Inflation : alerte aux erreurs de politique monétaire (tragiques) du côté de la FED et de la BCE<!-- --> | Atlantico.fr
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Les banquiers centraux n’ont rien appris. Comme en 2008, ils confondent un mouvement de prix relatifs avec la hausse du niveau général des prix. 
Les banquiers centraux n’ont rien appris. Comme en 2008, ils confondent un mouvement de prix relatifs avec la hausse du niveau général des prix.
©ANDRE PAIN / AFP

Mesures efficaces ?

La décision de la Fed de mettre fin à sa politique monétaire accommodante en décidant d’une hausse de taux et les discours de la BCE ont manifesté la volonté de lutter contre l’inflation. Quelles vont être les conséquences de ces choix et de ces mesures ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Chez les êtres humains, l’idée qui domine est la suivante : si quelque chose de mauvais arrive ce n’est jamais de votre faute. C’est encore plus net chez les institutions ; leurs échecs sont toujours attribués à des causes externes, imprévisibles, incongrues. Si l’armée française se rétame en 1940, cela ne peut pas être la faute de Gamelin, les Mémoires du généralissime sont formelles. Si la crise monétaire de 2007-2011 dure en zone euro plus longtemps qu’ailleurs et engendre une décennie perdue, cela ne peut pas être la faute de Trichet, décoré de partout, docteur honoris causa de partout. Et, de nos jours, l’investissement personnel dans l’échec est de mieux en mieux mis à distance, cependant que les agences de communication diffractent plus efficacement le blâme, allument de meilleurs contre-feux. C’est donc un plaisir rare, révélateur et à ne surtout pas manquer que de voir des institutionnels aller à Canossa ; ces dernières années, c’est arrivé souvent du coté du Vatican, mais sur nos sujets plus prosaïques ce n’est arrivé qu’à deux reprises, et encore, de façon très curieuse :

  • En 2002, lors du 90e anniversaire de Milton Friedman, lorsque Ben Shalom Bernanke (qui ne dirigeait pas encore la FED mais qui y était déjà haut placé) a reconnu la responsabilité de son institution dans la crise des années 1930 : « vous aviez raison, Milton, nous l’avons fait. Mais grâce à vous, nous ne le referons plus ». Saluons l’effort, même avec 7 décennies de retard, mais notons l’ironie de la chose, puisqu’en 2008, à peine 6 ans après cette repentance sincère, le même Bernanke désormais à la tête de l’économie mondiale laissera Lehman Brothers aller au tapis, et discutera du risque inflationniste tout au long de l’année, au cours de l’épisode le plus déflationniste depuis les années 1930…
  • Cet hiver. La FED a changé sa communication du tout au tout, en passant d’une inflation transitoire à une inflation plus pérenne. Ce faisant, elle a plus ou moins accepté l’idée d’avoir été « derrière la courbe », d’avoir été un peu trop complaisante trop longtemps, d’où elle tire la conclusion de devoir durcir les conditions monétaires plus rapidement et plus durement que prévu : fin des achats d’actifs, et 11 hausses de 0,25% de taux d’intérêt pour les 20 prochains mois, peut-être même en plus un début de « normalisation » de la taille totale de son bilan, autrement dit la FED pour rattraper son indolence planifie l’équivalent de 1000 points de base de hausse de taux (10 points de % !), sur une période 2022/2023 où se multiplient pourtant les nuages. Et tenez vous bien : ce mea culpa implicite et ces fouettages planifiés aux orties fraiches sont… totalement hors sujet ! Pour une fois que la FED se montre humble, c’est pour dire n’importe quoi, et cela pourrait nous coûter très cher. Jugez-en :

1/ une banque centrale est taillée pour affronter des chocs de demande, pas des chocs d’offre

