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Guerres, alcool et bébés filles avortés : les 50 ans qui ont amené la planète à recenser 60 millions d’hommes de plus qu’il n’y a de femmes
©Filckr

Démographie désordonnée

Les hommes sont désormais 60 millions de plus que les femmes à la surface de la terre. Derrières ces données, publiées par la Banque mondiale, se cachent des phénomènes très différents selon les régions du monde. Alcoolisme, avortements sélectifs, maltraitance infantile, immigration... Cette disparité démographique est souvent synonyme de violences à l'encontre des femmes. Explications.

Laurent Toulemon

Laurent Toulemon

Laurent Toulemon est chercheur à l'Institut national d'études démographiques (INED) et responsable de l'unité de recherche "Fécondité, famille, sexualité" du même institut. Ses domaines de recherche portent notamment sur l'étude des structures familiales en France.

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Jacques Véron

Jacques Véron

Jacques Véron est démographe et directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined). Ses domaines de recherche portent essentiellement sur la population, l'environnement et le développement; l'histoire et l'épistémologie de la science de la population.

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1- En 2013, il y a 60 millions d'hommes de plus que de femmes sur terre...

En 1961, il y avait presque autant d'hommes que de femmes sur terre, à 0,009% près. En l'espace de 50 ans, l'écart s'est creusé, selon les données de la Banque mondiale, publiées par le site d'information Quartz. Aujourd'hui, les hommes sont 60 millions de plus que les femmes à la surface de la planète. Plus exactement, en 2013, il y avait 49,59% de femmes et 50, 41% d'hommes.

Laurent Toulemon : "A l'échelle globale, cette situation n'introduit pas vraiment de déséquilibres. Il y a par contre des déséquilibres locaux. En Chine, par exemple, des générations d'hommes ont du mal à se trouver une épouse. Ces disparités sont surtout des révélateurs de phénomènes comme les migrations, ou de situations de violences. Elles dévoilent les mauvais traitements faits aux femmes, y compris avant la naissance. Sur le long terme, les Nations Unies projettent toutefois un retour à l'équilibre entre les hommes et les femmes."

2- ...Pourtant, naturellement, il devrait y avoir autant d'hommes que de femmes

Sans intervention de la part de l'homme, la population de la terre devrait être de 50% d'hommes et de 50% de femmes environ, selon le principe de Fisher.

Laurent Toulemon : " Il naît naturellement un peu plus de garçons que de filles. On parle du sexe-ratio à la naissance, qui est de 105 garçons pour 100 filles en France. C'est une constante biologique assez forte. Dans les populations traditionnelles -là où il n'y a pas de système de santé équilibré-, les garçons meurent plus que les filles, notamment de morts violentes : accidents, guerre, alcoolisme. A l'échelle du monde, le sex-ratio s'équilibre à l'âge de 20-30 ans."

3- L'avortement sélectif, en Inde et en Chine

En 2013 en Chine, il y avait 50 millions d'hommes de plus que de femmes, et 43 millions en Inde. Dans ces pays, traditionnellement, la préférence va au fils, qui s'occupe de ses parents dans leurs vieux jours. La pratique de l'avortement sélectif et la maltraitance infantile expliquent la surreprésentation des hommes.

Laurent Toulemon : "En Chine, où les sexe-ratio dépassent 110 ou 120, on soupçonne que des filles manquent, pour trois raisons différentes. Premièrement, cela s'explique par la pratique des avortements sélectifs, rendus possibles par les échographies pendant la grossesse. On soupçonne également des infanticides ou des maltraitances à l'encontre des petites filles. Elles sont parfois moins bien traitées que les petits garçons, on leur donne moins à manger, ce qui a entraîne une mortalité infantile plus elevée chez les filles, alors qu'en temps normal, c'est l'inverse, les garçons sont un peu plus fragiles que les filles. Enfin, dans certains pays, les filles ne sont pas inscrites sur les registres d'Etat-civil à la naissance, donc elles sortent des statistiques."

4- L'immigration dans les pays arabes du Golfe

Les Etats où les déséquilibres sont les plus criants sont les pays arabes du Golfe, à commencer par le Qatar. En 2013, moins d'un quart des personnes qui vivaient dans l'émirat étaient des femmes. Cette surreprésentation masculine s'explique par la présence massive de travailleurs immigrés, notamment d'Asie du Sud, dans le secteur du bâtiment et l'industrie pétrolière.

Laurent Toulemon : "Des effet d'émigration importants peuvent déséquilibrer profondément la proportion d'hommes et de femmes dans certains pays, ce qui a des conséquences locales. Dans le Golfe persique, il y a un afflux d'hommes qui migrent pour trouver du travail. Ces hommes auront du mal à trouver une épouse, car la recherche d'un partenaire d'un sexe différent se fait dans son environnement proche."

