Il n’y a pas que la France qui se fasse expulser d’Afrique de l’Ouest. Les États-Unis aussi…<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des manifestants se rassemblent alors qu'un homme brandit une pancarte exigeant que les soldats de l'armée américaine quittent le Niger à Niamey, le 13 avril 2024.
Des manifestants se rassemblent alors qu'un homme brandit une pancarte exigeant que les soldats de l'armée américaine quittent le Niger à Niamey, le 13 avril 2024.
©AFP

Puissances hostiles

Après le retrait des soldats français du Sahel, le Niger et les Etats-Unis ont trouvé un accord pour le départ des soldats américains, fixé au plus tard au 15 septembre.

Loup Viallet

Loup Viallet est spécialiste en économie internationale et en géopolitique africaine. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (2020) et Après la paix (2021).

Voir la bio »

Atlantico : Depuis les attentats du 11 septembre, les États-Unis ont envoyé des troupes et des centaines de millions de dollars dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest pour aider les forces françaises à stopper la propagation d’Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes. Quelle était la stratégie américaine en Afrique de l’Ouest ?

Loup Viallet : Les États-Unis ont deux grandes cibles dans le monde : suivre les actions de deux gouvernements qui leur semblent défavorables à leurs intérêts nationaux, à savoir la Russie et la Chine. Leur présence en Afrique est intimement liée à l'expansion de la présence russe. Avec l'Africom, leur commandement militaire intégré pour l'Afrique dont le siège est en Allemagne, ils ont déployé sur le continent une stratégie appelée le « light footprint ». 

S’ils auraient autant de troupes - voire plus - que les Français sur le continent, ils cherchent à ne pas se faire remarquer et à éviter de subir les propagandes anti-occidentales. Jusqu'à présent les troupes américaines n'ont pas fait l'objet de sévères critiques ou de manifestations en Afrique de l'Ouest. 

Leur présence au Niger est liée à leur volonté de jouer un rôle central du point de vue sécuritaire dans la sous-région sahélienne. Ils avaient construit une base très onéreuse et politiquement précieuse à Agadez. Cette base leur permettait de surveiller de nombreux sites d’intérêt grâce à des satellites. À ce titre, la base d'Agadez était un point central de surveillance de la sous-région. C'est pourquoi ils ont tenté de rester depuis le putsch qui a vu Mohamed Bazoum être emprisonné et remplacé par Abdourahamane Tiani.

L’éviction américaine du Niger marque un double échec : 

- L’échec de la stratégie du « light footprint » au Niger et au Sahel. 

- L’échec de leur tentative de remplacer la France dans la région et de s'imposer comme gendarme du Sahel 

Les États-Unis ont échoué en imaginant pouvoir être présents auprès d'un pays de l'Alliance des États du Sahel (AES), le Niger, alors que l'AES, notamment le Mali, est assistée par la Russie à travers des livraisons d'armes, des formateurs militaires et la présence de Wagner devenu Africa Corps. 

Quelles sont les principales raisons de l’échec des initiatives américaines en Afrique de l'Ouest ?

Cet échec est lié à l'ambivalence de la posture états-unienne. Les États-Unis ont qualifié l'arrivée au pouvoir de Tchiani comme le résultat d'un coup d'État tout en tentant de préserver leurs relations avec la nouvelle junte. Cet échec est une étape dans le un conflit mondial larvé entre l'Occident et les puissances qui lui sont hostiles comme la Russie ou la Turquie, qui a envoyé un millier de mercenaires syriens appartenant à la société turque "Sadat" sur place.  

La Russie et la Turquie apparaissent comme des assurances-vie pour ces juntes, ce que les États-Unis ne représentaient pas. L'intérêt des Russes et des Turcs est de sécuriser des sources d’approvisionnement en minerais et matières premières stratégiques, d'étendre leur aire d'influence, de conquérir de nouveaux marchés. La présence des Russes au Mali est intimement liée au contrôle de mines d'or, et leur présence au Niger est maintenant de plus en plus liée à l'exploitation de mines d'uranium auparavant exploitées par le groupe français Orano. 

Quelles sont les conséquences de cette situation pour la sous-région ?

