Inculpation de Donald Trump : la justice au risque de faire flamber les guerres politiques américaines ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président américain Donald Trump après son discours au Trump National Golf Club Bedminster à Bedminster, dans le New Jersey, le 13 juin 2023.
L'ancien président américain Donald Trump après son discours au Trump National Golf Club Bedminster à Bedminster, dans le New Jersey, le 13 juin 2023.
©ED JONES / AFP

Dangers pour la démocratie

Donald Trump, poursuivi pour sa gestion de secrets d'Etat après son départ de la Maison Blanche, a plaidé mardi non coupable des charges à son encontre lors de sa comparution devant un tribunal fédéral à Miami. La justice américaine lui reproche d'avoir emporté avec lui des milliers de documents confidentiels après avoir quitté le pouvoir.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Atlantico : De nouveau inculpé, cette fois par la justice fédérale, Donald Trump a comparu à Miami le mardi 13 juin dans l’affaire des documents secrets retrouvés dans sa résidence de Floride. Quelles sont les différentes charges et procédures qui pèsent sur Donald Trump ? Qu’est-ce qui est reproché à l'ancien président des Etats-Unis en ce moment ?

Jean-Eric Branaa : Il est important de souligner que l'ancien président des États-Unis est poursuivi par le gouvernement fédéral, et contrairement aux deux autres affaires où les procureurs de New York pourraient être accusés de partialité en raison de leurs affiliations démocrates, celle-ci est d'une tout autre nature. En outre, il est poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage, car il aurait emporté avec lui des documents classifiés hautement sensibles. Ces documents semblent inclure des plans de réponse des États-Unis en cas d'attaque nucléaire, ainsi que des informations sur les programmes nucléaires de l'Iran et d'autres pays. Il est évident que nous traitons ici de questions extrêmement délicates, et cela revêt une gravité considérable. En tant que président des États-Unis, il était censé protéger ces secrets au lieu de les mettre en danger. Nous sommes ici confrontés à une situation extrême et hautement sensible, avec des peines de prison particulièrement sévères. Certaines d'entre elles pourraient atteindre plusieurs dizaines d'années et, s’il était condamné, il mourrait certainement en prison.

Gérald Olivier : Sur la papier, les  accusations contre Trump dans le dossier des documents classifiées sont sérieuses. L’ancien président est accusé de détention illégale de documents classés secrets ayant trait à la défense nationale, d’entrave à la justice, de falsification, de dissimulation et d’élimination de documents liés à une enquête fédérale, ainsi que de faux témoignage.

Il risque 400 ans de prison s’il était jugé coupable de tous les chefs d’accusation et condamné au maximum de la peine prévue…

La surprise de ces chefs d’accusation est qu’ils n’ont pas trait à la loi que régie la gestion de documents présidentiels, le « Presidential Records Act » de 1977, mais qu’ils rentrent dans le cadre du Espionnage Act, une loi de 1917, liée à la dissémination d’informations sensibles.

À quel point est-ce qu'il essaie justement d'utiliser l'événement et les faits qui lui sont reprochés pour finalement instrumentaliser la chose, mobiliser sa base électorale et faire bloc derrière lui ?

Jean-Eric Branaa : Le système judiciaire est une notion fragile et sensible dont les règles doivent être acceptées par la société pour que la démocratie s’exerce, tout en sachant que, par nature, la justice est imparfaite. Il est évident que si quelqu'un se retrouve devant un tribunal, cela ne signifie pas nécessairement qu'il est un criminel endurci, mais peut-être simplement qu'il possède une histoire de vie compliquée ou que, par exemple, il y a eu une erreur. C’est pourquoi chacun est présumé innovent jusqu’au verdict de son procès. Certains, grâce à l’habileté de leurs avocats (qui facturent souvent très cher leurs services), s’en sortent bien mieux que d’autres, moins fortunés, moins imaginatifs ou livrés à eux-mêmes. C’est le cas de Trump, qui a des moyens importants et une position qui lui permet de jouer avec le système.