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Quand la demande agrégée monte trop, quand la surchauffe menace, la banque centrale durcit la politique monétaire, elle retire la sangria avant que la fête ne dégénère. Quand la demande agrégée baisse trop, quand la récession menace, la banque centrale assouplit sa politique monétaire, elle lâche l’escompte. Par contre si le prix du pétrole monte ou baisse, si la moisson est bonne ou la récolte mauvaise, la banque centrale ne peut rien faire (elle ne sait ni forer, ni semer), en fait elle ne doit rien faire, mis à part s’assurer que ces chocs d’offre bons ou mauvais ne perturberont pas trop sa gestion de la demande. C’est la théorie. Dans la pratique c’est plus compliqué car le banquier central indépendant adore organiser des symposiums sur les réformes structurelles pour l’offre productive de long terme, et il montre moins d’entrain à mettre ses mains dans le cambouis de la croissance nominale de l’année prochaine, mais passons. Nous avons reçu trois chocs d’offre négatifs, imprévus et pénibles : Trump, Covid19, Russie. Trois chocs en 4 ou 5 ans contre un par décennie d’habitude, trois chocs protectionnistes par essence, trois chocs qui rendent nos finances publiques encore plus tropicales, trois chocs qui font monter les coûts, trois chocs qui ne sont pas vraiment du ressort d’une banque centrale, même s’il était important de montrer aux marchés vers le printemps 2020 qu’il y avait un pilote dans l’avion. Aujourd’hui on nous dit que la FED devrait durcir les conditions monétaires et la BCE lui emboiter le pas. Au nom de quoi ? Au nom du CPI, l’indice officiel d’inflation qui mélange des prix et des coûts, qui monte quand les hydrocarbures montent (alors que cela fera baisser tôt ou tard la demande agrégée !), le même indice qui se situait encore à 4 ou 5% partout en occident vers septembre 2008, une horreur statistique exprimée en glissement sur 12 mois qui ne verrait pas une déflation peinte en jaune fluo dans un corridor étroit.

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En quoi le fait de monter des taux d’intérêt va-t-il faciliter la décrue des prix des hydrocarbures ? Mystère. Peut-être par la montée du dollar, mais alors on est chez les Shadocks, car c’est au chien de remuer la queue, par à la queue de remuer le chien (les marchés de matières premières sont MINUSCULES en comparaison du marché de la monnaie). La banque centrale doit attendre la stabilisation des prix du pétrole et du gaz, l’effondrement du CPI qui s’en suivra du fait des effets de base (souvenez-vous de 2009, ou de 2015, ou de 1986 et de 1998 pour les plus anciens), et c’est tout. Si elle durcit sa politique dans un contexte pareil, elle parviendra peut-être à faire croire aux gros naïfs que c’est son action qui a fait revenir le CPI dans les clous, mais au risque d’un fort ralentissement, et même d’une récession si le moindre choc supplémentaire survient.

2/ en plus, le durcissement monétaire avait déjà commencé dès fin 2020 !     

Les dispositifs d’urgence de la FED vers avril 2020 n’ont pas tous été utilisés. Certains ont été retirés très vite. Et dès novembre-décembre 2020, par le mécanisme des reverse repos, la liquidité excédentaire a commencé à être drainée. Une sorte de resserrement monétaire technique, passif et discret, dont on peut voir les effets concrets et immédiats début 2021 à travers le renforcement du dollar (nous en étions alors à 1,23 contre euro, et 103 contre yen !) et à travers le début d’effondrement des cours des valeurs les plus spéculatives, les actions qui perdent de l’argent et qui ont le plus besoin d’un environnement de liquidités abondantes (en février 2021, l’action Virgin Galactic valait plus de 50 dollars !). Ce resserrement qui ne dit pas son nom a eu lieu un peu partout et tout au long de l’année 2021, hélas pas toujours accompagné par un retour du sérieux budgétaire. Et maintenant la FED en rajoute plusieurs couches, et la BCE sous-entend qu’elle pourrait suivre le bluff, alors qu’on n’observe pas de surchauffe en zone euro, les anticipations restent ancrées, les salaires sages. On est en plein hubris de banquiers centraux indépendantistes et mimétiques, mais pas à partir d’une situation de laxisme monétaire de folie (sinon, l’épargne serait attaquée alors qu’elle se porte comme un charme, +1000 milliards d’euros selon le FMI rien que pour l’épargne des ménages en 2021/2022), non, à partir d’une situation qui était amenée à se normaliser de toute façon.           

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3/ en plus, le marché nous hurle en Dolby surround que c’est une bêtise !