5- L'alcoolisme en Russie

La faible espérance de vie des hommes dans l'ex-Union soviétique est largement attribuée à des décès liés à l'alcool. En Russie, il  a deux fois plus de femmes que d'hommes âgés de plus de 65 ans, et les femmes vivent en moyenne 12 ans de plus que les hommes.

Jacques Véron : "Dans les pays en développement (Russie, Brésil, Inde, Chine, etc), la surmortalité des hommes peut s'expliquer par les conditions de travail, très dures, ce qui entraîne une mortalité accidentelle importante. Le tabagisme, l'alcoolisme et les effets comportementaux peuvent également se cumuler, et expliquent une espérance de vie plus courtes des hommes par rapport aux femmes."

6-Guerres et génocide au Rwanda, au Cambodge et en Irak

Une des conséquences de la guerre peut être la féminisation de la population, car les décès liés aux conflits touchent en premier les hommes. La guerre Iran-Irak (1980-1988) et le génocide au Rwanda, en 1994, ont ainsi entraîné une surreprésentation des femmes dans la population. Au Cambodge, en 1975, un quart de la population a disparu dans les massacres perpétués par les Khmers rouges.

Jacques Véron : "En Europe, la Première guerre mondiale a été très documentée sur ce sujet. La guerre de 14-18 a provoqué une forte mortalité des hommes, qui a eu pour conséquences des déséquilibres sur le marché matrimonial et l'évolution des âges au mariage."

7-L'équilibre démographique dans les pays développés

Dans 13 des 15 pays les plus développés, le pourcentage de femmes dans la population avoisine les 50%. Ces 50 dernières années, l'écart entre l'espérance de vie des hommes et des femmes s'est réduit, car leurs styles de vie se sont harmonisés.

Jacques Véron : " L'espérance de vie est variable selon les pays. En Europe, c'est en France et en Espagne que la différence d'espérance de vie entre les hommes et les femmes est la plus importante. L'espérance de vie globale comprend plusieurs facteurs : l'espérance de vie à la naissance, la mortalité accidentelle dans les années d'activité, les différentiels entre hommes et femmes aux âges élevés. Il y a aussi un effet de sélection. Une homme qui atteint un âge élevé a résisté à une mortalité plus forte, il est "sélectionné". Ce phénomène peut réduire l'écart entre l'espérance de vie des hommes et des femmes."

8-Contre toute attente, un sexe-ratio équilibré dans les pays d'Afrique

En 2013, l'Afrique affichait le sex-ratio le plus équilibré de tous les continents. En moyenne, le sexe-ratio est de 103 garçons pour 100 filles à la naissance, inférieur à la moyenne mondiale. Les raisons en sont méconnues. Le climat équatorial et la malnutrition des mamans pendant la grossesse pourraient expliquer une mortalité plus importante des fœtus de sexe masculin.

Jacques Véron : "En Afrique, le chiffe de 103 garçons pour 100 filles à la naissance est admis depuis longtemps par les scientifiques. Je ne crois pas qu'il y ait un accord sur les raisons qui l'expliquent, qui sont difficiles à identifier. Il peut y avoir des effets biologiques et sociaux. Quand, dans un pays, la mortalité des filles est plus élevée, cela signifie qu'il y a un problème, qu'on ne s'occupe pas des filles de la même manière que des garçons. En revanche, quand il y a une surmortalité des garçons, normalement la cause est biologique."

9- Les Etats-Unis et leurs voisins d'Amérique

Entre 1990 et 2010, plus de 7,5 millions de Mexicains ont émigrés aux Etats-Unis, en majorité des hommes. Cette émigration massive a profondément modifié le sex-ratio du Mexique. Ces dernières années, la part des  femmes a tendance à augmenter parmi les migrants, ce qui diminue le phénomène de surreprésentation des femmes au Mexique.

Jacques Véron : "Une partie importante de la migration des Mexicains vers les Etats-Unis s'est faite dans les années 70 et 80, et concernait surtout les hommes. La composition de la communauté mexicaine aux Etats-Unis a évolué, avec l'arrivée d'une nouvelle génération d'immigrés dans les années 1990, plus féminine. Aux Etats-Unis, les migrants d'origine mexicaine constituent une vraie population. Quand il y a une communauté d'émigrés importante dans un pays, les nouveaux immigrés s'intègrent plus facilement au sein de leur communauté."

10- Les femmes célibataires de Hong-Kong

Hong-Kong, le Sri Lanka et le Népal sont les pays qui ont connu la féminisation de la population la plus importante au monde au cours des 50 dernières années. A Hong-Kong, le pourcentage de femmes est passé de 48% en 1980 à 53% en 2013.

Jacques Véron : "A Hong-Kong, il y a eu un double phénomène d'immigration des hommes vers la Chine, et d'émigration de travailleuses Philippines, ce qui explique la surreprésentation des femmes dans la population. L'arrivée de migrantes originaires des Philippines n'a pas modifié la structure de la société de Hong-Kong, car ces travailleuses domestiques ne sont pas intégrées, elles forment une sous-population qui coexiste, mais n'interagit pas avec le reste de la population."

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