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Hollande et Valls, adeptes de plus en plus visibles d'une délicate communication émotionnelle en cas de catastrophe
©Reuters

Les sentiments d'abord

Après l'attentat au siège de Charlie Hebdo comme après le crash de l'avion de la Germanwings, la réaction de l'exécutif français ne s'est pas faite attendre. Un réflexe émotionnel typique d'une communication centrée sur le fait divers.

Bernard Lamizet

Bernard Lamizet

Bernard Lamizet enseigne les sciences de la communication à Sciences-po Lyon.

Il a publié plusieurs ouvrages de sémiotique et de sciences de l'information et de la communication dont Le Langage Politique Analyse du Discours Politique (Ellipses - 2011).

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Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Atlantico : Il aura fallu moins de 30 minutes à François Hollande et Manuel Valls pour réagir après l'annonce du crash de l'avion de Germanwings. Lors de l'attentat chez Charlie Hebdo, l'exécutif s'était également rendu sur les lieux extrêmement rapidement. Quelle stratégie de communication se dessine à travers cette volonté d'être présent sur tous les sujets émotionnels ?

Dominique Wolton : C'est en tous cas un réflexe par rapport à une société de l'émotionnel balayée par la vitesse des événements. Ils s'adaptent à cela en sortant de leur boîte dès qu'un évènement à caractère émotionnel surgit dans notre société. C'est sûrement une stratégie, mais elle est inventée au fur et à mesure. Il faut alors se demander jusqu'où cette participation aux émotions de la vie quotidienne de la société contribue à renforcer la légitimité politique du pouvoir  et à partir de quel moment c'est complètement disjoint.

Je pense qu'ils le font d'abord par empathie, par réaction naturelle. Ils manifestent leur caractère humain et quelque part renforcent une solidarité nationale en déclarant que c'est toute la nation française qui est atteinte, notamment dans le cas de la tuerie de Charlie Hebdo. Ils retrouvent ainsi la vie ordinaire et se font passer pour des gens ordinaires.

Je ne suis cependant pas persuadé que cela suffise à effacer le fait qu'il y a une intentionnalité politique de leur part et que les publics mettent entre parenthèses leur jugement politique le temps de cette action humanitaire. Il peut y avoir à la fois une sympathie à l'égard du pouvoir politique qui est proche du peuple et d'autre part une critique radicale. Il n'est pas certain que cette sensibilité, à supposer qu'elle soit authentique, remplace l'adhésion politique. Cela peut donner à ces hommes politiques une humanité que l'on supposait qu'ils étaient exempts mais à force d'étendre la sphère du politique du plus intime au plus tragique, cela peut se retourner contre eux, avec une population qui va penser qu'ils feraient mieux de s'occuper des affaires importantes de l'Etat plutôt que de passer leur temps à s'émouvoir.

Bernard Lamizet : Il y a, me semble-t-il, trois significations à cette stratégie de communication. La première est celle de l’urgence, classique dans les situations de pouvoir au cours desquelles les acteurs du pouvoir cherchent à montrer à la fois leur puissance et leur efficacité. La deuxième signification est l’expression d’une forme de solidarité, devenue classique dans le discours politique, en particulier dans le discours socialiste. La troisième me semble être liée à la situation électorale, en particulier dans la situation difficile du PS cette année.

Quels sont les effets recherchés ? Est-ce efficace ? Comment l'opinion le prend-elle ?

Dominique Wolton : C'est une logique de l'événement. Mais à tomber dans ce tourbillon de la vitesse et de l'émotion spontanée, il n'y a plus de proportions ni de distance. A un moment donné, ils peuvent donner l'impression qu'ils en font trop. Et si simultanément les résultats politiques sont mauvais, ce n'est pas cela qui compense. Ce n'est pas cela qui rattrapera la déroute des départementales, pour prendre un exemple récent.

Cela dépend aussi de l'identité de la personnalité politique. Ils font tous dans le registre compassionnel, mais on y croit plus ou moins. Pour Nicolas Sarkozy, cela n'a pas fonctionné longtemps. Pour Jacques Chirac, cela fonctionnait à tous les coups et pendant longtemps.

Bernard Lamizet : Je pense que l’effet majeur est l’expression du pouvoir et l’affirmation de Hollande en situation de pouvoir, en particulier en raison du fait que son aptitude à l’exercice du pouvoir est de plus en plus critiquée dans l’espace public. Cela dit, je pense que cette stratégie n’est pas réellement efficace, car  l’opinion risque de limiter la figure du pouvoir chez Hollande à la situation du pompier – et d’un pompier inefficace en plus, puisqu’il n’y a pas de survivant.

L'enjeu de ce crash n'est en rien comparable aux attentats de janvier dernier - bien sûr, c'est un choc, mais on reste dans le registre du fait divers aussi dramatique soit-il. Un tel mélange de genres, n'est-ce pas risqué pour un président ?

Dominique Wolton : A force de se privatiser, de vouloir être près du peuple, cela peut créer un phénomène d'usure de l'opinion à l'égard d'une posture qui, même si elle ne l'est pas, peut être vue comme une stratégie.

Bernard Lamizet : C’est risqué, en effet, à la fois pour la raison que j’ai dite plus haut et parce qu’il s’agit d’un mélange entre un attentat porteur d’une signification politique et d’une forme de censure des médias et du débat public et un accident qui relève davantage d’un « fait divers » sans dimension politique. En plus, la signification politique de cet accident est aussi la critique de l’économie des transports aériens et du « low cost », qui n’est pas recherchée par le discours de F. Hollande, en tout cas qui n’est pas dite explicitement.

Il y a aussi ces images de la cellule de crise interministérielle installée du côté de la place Beauvau, diffusées sur toutes les chaînes de télévision. Quel est l'intérêt d'une telle mise en scène ?

Bernard Lamizet : Pour moi, aucun, car cela réduit un accident et une mort à une mise en scène de spectacle. La mort, dont Lacan dit qu’elle est le réel de l’inconscient, sa limite incontournable, fait, par ces images et la mise en scène de l’urgence, l’objet d’une forme de déni.

D'autres dirigeants avant lui ont-ils eu recours à ce type de communication « émotionnelle » (Blair et le 11-Sept - ce n'est qu'une hypothèse mais donner des exemples s'il y en a) ? Y a-t-il une « école » de communication qui l'aurait théorisé ? Ou cette stratégie est-elle propre à François Hollande ?

Dominique Wolton : Ils l'ont tous fait : Obama, Mitterand, etc. Ce qui est nouveau par rapport à il y a 20 ans, c'est que l'hypermédiatisation renforce cette espèce d'humanisation rapide. Mais il faut prendre de la distance par rapport à l'usage de ces technologies car ils le font de plus en plus et c'est un jeu dangereux.

Bernard Lamizet : Je ne pense pas qu’une « école de communication » ait théorisé ce recours à la communication de type émotionnelle, mais il ne s’agit pas pour autant d’une stratégie propre à F. Hollande. Tous les acteurs politiques y ont recours. Je me permets de renvoyer au numéro 75 de la revue « Mots » sur l’émotion dans les médias que j’avais dirigé avec J.-F. Tétu en juillet 2004.

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