Or, lorsqu'il s'agit d'un ancien président des États-Unis, il est censé protéger le système judiciaire. Mais il fait le contraire : même l'idée que la justice est impartiale, bien qu’imparfaite, est remise en question. Cela rend le système encore plus fragile lorsque l'ancien président lui-même déclare que la justice est corrompue et biaisée. Du coup, c'est l'ensemble du système qui risque de s'effondrer. Et c'est pourquoi cette question n'est pas anodine. Au-delà de Trump lui-même, c'est plutôt le système dans son ensemble qui est en jeu. Trump a retourné les critiques et plutôt que d’affronter le désormais traditionnel « tous pourris », c’est lui qui attaque et dénonce la Justice. Et c'est ce qui est très perturbant, d’autant qu'il s’est situé au sommet de la hiérarchie. Comment voulez-vous que la société fonctionne lorsque l'ancien président des États-Unis déclare que le système est pourri ? Tous ceux qui sont sensibles à l’injustice réagissent et se rangent à ses côtés. C'est une situation très complexe.

Gérald Olivier : Donald Trump a dénoncé ces accusations comme « fausses et fabriquées ». Il a plaidé non coupable et pointé du doigt le président actuel Joe Biden comme la vraie personne derrière cette mascarade judiciaire. « Ce jour vivra dans l’infamie », a-t-il déclaré, en sortant du palais de justice après sa première comparution. « Joe Biden restera dans les mémoires comme le plus corrompu des présidents de l’histoire de notre pays et surtout comme celui qui avec une bande de voyous, de malfrats et de marxistes a voulu détruire la démocratie américaine.»

Derrière ces affaires de justice il y a bien la volonté, non revendiquée, mais parfaitement lisible, du camp Démocrate, d’empêcher Donald Trump d’être candidat à la Maison Blanche en 2024. Et s’il parvenait néanmoins à être ce candidat, l’objectif de ces poursuites est de le décrédibiliser auprès de l’électorat indépendant et d’orienter la campagne sur sa personne et son comportement non pas sur le bilan du président sortant et probable candidat démocrate, Joe Biden.

Par sur que les électeurs se laissent aussi facilement convaincre. Selon un sondage CBS 75% des électeurs républicains ont affirmé que pour eux les accusations étaient motivées par des considérations « politiques ». Six sur dix ont dit que ces accusations ne changeraient pas leur vote en faveur de Trump. Et près de deux sur dix ont affirmé que ces accusations affectaient « favorablement » leur opinion de Trump. Seulement 7% des personnes interrogées ont dit que cela avait impacté défavorablement leur vision de l’ancien président.

Début avril, la cote de Trump avait même progressé après sa mise en accusation par le procureur Bragg.

Beaucoup s’émeuvent que d’autres leaders, démocrates, n’aient pas été inquiétés de la même façon pour des faits similaires, à commencer par Hillary Clinton et surtout Joe Biden quand il était vice-président. Y a-t-il un deux poids deux mesures ? A quel point l'électorat républicain perçoit-il les choses ainsi ?

Jean-Eric Branaa : Là nous sommes dans le domaine de la déformation politique. En réalité, ces affaires n'ont rien en commun et sont sans rapport les unes avec les autres, même si on peut relever quelques similitudes.

Rappelons-nous de l'affaire d'Hillary Clinton, où l'on parlait déjà de sécurité nationale, et Donald Trump lui-même, lors de sa campagne de 2016, affirmait que quiconque met en danger le système et fragilise la sécurité nationale doit être emprisonné. (On pourrait aujourd'hui utiliser ses propres mots pour dire : "Vous devez aller en prison"). Mais si nous revenons sur l'affaire des emails de Clinton, ce qui s'est passé, c'est qu'elle a utilisé une messagerie non sécurisée, ce qui est interdit. Elle n'est pas la seule à l'avoir fait, d'ailleurs. Depuis, nous avons constaté que tout le monde l'a fait, y compris Trump lui-même. C'est un peu tentant, vous savez, à certains moments, de prendre un téléphone et de partager des informations. Pour ma part, je n'ai jamais vraiment commenté cette affaire en particulier, car elle me semble assez banale et il faut aussi savoir freiner à certains moments. Rappelons que son « crime » a été d’envoyer des messages ayant pour objet le mariage de sa fille Chelsea, l'organisation de ses vacances, ses cours de sport. Il y a bien eu une dizaine de messages classés secret, mais pas secret défense. Et elle ne les a pas gardé ou emporté quelque part, mais juste envoyés du mauvais téléphone. Il y a eu une commission d'enquête. Elle est venue s'expliquer et a répondu à toutes les questions pendant des heures et des heures. C’est ce que Donald Trump n'a pas fait.

