Hélène Carrère d’Encausse, « fille de la lumière »<!-- --> | Atlantico.fr
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Hélène Carrère d'Encausse est décédée.
Hélène Carrère d'Encausse est décédée.
©JOEL SAGET / AFP

ATLANTICO LITTERATI

Madame le secrétaire perpétuel de l'Académie française s'en est allée.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

Voir la bio »

La disparition de cette figure majeure de la culture française que fut et demeure Hélène Carrère d’Encausse nous bouleverse. A cela plusieurs raisons, qui tiennent à son intelligence, sa force de caractère, son érudition. Et à notre situation dans la France malade d’aujourd’hui. Parmi les ruines ruineuses des émeutes, nous la pleurons. Hélène Carrère d’Encausse incarnait le triomphe du mérite à la française et la française d’exception. Nous contemplons le vide que nous laisse sa disparition, dans une sorte de désolation. Il y avait ces grands-pères que l’on massacrait au couteau, ces vieilles que l’on renversait à même le trottoir, ces fillettes que l’on coupait en morceaux dans une malle, ces bébés poignardés en des paysages d‘exception, car l’on ne pouvait tout de même pas tuer le paysage français. Tout le monde brûlait, mourait, hurlait mais dans la barbarie française subsistait l’espoir de retrouver-demain qui sait ? - la paix de jadis et naguère, par le travail silencieux, revigorant de notre culture : nos livres, ces musées, ces sculptures, cette gastronomie,les chaines d’information, ces promenades et siècles de tradition, que la patronne des Immortels incarnait ;  la « fille de la lumière » portait bien son nom : l’ange gardien veillait au grain, mine de rien. On pensait soudain à « Douce France, cher pays de mon enfance » - Charles Trenet ! - et l’on se disait que l’art et l’art de vivre pouvaient tout. Tant qu’Hélène Carrère d’Encausse rayonnait Quai de Conti, notre civilisation tenait bon. Montaigne, Molière, Racine, Verlaine, Rimbaud, Chateaubriand, Hugo, Camus et Modiano cohabitaient dans l’inconscient collectif des Français, personne ne pouvait effacer l’art, les rires, les bains de mer, le plaisir de lire et celui de vivre en paix tel qu’il existait jadis ici qu’il pleuve ou vente, de Cannes à  Bayonne, de Bordeaux à  Lyon, de Brest à Lille ou Paris. Partout, tout allait certainement aller mieux demain : nous étions Français et la France n’était jamais morte tout à fait. Elue quai de Conti le 13 décembre 1990 au fauteuil 14 - celui de Jean Mistler- la troisième femme admise à l’Académie française - après Marguerite Yourcenar et Jacqueline de Romilly - prit la direction de l’institution via une élection qui la consacra « secrétaire perpétuel » (elle exigea de conserver le masculin de sa fonction) malgré la mode furieuse et bête lorsqu’on y pensait de la féminisation systématique du langage. Le rouleau compresseur du néo-féminisme nous lâche un brin.  Ce néo-féminisme devient donc ce qu’il est, c’est-à-dire une mode fanée, un truc toquard –. Il ne peut plus continuer de répéter ses bêtises sans que nous les entendions, de plus en plus gênés car la bêtise est contagieuse.

Hélène Carrère d’Encausse - qui avait la tête aussi bien faite que bien pleine - était devenue ce qu’elle était par son nom de jeune fille ( Hélène Zourabichvili), soit « La Fille de La Lumière », ce que signifiait - en Georgien - le patronyme de son père. Hélène Carrère d’Encausse avait annoncé la couleur dès son discours de réception : il s’agisait pour l’érudite de conserver - donc de défendre et préserver - ce que nous avons de meilleur : les arts et lettres, cette culture française qui font hors émeutes notre miel et l’admiration de toutes les nations.  « En m’accueillant, Messieurs, dans votre Compagnie, que votre illustre fondateur voulut lieu de mémoire et de défense de la culture française, en me plaçant – quel signe du destin ! – dans la lignée de Corneille, de Victor Hugo, du maréchal Lyautey, du comte Robert d’Harcourt, pour ne citer qu’eux, vous avez répondu au rêve de l’enfant que je fus. Pour cette grâce, dont vous avez, je crois, compris la portée, permettez que du fond du cœur je vous remercie. »  La mémoire et la défense de la culture française : Hélène Carrère d’Encausse fit de cette tradition (voir nos « repères ») un impératif catégorique et sa règle de vie. Son engagement passait par la défense et la préservation de notre langue. La sémantique, la grammaire, l’étymologie - matrices de nos imaginaires - furent l’affaire de sa vie. Auteure d’une trentaine d’ouvrages de géo-politique, (biographiques, historiques, philosophiques) consacrés à la Russie d’hier et de toujours, de Pierre Le Grand à Lénine, elle savait l’importance des mots. Admirant notre langue qui devint la sienne dès la petite enfance, cette historienne anima, Quai de Conti, la Commission chaque jeudi. Elle travaillait d’arrache-pied à la numérisation du fameux « Dictionnaire de l’académie », pour faire rayonner davantage encore notre langue, la protéger des barbarismes, des anglicismes, de l’écriture inclusive et des slogans de l’idéologie. « Ce n’est pas en féminisant partout et tout le temps la langue française, qui utilise le masculin pour nommer le neutre, faute de neutre, que l’on aidera les femmes à devenir ce qu’elles sont. Leur invisibilité cessera par le mérite, c’est- à-dire leur réussite professionnelle », disait l’Impératrice du Quai de Conti, refusant de céder aux oukases du néo-féminisme. Sous la houlette d’Hélène Carrère d’Encausse l’académie propose l’accès à diverses ressources internes et à des ressources externes, comme la base de données France Terme, qui recense les mots scientifiques et techniques officiellement recommandés dans le cadre du dispositif d’enrichissement de la langue française, ou la Base de données lexicographiques panfrancophones (B.D.L.P.), regroupant les variétés lexicales de vingt pays de la Francophonie ».