Les taux d’intérêt ont une structure, en fonction de la maturité des tranches : les taux courts nominaux (disons jusqu’à deux ans, sous la responsabilité de la banque centrale) doivent être plus bas que les taux longs nominaux (dix à trente ans, sous la responsabilité du marché), parce que vous prenez moins de risque à prêter court qu’à prêter long, en particulier parce que l’inflation qui érode la valeur de votre obligation sera plus lourde à mesure que le temps passe. La courbe des taux est donc plus ou moins pentue au gré du cycle et des humeurs, mais la pente existe, à l’équilibre, sinon les banquiers (qui prêtent sur la partie longue et qui se financent sur la partie courte) auraient du mal à vivre, donc à prêter, et retour à la case départ car la récession que cela engendre forcera la banque centrale à abaisser les taux courts. Il ressort de tout cela qu’un mouvement de dépentification, a fortiori d’inversion de courbe, quand les taux longs passent en dessous des taux courts, constitue un message très fort du marché, message que je vous résume : « je ne gobe pas le scénario inflationniste, je crains une récession à horizon de 18 mois, en gros les taux courts de la banque centrale sont déjà trop hauts ». A l’heure où j’écris ces lignes, les taux souverains nominaux US sont à 2,46% (2 ans), 2,39% (10 ans), 2,43% (30 ans). Cela n’implique pas une récession en 2023, il est arrivé à la pente de la courbe des taux de se tromper et surtout la pente peut se redresser ; la situation reste fluide, comme sur le front ukrainien, ce qui ravie les marchés d’actions. Mais très clairement le marché obligataire nous dit qu’il n’y a pas beaucoup d’espace pour frapper impunément 11 fois en 20 mois ! (A fortiori pour appliquer la stupide règle de Taylor, qui impliquerait déjà partout des taux directeurs autour de 10% ; combien d’acteurs économiques résisteraient à ce bombardement monétaire ?). 

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En réalité je n’ai pas besoin de la pente de la courbe des taux (un truc nominaliste) pour savoir que la FED fait des bêtises. J’ai étudié le casting (il n’y a plus de vrais spécialistes en politique monétaire au sein de leur comité de politique monétaire !), ainsi que leurs incohérences temporelles et doctrinales ; mais c’est toujours sympa d’avoir le marché dans son camp, une validation qui n’arrive pas souvent à Patrick Artus ou à Philippe Becharde.              

4/ en plus, s’il y a encore de la place pour un débat aux USA, chez nous ça va faire mal !

Les Américains sont riches, ce qui autorise bien des bêtises. Depuis 2009, leurs actions ont octuplé, ils ne sont plus très loin du plein emploi (si on ne regarde pas trop le taux d’activité), les salaires montent enfin, il est possible que certains prix mettent un moment à redescendre du fait du laxisme budgétaire et des dérives réglementaires (pensez à l’immobilier), et puis ce sont des gens qui changeront de politique en cas de besoin, ils sont attentifs à ce que perçoivent les marchés, enfin espérons. On pourrait même dire que le fait de se focaliser sur des frappes de taux de la FED est le signe que les choses sérieuses (automne 2008, printemps 2020…) ne sont plus trop d’actualité (Milton Friedman citait un général français des années 1920 : quand la guerre est finie, la cavalerie retrouve tout son prestige).

Les eurolandais sont dans une situation de bien plus grande vulnérabilité, ils ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre, leur point de départ est plus bas (la croissance allemande a déjà été quasi-nulle tout l’hiver, alors que le pays avait encore du gaz), leur monnaie anachronique et fixiste n’aide pas (je vous dis à chaque article qu’un euro à 1,1 aujourd’hui équivaut à l’euro à 1,5 d’il y une douzaine d’années, vues les défaites qui s’enchainent en zone euro dans tous les domaines), sans compter que les problèmes de fond (pays périphériques qui ont besoin d’un euro plus bas, banques commerciales qui ont besoin d’une recapitalisation) n’ont pas été traités sérieusement, et que la BCE a besoin de plus de temps pour retourner sa veste (manque de leadership, autisme vis-à-vis des marchés, et plusieurs membres du comité qui n’ont pas le wifi dans toutes les pièces). Si nous suivons bêtement la FED, ce qui arrive souvent (nous avions fait l’euro pour ne plus dépendre de la politique monétaire américaine, passons), nous payerons le prix fort, avec en prime de plus fortes incertitudes géopolitiques et une forte exposition aux prix capricieux des matières premières.   

Pour conclure, disons que les banquiers centraux n’ont rien appris ; comme en 2008 ils confondent un mouvement de prix relatifs avec la hausse du niveau général des prix ; comme en 2008 ils ont opté pour la mauvaise boussole, le CPI ; comme en 2008 ils s’appuieront sur des boucs émissaires, et ne s’excuseront pas, et cette fois encore moins maintenant qu’ils se sont chargés dans l’autre sens d’une des rares fautes qu’ils n’ont pas commise !  

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