N'oublions pas que ce que l'on reproche à Donald Trump, c'est en partie d'avoir ces documents, mais surtout de ne pas les avoir rendus. Et lorsqu'on sait que ce sont des documents hautement classifiés, on se demande pourquoi il ne les a pas rendus. On se demande d’ailleurs aussi pourquoi il les a pris. En outre, selon les informations communiquées, il semblerait qu'il y ait également des enregistrements qui viennent s'ajouter à cette affaire, dans lesquels il reconnait avoir des documents très sensibles et ne pas les rendre. Avoir en sa possession des documents classés tout en prétendant aux agents du FBI ne pas les posséder, c'est ce qui pose problème.

Gérald Olivier : Les faits reprochés à Donald Trump sont beaucoup moins graves que ceux reprochés à Hillary Clinton en 2016 mais il est de plus en plus évident aux Etats-Unis qu’il existe une justice pour les Démocrates et une autre pour les Républicains, en particulier Donald Trump.

Durant ses années en tant que secrétaire d’Etat (2009 à 2013)  Hillary avait utilisé un serveur privé non sécurisé pour nombre de ses communications digitales. Des informations top-secrètes avaient ainsi été disséminées dans la nature. Une fois découverte Hillary avait effacé des milliers d’emails et détruit des téléphones portables à coups de marteau et d’eau de javel, pour masquer l’ampleur des fuites et la quantité des informations sensibles qu’elle avait pu ainsi mettre à la portée des ennemis de l’Amérique. Mais elle n’avait jamais été poursuivie. En juillet 2016 au plus fort du scandale des emails d’Hillary, le directeur du FBI d’alors James Comey avait jugé qu’elle avait fait preuve d’une « extrême négligence » mais que son comportement n’était pas « criminel » et qu’aucun « procureur raisonnable » ne pouvait en toute conscience engager des poursuites contre elle.

Joe Biden lui même, président en exercice a reconnu détenir des cartons entiers de documents classés secrets, certains entreposés dans son garage, à côté de sa voiture de sport, une Corvette décapotable. D’autres cartons ont été retrouvés dans ses bureaux de l’Université de Pennsylvanie, au sein d’un centre portant son nom, « Le Penn Biden Center », financé par de généreux donateurs proches des dirigeants de la Chine …

Au contraire de Donald Trump qui était président et qui avait donc le pouvoir de déclassifier tous les documents en sa possession, rendant toute procédure juridique contre lui impossible, Joe Biden était vice-président et n’avait donc pas une telle autorité. De plus, des documents classifiés datant de ses années de sénateur ont également été retrouvés chez lui. Les sénateurs n’ont pas accès à des documents classifiés. Ils peuvent les « consulter » dans des pièces protégées mais jamais les sortir… A moins  de le faire en douce. Et de commettre un délit. De telle sorte que pour que Joe Biden ait en sa possession de tels documents il a inévitablement fallu qu’il les subtilise de façon totalement illégal… Mais aucune accusation n’a été portée contre Joe Biden.

À quel point est-ce que, à la fois, côté démocrate comme républicain, on tente d'instrumentaliser les événements contre Trump pour, soit le disqualifier pour 2024, soit à l'inverse pour faire bloc ?

Jean-Eric Branaa : C'est indéniable qu’il y a de la manipulation. Depuis l'arrivée de Trump, on assiste à une instrumentalisation totale, où l'on fonce tête baissée sans réfléchir. Je crois que la démocratie en sort perdante, et la déchirure entre les Américains ne cesse de s’agrandir. Chacun campe sur ses positions, creuse des tranchées et a arrêté de réfléchir. On se dit : "Ah, on va s'en servir pour le détruire ou pour le défendre".