 Voyant surgir le wokisme, Hélène Carrère d’Encausse lui déclara la guerre, elle, la pacifique (« Heureux les pacifiques, ils seront consolés ! »). Ecrivain, Hélène Carrère d’Encausse - Grand Croix de la Légion d’Honneur - était bien placée pour savoir l’importance du combat contre la sous-culture. Elle ne voulait effacer personne et surtout pas Sylvianne Agacinsky, Immortelle elle aussi, autre femme d’exception, intelligente, érudite, lumineuse : française.

Auteure d’une trentaine d’ouvrages - tous centrés sur la Russie - le pays d’origine lui était interdit -, « La fille de Lumière » se porta toujours bien de suivre le précepte de Montaigne, qui recommande de « frotter sa cervelle à celle d’autrui ». 

Nous sentons que quelque chose d’immense, sans elle, pourrait avoir du plomb dans l’aile : nous savons ce que la France subit. Pendant que certains feignent de croire qu’il n’y a pas de culture française, et que le multiculturalisme est la solution, Jack Lang, Frédéric Mitterrand et Nicolas Sarkozy, évoquant la disparue, furent particulièrement justes, vrais, émouvants. Ils savaient, comme nous le sentions, l’importance que revêtait cette disparition  après les émeutes criant la haine de la France. Depuis sa mort, nous assistons à un déluge de réactions. Les Français ne s‘y trompent pas. Hélène Carrère d’Encausse était une sentinelle. Elle veillait. Sans elle, tout se complique car « le mal court ». Notre erreur ?  « Nous regroupons toutes les « difficultés » au même endroit » donc les « difficultés » s’entassent, puis s’exposent avant d’exploser. Nous avons besoin plus que jamais, après ces ruineuses émeutes et avant la rentrée politique, de caractères bien trempés. 

La Republique s’est construite autour du principe feminin, surtout quand il s’incarne aussi bien. Hélène Carrère d’Encausse incarnait le meilleur de ce principe à l’œuvre dans l’inconscient collectif Français. La République, Jeanne d’Arc, les Salon littéraires, fondés et animés par autant de femmes d’exception. Hélène Carrère d’Encausse avec ses trente livres, ses prix littéraires ( elle venait de recevoir le prix Espagnol des Asturies) était un écrivain. Comme son fils, le romancier Emmanuel Carrère, qui construit une œuvre,lui aussi. L’ex-secrétaire perpétuelle anima, sourire aux lèvres, avec une douceur d’airain le plus grand Salon Littéraire de la terre : l’Académie  française. Bravo et merci, chère Fille des Lumières. 

Annick GEILLE

Repères  : 

«  Hélène Carrère d’Encausse est née Zourabichvili en 1929 à Paris. Originaire d’une famille de Russes blancs, elle compte parmi ses ancêtres de grands serviteurs de l’Empire russe et des contestataires du même Empire. Cette hérédité l’incite à étudier l’histoire et les sciences politiques qu’elle enseigne ensuite à la Sorbonne et à l’IEP, rue Saint-Guillaume. Parallèlement, elle devient membre de la Commission des sages pour la réforme du Code de la nationalité en 1986-1987. Elle est élue à l’Académie française, le 13 décembre 1990. Durant l’année 1992, elle occupe le poste de conseiller auprès de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, participant ainsi à l’élaboration d’une politique d’assistance à la démocratisation des anciens États communistes. Elue au Parlement européen en juin 1994, elle est vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense. Elle est nommée en 1998 membre du conseil national pour un nouveau développement des sciences humaines et sociales. Hélène Carrère d’Encausse doit sa réputation à ses ouvrages “visionnaires” sur l’URSS. Dans ‘L’Empire éclaté’, en 1978, elle fait la démonstration du déclin de l’Union soviétique. Elle est également l’auteur de plusieurs bibliographies dont celle de Nicolas II et de Lénine ».

(source Wikipedia)

Œuvre : 

« 1966.  Hélène Carrère d’Encausse publie Réforme et Révolution chez les musulmans de l'Empire russe (Presses, FNSP).

1978. Publie L'Empire éclaté (Flammarion).

1991. Entre à l'Académie française.

1999. Secrétaire perpétuel de l'Académie française.

2011. Grand Croix de la Légion d'honneur.

2015. Publie Six années qui ont changé le monde (Fayard). »

(source « Booknode » et « le Figaro ») 

Pour l'Académie francaise : 

« Hélène Carrère d’Encausse a reçu le prix Aujourd’hui pour L’Empire éclaté en 1978, le prix Louise Weiss en 1987, le prix Comenius en 1992 pour l’ensemble de son œuvre, et le prix des Ambassadeurs en 1997 pour Nicolas II. Elle est membre associé de l’Académie royale de Belgique, membre étranger de l’Académie des sciences de Russie, membre d’honneur de l’Académie des beaux-arts de Russie, de l’Académie de Géorgie et de l’Académie de Roumanie. En 2023, le prix Princesse des Asturies (Sciences sociales) lui est décerné pour l’ensemble de son œuvre. »

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