Les conséquences sont multiples et significatives. Tout d'abord, il y a une pression migratoire accrue pour tous les pays de la sous-région. La présence de la Russie comme assurance-vie pour les juntes et leurs alliances donne une sorte de légitimité à ces derniers et garantit leur pérennité. La Russie et Wagner (Africacorp), notamment au Mali, deviennent le bras armé de ces régimes. 

En conséquence, Wagner et les forces armées maliennes (FAMA) cherchent à évincer, détruire, voire massacrer les Touaregs et les Peuls, historiquement en conflit avec les ethnies au pouvoir. Cela provoque des déplacements massifs de populations en Afrique de l'Ouest et dans les pays d'Afrique du Nord, déstabilisant leur environnement proche et créant des tensions diplomatiques. 

Les pays voisins comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, et le Bénin fortifient leurs frontières et se préparent à gérer ces flux migratoires, y compris par des aides humanitaires. Cette situation déstabilise leur développement économique et sécuritaire, et impacte également l'Europe, car les populations fuyant le Sahel cherchent à atteindre l'Europe via les côtes sénégalaises ou mauritaniennes et les îles Canaries. 

Cette pression migratoire accrue et les problèmes sécuritaires aux portes de pays cherchant la stabilité hypothèquent leur développement économique. La Russie utilise cette stratégie du chaos et de la prédation des ressources pour contrôler le voisinage européen. 

Quel avenir pour la région ? Les États-Unis et la France pourraient-ils s’y implanter à nouveau dans les années à venir ?

La France est toujours présente et dispose de bases au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Elle a renforcé son partenariat de défense avec le Bénin. Cependant, il ne s'agit pas de disposer d'instruments de puissance, il faut aussi savoir les utiliser. Depuis les années 2020, la succession des putschs a été dénoncée par Emmanuel Macron, mais la France a souvent adopté une posture attentiste, ce qui a nui à sa crédibilité. 

Les pays voisins des États sahéliens ont besoin d'alliés solides. Beaucoup se posent des questions sur la fiabilité de l'allié français. À la suite des putschs, la France a aidé davantage la Côte d'Ivoire, le Sénégal, et le Bénin à fortifier leurs frontières et à sécuriser leurs populations. Cependant, l'absence de réaction forte suite aux putschs advenus au Mali, au Burkina et au Niger dans le début de la décennie 2020 a entamé la crédibilité française. 

Si la France n'intervient pas pour stopper la progression des putschs, et derrière eux, la Russie, c'est toute la sous-région ouest-africaine qui est menacée par le chaos et les désordres sécuritaires et migratoires. Cette situation menace également les pays d'Afrique du Nord et l'Europe. 

Pour y remédier, la France doit agir dès qu'un putsch se prépare. Elle aurait dû défendre Mohamed Bazoum au Niger dans les 24 heures suivant le coup d'État. Il faut également être lucide sur le sentiment anti-français, souvent instrumentalisé par la propagande russe. La France doit se comporter en allié fiable et sûr, sans craindre les critiques. 

Actuellement, la Russie cherche à contrôler les frontières extérieures de l'Europe par des moyens conventionnels à l'Est et hybrides au Sud. Nous ne devons pas avoir peur de frapper lorsque c'est nécessaire. Les rapports de force sont de plus en plus importants, et au-delà du discours de puissance, il manque une politique de puissance. En effet, la France dispose de nombreux moyens de pression. Par exemple, les pays de l'Alliance des États du Sahel, critiques à l’égard de la France, dépendent encore du franc CFA et du marché européen. De plus, les pays d'Afrique de l'Ouest correspondent à environ 0,5% de notre commerce extérieur : ils ont besoin de nous économiquement, alors que nous n’avons pas besoin d’eux. Les complexes coloniaux, qui sont des artifices politiques, nous empêchent d'agir pour défendre nos intérêts, qui ne sont pas seulement nos intérêts nationaux, mais aussi les intérêts du continent européen. Surtout, ce n'est pas en sortant du jeu africain qu'on empêchera des puissances hostiles de contrôler notre grand voisinage, qu'on réussira à juguler et à maîtriser l'immigration, ni à construire les conditions de la prospérité dans notre environnement proche.

Loup Viallet a publié "La fin du franc CFA" et "Après la paix Défis français" chez VA Editions. 

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !