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Réindustrialisation de la France 
ou nouvelle industrialisation ?
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Semaine de l'industrie

La France, qui a vu se développer dans les trente dernières années des champions industriels internationaux, doit désormais faire face aux dures réalités de la mondialisation et innover pour survivre. A l'occasion de la Semaine de l'industrie, Patrick Node-Langlois, ancien haut dirigeant d'un grand groupe industriel, livre à Atlantico son analyse sur l'avenir de notre industrie nationale.

Patrick Nodé-Langlois

Patrick Nodé-Langlois

Patrick Nodé-Langlois est un ancien haut dirigeant d'un grand groupe industriel.

Il est administrateur de la chaîne KTO.

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D’emblée, j’affirme qu’un pays comme la France qui veut jouer un rôle majeur sur la scène internationale à commencer par l’Europe, doit avoir une base industrielle solide. Les britanniques ont fait un autre choix en privilégiant les services et surtout la finance ; je ne suis pas sûr qu’ils aient eu raison. La France a vu se développer,  dans les trente dernières années, à partir de son territoire, des champions industriels mondiaux qui peuvent tout naturellement servir de socle à une nouvelle industrialisation.

Innover pour survivre

Il ne s’agit pas de rapatrier les productions qui sont parties à l’étranger, mais de travailler autrement. Il est évident que la globalisation de l’économie, mouvement peut-être contrôlable, mais irréversible, impose que les produits de grande série, à fort contenu de main d’œuvre non qualifiée, doivent être fabriqués dans les pays où la main d’œuvre est moins chère. Et ce n’est que justice si on croit au partage des richesses dans le monde. Pour un homme ou une femme, pouvoir vivre sur sa terre natale, même moins bien payé, est un plus en terme de qualité de vie et cela ne se mesure pas uniquement financièrement.

Est-ce à dire que toutes les filières industrielles sont destinées à disparaitre ? Il y a deux limites à la délocalisation : le coût de transport et l’exigence de qualité. Les prix du transport qui vont devoir de plus en plus intégrer le coût d’émission de CO2, ou tout simplement la diminution de l’offre pour des raisons stratégiques (l’actualité le prouve) vont très certainement changer la donne en matière de délocalisation. Quant aux normes de qualité qui imposent le zéro défaut, obligent les secteurs qui recourent à de hautes technologies, à contrôler leurs productions le plus près possible. Tout cela veut dire pour les pays industrialisés qui ont perdu une partie de leurs industries (textile, sidérurgie…) la nécessité de s’engager dans une nouvelle industrialisation s’appuyant sur des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Les facteurs clés de réussite de cette conversion sont la créativité entrepreneuriale, l’innovation, l’adaptabilité des acteurs concernés et une politique sociale facilitant la reconversion des salariés touchés par les délocalisations.

Je crois que Nicolas Sarkozy et son gouvernement ont pris la mesure de cette évolution en créant le Fonds stratégique d’investissement et en lançant le grand emprunt, non pas pour aider des canards boiteux à survivre, mais pour faciliter le développement de secteurs et d’entreprises innovantes, performantes, utilisant des hautes technologies comme celles de l’information.

Preuve par l'exemple

Permettez moi d’en donner une illustration à partir d’un cas concret que je viens de vivre. Il y a 148 ans, l’un de mes arrière grands pères maternels, Paul Daher, créait une entreprise de transit et d’armement maritimes qui est devenue au XXIe siècle un des grands équipementiers de l’aéronautique, mais aussi un fournisseur privilégié de la défense nationale, de l’industrie nucléaire et d’autres secteurs comme l’automobile. Du négoce à l’origine, l’entreprise familiale, Compagnie Daher, est passée à la logistique avec parmi ses grands clients, Airbus. En 1999, elle rachète Lhottelier à Montrichard sur le Cher, autre société familiale, fabriquant des pièces aéronautiques en matériaux composites et des containers.

A partir de là, Daher développe un modèle unique d’équipementier européen intégrateur de solutions industrie et services. En 2008, Daher négocie l’achat de SOCATA, filiale d’EADS, ex Morane-Saulnier à Tarbes, dont on fête le centenaire cette année. A ce stade, Daher emploie 7 000 personnes et a un chiffre d’affaires potentiel d'un milliard de dollars. Le capital de Compagnie Daher est détenu par Sogemarco- Daher, holding patrimoniale propriété de 250 actionnaires, tous descendants du fondateur, Paul Daher. J’ai eu la chance de présider cette holding de 2000 à 2010 ce qui m’a permis d’être l’ accompagnateur, le complice en quelque sorte de mon cousin Patrick Daher, PDG du groupe et le principal artisan de son développement ; le groupe a triplé de taille depuis 2004. L’acquisition de SOCATA n’avait de sens que si elle était suivie par de nouveaux investissements dans le domaine des aérostructures.

Septembre 2008, déconfiture de Lehman Brothers ; les banquiers qui nous ont financés jusqu’ici déclarent forfait. Nous arrivons très vite à la conclusion qu’il faut augmenter les fonds propres de Compagnie Daher et son actionnaire, Sogemarco-Daher, décide d’ouvrir le capital de sa filiale. Bercy qui en entend parler, pensa que c’était un bon investissement pour le FSI et contacte Patrick Daher. C’est la fin octobre 2008. En novembre, Nicolas Sarkozy vient annoncer la création du FSI dans notre usine de Montrichard. Six mois plus tard le FSI et deux fonds aéronautiques gérés par ACE Management apportent 80 millions d’euros à Compagnie Daher contre 20 % de son capital et deux postes d’administrateurs. Sans cet apport nous compromettions les 30 prochaines années ou nous aurions dû faire appel à un fonds étranger. Nous avons traversé la crise sans casse sociale, avec un bon bilan et en poursuivant les développements prévus dans le plan stratégique. Le FSI a investi dans notre groupe non seulement pour sa performance, sa capacité innovatrice, son positionnement stratégique, mais aussi pour son système de gouvernance qui combine vision familiale et vision industrielle sans que les deux se confondent. La présence du FSI et des deux autres fonds ne remet pas en cause l’indépendance du Groupe Daher. Leurs équipes l’aident par leurs conseils et leur connaissance de l’industrie ; ils ne cherchent pas à imposer quoique ce soit.

Vers une nouvelle industrialisation ?

Une nouvelle industrialisation est possible à plusieurs conditions :

- ne pas revenir au passé en se protégeant de la mondialisation, car ce serait une absurdité ;

- investir dans des secteurs à haute technicité en s’appuyant sur les grands groupes industriels français et leaders mondiaux ;

- investir dans la recherche et l’innovation ;

- investir pour le long terme, ce qui exclut les approches du capitalisme financier ;

- définir une politique fiscale stable, qui respecte les objectifs ci-dessus, et qui favorise la création de PME et la transmission d’entreprises familiale ; il n’y a pas de bonne politique fiscale pour les entreprises qui ne reposent sur une stratégie industrielle à long terme ;

- reconnaître à l’Etat, un rôle d’incitation et d’accompagnement, en aucun cas d’ingérence ;

- définir avec les partenaires sociaux, une politique sociale innovante facilitant le reconversion de la main d’œuvre touchée par les délocalisations et les reconversions ;

En un mot, il faut savoir changer tout en restant soi-même, c'est-à-dire aborder la nouvelle industrialisation à partir des secteurs d’excellence qui existent encore en France.

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