On remarque cependant que les républicains ne savent pas trop sur quel pied danser actuellement. Certains sont plus prudents qu’auparavant, marchent sur des œufs, comme Ron DeSantis, en se disant que de toutes façons, les partisans de Trump n'écoutent rien de ce qui est dit et qu’ils affirmeront simplement qu'il est poursuivi parce que c'est une chasse aux sorcières, mais qu'il était un très bon président ; les candidats savent qu’il ne faut surtout pas se mettre à dos ces électeurs, car leur réussite en dépend. De l'autre côté, à gauche, la plupart des hommes politiques font preuve d'une grande retenue, en évitant de dire que c'est politique. Ils font le moins de déclarations possible, ce qui les place dans une position difficile. Biden, Sanders, Schumer, Jeffries et tous ces hauts responsables politiques n'ont rien dit. Parce qu'il ne faut surtout pas donner de crédit à la thèse que les poursuites sont politiques Trump est aux aguets et ne laissera rien passer.

Gérald Olivier : Donald Trump a dénoncé ces accusations comme « fausses et fabriquées ». Il a plaidé non coupable et pointé du doigt le président actuel Joe Biden comme la vraie personne derrière cette mascarade judiciaire. « Ce jour vivra dans l’infamie », a-t-il déclaré, en sortant du palais de justice après sa première comparution. « Joe Biden restera dans les mémoires comme le plus corrompu des présidents de l’histoire de notre pays et surtout comme celui qui avec une bande de voyous, de malfrats et de marxistes a voulu détruire la démocratie américaine.»

Derrière ces affaires de justice il y a bien la volonté, non revendiquée, mais parfaitement lisible, du camp Démocrate, d’empêcher Donald Trump d’être candidat à la Maison Blanche en 2024. Et s’il parvenait néanmoins à être ce candidat, l’objectif de ces poursuites est de le décrédibiliser auprès de l’électorat indépendant et d’orienter la campagne sur sa personne et son comportement non pas sur le bilan du président sortant et probable candidat démocrate, Joe Biden.

Par sur que les électeurs se laissent aussi facilement convaincre. Selon un sondage CBS 75% des électeurs républicains ont affirmé que pour eux les accusations étaient motivées par des considérations « politiques ». Six sur dix ont dit que ces accusations ne changeraient pas leur vote en faveur de Trump. Et près de deux sur dix ont affirmé que ces accusations affectaient « favorablement » leur opinion de Trump. Seulement 7% des personnes interrogées ont dit que cela avait impacté défavorablement leur vision de l’ancien président.

Début avril, la cote de Trump avait même progressé après sa mise en accusation par le procureur Bragg.

Au regard de l’état de polarisation de la société américaine, quels sont les risques démocratiques qui entourent ce procès ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Jean-Eric Branaa : Nous sommes dans une impasse, je dois vous le dire. En réalité, il n'y a aucune issue car on a véritable deux Amérique l’une en face de l’autre et Trump continuer à jouer de cela. Que se passera-t-il s'il ne s'en sort pas ? Comment les gens réagiront-ils ? Et s’il gagne ? Comment l’autre Amérique réagira-t-elle ?

Parce que si nous reprenons notre question initiale, tout repose sur notre conception de la Justice, et il est crucial que ce soit une idée commune ; si ce n’est plus le cas, la société s'effondre. Or, Trump est en train de faire chanceler notre société pour se propre défense personnelle, et c'est cela que nous devons comprendre aujourd'hui.

Au final, je ne vois qu’une conclusion : Il ne doit pas gagner, mais il ne doit pas non plus perdre. Dans tous les cas, la suite va être très compliqué.

Gérald Olivier : Je crois que les Américains comprennent clairement ce qui se passe. La justice est politisée et orientée. Le cas Donald Trump est un cas extrême et particulièrement visible, mais si vous êtes Républicain aux Etats-Unis, et particulièrement conservateur, si vous avez êtes croyant et traditionnaliste, si vous êtes un parent et vous souciez de l’éducation scolaire de vos enfants, vous allez avoir le gouvernement sur le dos. Les exemples se sont multipliés ces dernières années et tout récemment un rapport (Le rapport Durham) a dénoncé et détaillé la « politisation » du FBI. Les électons restent le meilleur moyen de corriger ces dérives. D’où l’importance de scrutins fiables et sûrs.

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