Immigration : comment le recours au solde migratoire contribue à relativiser et minorer les chiffres<!-- --> | Atlantico.fr
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Des migrants à Calais, en Novembre 2017.
Des migrants à Calais, en Novembre 2017.
©PHILIPPE HUGUEN/AFP

Bonnes feuilles

Michèle Tribalat publie « Immigration, idéologie et souci de la vérité » aux éditions de L’Artilleur. La démographe Michèle Tribalat, spécialiste de la question migratoire, s’est saisie de quelques   exemples de «  décodages  » de la presse nationale, pour montrer l’hémiplégie du décodage. L’auteur tente de décoder ce que les décodeurs n’ont pas vu, pas voulu voir ou mal vu sur des sujets sur lesquels ils exercent pourtant une intense vigilance. Extrait 1/2.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Le but principal des argumentations chiffrées développées sur le thème de l’immigration et visant à la minorer, la relativiser est de contredire les perceptions communes qui tiendraient à une propagande politique de la droite plutôt extrême ou, tout au moins, telles que l’élite du bon goût se les représente, et quelquefois les fabrique pour pouvoir les démonter. Il faut absolument que ces perceptions, outre qu’elles manquent de goût, soient erronées. Mon but ici n’est pas de dire que les gens ordinaires perçoivent la réalité telle que la décri‑ raient des statistiques bien faites – tout un chacun peut se tromper en la matière – mais de montrer que ce n’est pas tant l’exactitude de ces perceptions qui préoccupe ceux qui s’en offensent que leur dissonance avec l’idéologie dominante du milieu dans lequel ils évoluent.

Elles peuvent venir de chercheurs, de journalistes, d’intellectuels dont la propension à se tromper vaut bien celle dont ils affublent les gens ordinaires et leurs propres adversaires.

(…)

Il s’agit là d’une notion pas toujours bien maîtrisée, mais qui plaît beaucoup tant elle ramène souvent l’immigration à un petit ruisseau. Sur le papier, c’est la différence entre les entrées et les sorties. Mais, en France, le solde migratoire n’est pas mesuré. Nous ne disposons pas d’un enregistrement des entrées du territoire cohérent et exhaustif  et n’avons pas d’enregistrement des sorties comme c’est le cas dans les pays du nord de l’Europe qui ont des registres de population bien tenus.

Le solde migratoire n’est pas estimé au sens propre du mot non plus. Il est ce qui, dans l’évolution de la population entre deux 1er janvier, ne s’explique pas par les naissances et les décès enregistrés à l’état civil. Autrement dit, c’est le résidu de l’équation démographique annuelle. Comme l’écrit l’Insee : « Les évolutions peuvent refléter des fluctuations des entrées et des sorties, mais également l’aléa de sondage du recensement. » Il aurait pu ajouter : les fluctuations de la qualité de la collecte et les modifications du questionnaire ou des pondérations. Depuis que l’Insee a remplacé les recensements exhaustifs par des enquêtes annuelles, cela s’est compliqué. Je n’entre pas dans les détails ici.

Ce solde migratoire, s’il était bien mesuré, donnerait une idée de l’immigration nette des étrangers et des Français confondus ou des immigrés et des natifs confondus. Je donnerai deux exemples d’usage inconsidéré du solde migratoire pour relativiser l’immigration étrangère.

Pour la Fondation Jean Jaurès

La Fondation Jean-Jaurès a mis en ligne le 7 novembre 2019 une note d’Hervé Le Bras intitulée Questions de migration.

Hervé Le Bras recourt à la notion de solde migratoire pour éviter, dit-il, de se limiter aux seules entrées d’étrangers en France :

« en 2017, l’Insee a comptabilisé 262 000 entrées et 71 000 sorties d’immigrés. Simultanément, 241 000 “non-immigrés” ont quitté le territoire français tandis que 108 000 y revenaient. Ainsi le solde net des immigrés est positif à 191 000 personnes et celui des non-immigrés négatif à -133 000 personnes, soit un apport global de la migration de 58 000 personnes, ce qui est modeste (moins d’un millième de la population) ».

La formulation donne l’impression que l’Insee dispose d’un système d’enregistrement des entrées et des sorties. Ce qui n’est pas le cas, on l’a vu. Les données citées se réfèrent à un Insee Focus publié en février 2019 signé Jérôme Lê. Dans cette publication, l’Insee estime les entrées et les sorties à partir des enquêtes annuelles de recensement (EAR), les‑ quelles ne sont pas parfaites. Les entrées sont mieux estimées que les sorties. Les entrées le sont à partir de l’exploitation des questions sur la résidence antérieure et sur l’année d’entrée figurant sur le bulletin individuel. Les sorties le sont en retranchant le solde migratoire des entrées. Mais, lorsque l’Insee juge que la qualité des informations enregistrées varie d’un recensement à l’autre ou d’une enquête annuelle à la suivante, il introduit alors une variable d’ajustement (positive ou négative selon le cas). C’est ce qu’il a fait de 1990 à 2005 et a recommencé à faire à partir de 2015 (graphique ci-dessous). Ajoutons que, lorsque Hervé Le Bras écrit, les estimations de l’Insee pour 2017, comme pour 2016 et 2015, sont provisoires. Les chiffres définitifs de l’Insee sont loin de ceux estimés précédemment : un solde migratoire positif de +198 000 pour les immigrés, mais surtout un solde négatif de – 44 000 pour les natifs, soit un solde migratoire global de + 154 000 et non plus de + 58 000 !

Par ailleurs, on ne voit pas en quoi un solde migratoire global permettrait de dire quoi que ce soit de l’immigration étrangère, notamment lorsque des entrées d’immigrés sont grandement compensées par des sorties de natifs. Enfin, ajoutons qu’Hervé Le Bras, tout en se plaignant du succès de la notion de grand remplacement, se refuse, comme l’Insee, à désigner les natifs autrement que ce par ce qu’ils ne sont pas : « non immigrés ».

Le recours au solde migratoire est donc loin d’être un progrès, sauf si l’on considère qu’il s’accorde mieux avec la thèse que l’on cherche à démontrer. Mais cela ne gêne pas Hervé Le Bras qui, notamment dans un chapitre intitulé Migration et croissance économique, corrèle l’évolution du taux de croissance du PNB à celle du solde migratoire de la France.

Extrait du livre de Michèle Tribalat,  « Immigration, idéologie et souci de la vérité », publié aux éditions de L’Artilleur

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