Iran : Où en est la révolution des femmes, un an après son commencement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants brandissent le portrait de Mahsa Amini.
Des manifestants brandissent le portrait de Mahsa Amini.
©AFP

Mort de Mahsa Amini

En Iran, la répression contre les manifestants a été terrible. En un an, près de 20 000 personnes ont été arrêtées et plus de 550 tuées. Mais le mouvement de révolte est pourtant loin de s’être éteint. Bien au contraire. L’avocat activiste franco-iranien Hirbod Dehghani-Azar, président de l’association Norouz et Emmanuel Razavi, Grand reporter qui couvre notamment l’actualité iranienne pour Paris Match, dressent un bilan de la situation, et nous livrent leur analyse.

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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Hirbod Dehghani-Azar

Hirbod Dehghani-Azar

Hirbod Dehghani-Azar est avocat.

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Il y a un an commençait la révolte des femmes iraniennes, après l’assassinat par la police des mœurs de Mahsa Amini. La faute de la jeune femme : avoir mal ajusté son hijab. Tout un symbole : Car le voile est, depuis 1979, l’étendard de la République islamique.

L’obligation ainsi faite aux femmes de le porter devait permettre au régime islamique d’occuper l’espace public, et d’être partout présent dans la vie des Iraniens.

Si ce morceau de toile est devenu l’emblème de la révolution des femmes qui se joue en Iran, celle-ci a pourtant de nombreuses origines.

En effet, depuis 45 ans, « le pays des poètes et des rois » s’est transformé en un véritable narco-état, une tyrannie mafieuse et terroriste dont les Iraniens ne veulent plus, considérant que la révolution faite par leurs parents et grands-parents leur a été volée par une caste de mafiosi.

Rappelons que le Corps des Gardiens de la révolution, bras armé des Mollahs, a la mainmise sur prés de 70% de l’économie iranienne.

Tenant l’administration comme les frontières du pays, ce groupe, largement corrompu, s’est lancé dans le trafic de stupéfiants à grande échelle, passant des accords avec les cartels colombiens et mexicains. Qu’il s’agisse de captagon, d’héroïne et de cocaïne, ces substances meurtrières ont envahi l’Iran et l’ensemble du Moyen-Orient, parvenant jusque dans nos cités. Les Gardiens de la révolutionfinancent et arment également des groupes terroristes à travers le monde arabe, lesquels s’en prennent régulièrement aux intérêts occidentaux. Ils ont aussi investi dans la traite d’êtres humains, la prostitution, le don d’organes. Ces activités illégales leur ont permis de blanchir des sommes énormes et de les placer dans de nombreux pays. Alors que les Iraniens meurent de faim, les enquêteurs de la DEA estiment à plusieurs centaines de milliards de dollars la fortune des véritables maitres - et bourreaux - du pays

Alors que l’Iran devrait être l’un des pays les plus riches de la planète, près de la moitié de ses habitants vivent dès lors sous le seuil de pauvreté, une importante partie d’entre eux n’ayant plus accès à l’eau potable et à l’électricité

Depuis 45 ans, tous ceux qui ont voulu alerter sur la situation ont été muselés, arrêtés, torturés ou exécutés.

Une répression féroce qui en dit long sur les failles du régime. Car incapable de la moindre réforme, sa seule réponse à la détresse des Iraniens repose sur la violence.

Une violence aveugle, quotidienne et systémique que la population entière dénonce.

Une violence contraire aux textes de la constitution iranienne qui stipule dans son article 3 que « le gouvernement de la République Islamique d’Iran a le devoir (…) de mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose dans les domaines suivants :

-[…] élimination de toute forme de despotisme, d’autocratie et d’absolutisme (3-6),

-[…] participation de l’ensemble de la population à la détermination de son propre destin politique … (article 3–8)

-[…]suppression des discriminations injustes … (3-9)

-garantie à tous égards des droits des individus, homme et femme, création d’une sécurité judiciaire équitable pour tous ainsi que égalité de tous devant la loi (3-14) » 

Un après, l’espoir est encore là

Quoi qu’en disent certains, un an après la mort de Mahsa Amini, la révolution est toujours en action. Si elle semble être moins visible, c’est qu’elle a muté. Intelligemment et patiemment, les jeunes iraniens ont investi Internet et les réseaux sociaux pour en faire leur champ de bataille, et relayer leurs actions auprès de la diaspora et des médias. Un grand nombre de femmes, quant à elles, continuent de défier les sicaires du régime en sortant sans voile, au péril de leur vie, ou en organisant des happening dans les rues.

