aucun signe religieux ne doit être présent dans l’espace public. Cela n’est pas spécifique aux musulmans mais concerne toutes les religions. Il tape fort sur l’islam parce qu’en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministre qui a vécu les attentats en France (qui ont été revendiqués par un groupe terroriste islamiste), il est certainement traumatisé, tout comme beaucoup de Français. Il y a un côté presque désespéré dans sa manière de fonctionner : il lance quasiment un cri d’alarme, une espèce d’avertissement religieux aux hiérarques musulmans en France, à ceux qui représentent la religion musulmane en France (le CFCM ou d’autres organismes comme l’UOI). Il est sur une position offensive par rapport à l'idée qu'il se fait du rôle des hiérarques de l'islam de France. Il leur demande de monter au front face à l'extrémisme, il les juge trop timorés, trop silencieux, il tente de faire bouger les lignes et de mobiliser la communauté musulmane sur ces questions de la place de l'islam dans la République. Au travers de ces alertes, il essaie donc de "secouer le cocotier", de réveiller les consciences. Mais en même temps, c’est un jeu très dangereux : il souffle sur les braises plus qu’il ne favorise un concordat ou un débat serein. D’autant plus qu’un débat ne peut pas être serein en période de terrorisme : tout est exacerbé, tout est sous tension et le moindre propos, encore plus lorsqu’il est prononcé par le Premier ministre, prend des proportions dangereuses. 

Selon vous, comment expliquer ces apparents rétropédalages de Manuel Valls ? Est-ce par ce qu'il sait que François Hollande est en désaccord avec ses positions les plus radicales ? Ou est-ce parce qu'il a compris que de tels propos pouvaient s'avérer contre-productifs et ne sont pas les plus efficaces pour se faire comprendre des musulmans de France ? 

Il n’y a, selon moi, aucun rétropédalage : les propos de Manuel Valls dans Libération me semblent plus choquants que ceux prononcés aux théâtre Déjazet. Les thèmes abordés dans Libération sont plus difficiles et délicats : il s’est tout de même posé la question de savoir si l’islam est soluble dans la République ou pas. On ne peut y voir le signe de quelqu’un qui fait du rétropédalage. Au contraire, il s’arque-boute et durcit ses positions. Il n’est ni dans l’apaisement ni dans la réconciliation. 

C’est tout simplement la pratique du pouvoir qui explique ces postures de Valls : tous les gouvernants tiennent compte du rapport de force. Manuel Valls tient compte du réel. Ce réel quel est-il ? Un pouvoir affaibli, en fin de règne, déjà dans la perspective de la présidentielle. Tout ce qui se dit et se fait doit être lu à l’aune de la campagne électorale qui va se profiler très vite dans des conditions difficiles : une décomposition de la gauche et des écologistes, un parti vert en faillite. Manuel Valls est dans une posture très compliquée :  il est l’un des favoris de la présidentielle de 2017 et a en même temps fait acte d’allégeance au président de la République qui est au plus bas dans les sondages. Il s’agit donc d’une sorte de partie de poker menteur mais qui n’a rien de surprenant et est en un sens logique. 

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