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L'école victime du bling-bling
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Pas assez cool l'école

Quelle peut être la place de l’école dans une société où le culte de l'argent et le relativisme culturel se substituent aux valeurs républicaines ?

André Grjebine

André Grjebine

André Grjebine est économiste et essayiste, ancien directeur de recherche à SciencesPo Paris.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages économiques et philosophiques. Il collabore à plusieurs journaux français, dont Le Monde. Ses travaux actuels portent sur les facteurs de vulnérabilité des démocraties libérales, en France et dans les pays scandinaves.

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La cohésion sociale, a fortiori l’intégration, supposent un partage des valeurs et un mécanisme d’insertion, qui passe, en premier lieu, par l’école. Ce mécanisme ne peut fonctionner que s’il est valorisé et sous-tendu par les aspirations de la société, d’abord de ses dirigeants. Jadis, une société, qui faisait de l’enseignant l’agent de la réussite et de l’acquisition des connaissances, la voie privilégiée de la promotion sociale, posait les fondements de l’intégration. Ce projet tend à perdre son sens collectif. Certes, les élites comptent plus que jamais sur l’éducation pour leur perpétuation. Mais, même si les dirigeants politiques continuent à discourir sur la place prééminente de l’école, ils ne la placent plus au cœur de leur projet, ou du moins ils ne la considèrent pas comme le moteur de l’intégration.

Les valeurs mises en avant ne répondent plus à une ambition nationale affichée, mais à une juxtaposition des intérêts les plus divers, des groupes de pression les plus variés. La société française se fragmente et devient un assemblage disparate. Chaque groupe entend marquer son territoire au détriment de la collectivité. Chaque individu cherche à se positionner socialement. Les uns étalent leur puissance et leur richesse. D’autres se réclament de leur culture d’origine ou de celle de leur quartier. Le bling bling et le relativisme culturel, sinon le communautarisme, tendent à prendre la place de l’instituteur comme symbole de la République. La maxime stupide de Jacques Séguela : "Si on n'a pas de Rolex à 50 ans, on a raté sa vie" est devenue la formule choc, sinon la devise de la République.

Un jeu de miroirs

Avec des colorations différentes selon les milieux, cet état d’esprit innerve peu ou prou la société française. A la lecture des ouvrages qui lui ont été consacrés (Franz-Olivier Giesbert, M. le président, Flammarion, 2011; Nicolas Domenach et Maurice Szafran, Off, Fayard, 2011), on a le sentiment d’un étrange jeu de miroirs entre le président et les jeunes de banlieues sensibles. Sans même parler du langage qu’il utilise pour apostropher ceux qui le narguent, les aspirations présidentielles hautement proclamées sont-elles si différentes de celles de ces jeunes, même si elles s’expriment dans d’autres registres ? Eux aussi sont fascinés par tout ce qui suggère la réussite, sinon la revanche sociale, donne un sentiment de puissance et suscite l’envie. D’où la séduction qu’exerce sur eux l’argent, le clinquant, la notoriété. A défaut de passer à la télévision, ils tentent d’obtenir une reconnaissance locale et cherchent à démontrer leur force dans la rue, le métro ou la cage d’escalier.

Dans ce contexte, la reconnaissance « culturelle » accordée par le système scolaire perd du sens. Le brouillage des valeurs induit une école invitée à s’adapter en tout à son public. Dans certains quartiers, les exigences communautaristes, prennent le pas sur la volonté d’inculquer à chaque enfant, quelles que soient son origine et ses croyances, les valeurs d’une société ouverte – c’est-à-dire sans dogmes imposés au nom d’une religion ou d’une idéologie - et un mode d’appréhension du monde d’inspiration rationaliste, sinon scientifique.

La Gauche, qui s’est longtemps prévalue d’être le parti des instituteurs, n’a pas peu contribué à cette démission. Elle n’a pas compris qu’en confondant l’assimilation avec on ne sait quelle visée impérialiste, en prônant le relativisme culturel et le multiculturalisme, elle a rendu d’autant plus difficile l’intégration des jeunes d’origine étrangère que leur culture familiale est plus éloignée de celle de la société d’accueil.

Certaines familles, sans partager à proprement parler cette culture, sont néanmoins porteuses de valeurs qui font de l’éducation une priorité absolue. L’exigence de réussir à et par l’école s’impose pour ainsi dire spontanément à leurs enfants. Dans d’autres cas, il revient à l’école de surmonter le décalage entre la culture familiale et celle de la société. Elle l’a fait dans le passé à une vaste échelle. Encore aurait-il fallu pour qu’elle continue de le faire que, de concession en concession, la société ne renonce pas à la conception d’une école chargée de former des citoyens, disposant des instruments intellectuels nécessaires pour maîtriser leur destin, plutôt que des individus repliés sur eux-mêmes ou leur communauté.

L'image dépréciée de l'instituteur

Dans bien des cas, l’enseignant n’est plus estimé en raison des valeurs qu’il représente et qu’il est chargé de transmettre. Il est, au contraire, perçu comme le représentant d’une institution anachronique et oppressive, étrangère aux nouveaux critères de réussite. Son autorité est remise en question. Il est parfois méprisé en raison de ses revenus relativement modestes, qui l’écartent de la course au bling bling, en supposant qu’il ait l’envie d’y participer. Certains enseignants en viennent à renoncer à transmettre des connaissances et s’abandonnent à la démagogie comme le triste héros souvent magnifié du film « Entre les murs ».

Des parties des programmes scolaires sont récusées sous prétexte qu’elles sont contraires aux dogmes véhiculés par telle ou telle minorité. Des atteintes à la laïcité sont acceptées ici ou là. Les élèves qui répondent positivement au projet éducatif, à plus forte raison ceux qui tentent de s’intégrer, sont souvent désignés comme des « traîtres » à une sous-société communautarisée.

La position de repli dans laquelle se trouve l’école républicaine a des sources diverses et nombreuses. Aucun parti, aucun gouvernement ne saurait en être tenu pour seul responsable. L’acte qui symbolise le mieux cette régression est sans doute le discours du Latran, prononcé par le Président de la République, en décembre 2007, dans lequel il a affirmé : «L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal.» Il annonçait ainsi sa préférence pour les valeurs communautaristes transmises par les représentants des religions au détriment des valeurs universelles que les enseignants éprouvent de plus en plus de mal à transmettre, quand ils en ont encore le désir.

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