Si les oppositions Iraniennes ont mis un certain temps à se cordonner, elles ont de leur côté structuré leur discours et commencé à se faire entendre par les grandes démocraties occidentales, notamment par le biais d’actions juridiques ayant pour but de faire inscrire les pasdarans sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Elles travaillent aussi à la mise en place d’une cour pénale internationale qui aura pour objet de juger les responsables de crimes contre l’Humanité en Iran, en s’appuyant sur un réseau d’avocats international. D’autres travaillent enfin à la rédaction d’un projet de constitution et la création d’une plateforme de coordination de leurs mouvements parmi lesquels apparaissent toutes les tendances de l’échiquier politique à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran, et qui échangent notamment à travers des canaux de communication par le biais de leurs activistes.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette opposition iranienne, malgré ses divergences, est pleine de promesses. Car la plupart de ses représentants, particulièrement éduqués, partagent un même « logiciel démocratique », se donnant pour ligne rouge de ne pas risquer une guerre civile ou de fragmenter le pays. Enfin, chacun d’entre eux veut en finir avec l’Islam politique qui a causé la faillite du pays et mis à mal les libertés individuelles.

Un an après, la détermination ne manque pas et l’Iran est en phase de changement profond, avec en ligne de mire la chute du régime.

Mais il ne faut pas être naïf, cela sera assurément long !

Cependant, il est évident que compte tenu de la situation économique du pays, touché par la misère et une inflation qui se situe entre 40 et 60 %, de la mise à mal du système de santé publique et de la crise environnementale qui a abouti à mettre les deux tiers de l’Iran en état de stress Hydrique, on voit mal comment la République des Mollahs pourrait ne pas vaciller.

Cette dernière a beau multiplier les actions diplomatiques et économiques auprès de l’Arabie saoudite - son ennemi de toujours - de la Chine ou de la Russie, les accords qu’elle passe avec ces pays demeurent fragiles. Cela d’autant plus que près de 70% des Iraniens y seraient opposés.

Les Saoudiens ne sont d’ailleurs pas dupes de la fragilité et de l’ambiguïté des Mollahs auxquels ils reprochent leur soutien au Hezbollah Libanais et aux Houthis du Yémen. Quant à la Chine, celle-ci ne voit que son intérêt économique - à savoir un pétrole iranien à bas coût - à coopérer avec l’Iran. Et le moins que l’on puisse dire de la Russie, c’est qu’elle a bien trop à faire avec la guerre en Ukraine pour s’empêtrer dans les problèmes intérieurs iraniens.

Elle a besoin uniquement des armes iraniennes !

Tout cela concoure à penser que la République Islamique, au-delà de ses effets d’annonce et de son lobbying médiatique, est dans les faits assez isolée, et que son hyperactivité diplomatique n’est que le cache-sexe de son impuissance à réformer un pays qui ne veut plus d’elle.

Il faut maintenant que les diplomaties occidentales prennent la mesure de ce que sont capables de faire les oppositions iraniennes, et qu’elles misent sur elles. Si ces dernières sont en effet capables de se coordonner et de s’entendre, elles incarnent à coup sûr la promesse d’un avenir meilleur pour l’Iran ainsi qu’un gage de stabilité pour le Moyen-Orient et pour toutes les démocraties à travers le monde.

La révolution est là. Et elle a déjà fortement impacté les fondements du régime des Mollahs. Elle mettra encore du temps à atteindre ses objectifs, cela ne fait aucun doute. Mais par son caractère générationnel - près de 70% de la population iranienne a moins de 40 ans - elle est désormais inarrêtable.

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