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Libye : vers le renouveau d'une Europe de la défense ?
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Intervention en Libye

Alors que le parlement français vote ce mardi au sujet de la prolongation de l'intervention militaire en Libye, bilan et perspectives de la coopération menée par l'Europe dans la région.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

Voir la bio »

Préambule : Guillaume Lagane a publié ce lundi dans Atlantico une autre tribune sur le même thème, qu'il est bon de consulter avant de lire cet article.

Il est assez piquant, de lire à la page 18 du programme du parti socialiste publiée quelques semaines après le début des opérations militaires, que « la France et l’Allemagne devront donner l’impulsion pour un nouvel élan à l’Europe de la défense ».

Depuis 1990, toutes les tentatives de rapprochement avec les Allemands sur le plan militaire ont échoué pour des raisons structurelles. L'exemple le plus probant est la brigade franco-allemande, qui existe depuis 1989 et qui n'a jamais été déployée sur un théâtre d'opération. La Cour des comptes a de nouveau demandé, en 2011, sa suppression, comme celle des autres corps "européens" permanents, qui ont fait la preuve de leur inutilité opérationnelle.

Les Allemands se distinguent pas la faiblesse de leur budget militaire (29 milliards d’euros, 1,3 % du PIB) contre 32 Mds € pour la France et 37 Mds € pour le Royaume Uni (2 % du PIB), alors qu'ils possèdent la première puissance économique européenne. L'armée allemande est encore une armée de guerre froide, peu projetable à l'extérieur des frontières européennes. La réforme du service militaire, prévue cette année, est menacée par la démission du flamboyant ministre de la défense qui la portait, Theodor zu Guttenberg, accusé d’avoir copié sur d’autres une partie de sa thèse.

L'armée allemande, peu projetable, est peu projetée : elle a participé, pour la première fois de son histoire, à un déploiement extérieur au Kosovo en 1999, sous l’impulsion du ministre des Affaires étrangères, Joschka Fisher. Elle a également 5 000 hommes en Afghanistan mais, basés dans le nord du pays, ils se voient interdit par le Bundestag toute action de guerre. L’opinion allemande se caractérise en effet par son pacifisme et sa répugnance à l’égard des interventions lointaines. La démission en 2010 du président de la République fédérale, Horst Köhler, critiqué pour son soutien à l’intervention en Afghanistan, l'illustre bien.

Mais la guerre de Libye est aussi l’occasion de faire naître une véritable Europe de la défense

Enfin, contrairement aux Britanniques, les Allemands sont opposés au nucléaire militaire. Ils ont demandé, en 2010, le départ de leur sol des forces nucléaires américaines stationnées dans le cadre de l'OTAN. Quant à l'industrie de défense, EADS est aujourd'hui dominé par l'Allemagne, qui y voit un moyen de préserver ses forces industrielles. Tout rapprochement avec les Français est bloqué par la peur, d’ailleurs légitime, que l'État français, présent au capital des groupes hexagonaux, inspire aux industriels allemands du terrestre et de la marine.

C’est dire que le projet d’une défense européenne était bien mal en point avant même le début des « révoltes arabes ». Mais le refus des Allemands, pourtant gouvernés au centre droit, de participer à la protection des populations civiles en Libye aux côtés des Français et des Britanniques, de même couleur politique, début 2011 marque sans doute un coup d’arrêt définitif au projet. Pacifisme forcené ? Indifférence aux destinées d’Etats éloignés de l’Europe germanique (bien que la Tunisie soit une destination majeure de la clientèle touristique allemande) ? Souvenir malheureux de l’Afrikakorps ? Toujours est-il que cette divergence stratégique majeure, en faisant de la doctrine Fisher une parenthèse enchantée de la diplomatie allemande, ruine le projet d’une défense européenne.

Mais la guerre de Libye est aussi l’occasion de faire naître une véritable Europe de la défense. Car les opérations militaires actuelles soulignent une fois de plus la dépendance de l’Europe envers les États-Unis. Les Américains, au début de l’opération Odyssey Dawn, ont déployé des moyens considérables, dont la faiblesse et l’inefficacité de leurs dépenses militaires privent les Européens. Depuis le transfert des opérations à l’OTAN, Washington conserve en Libye des forces réduites, notamment des drones armés et des moyens d’observation, mais indispensables.

La condition de cette relance est une plus grande coopération entre Européens

Mais l’Amérique de l’administration Obama a changé. En grande difficulté budgétaire avec une dette de 14 000 milliards de dollars, soit 95 % du PIB, elle sait qu’elle doit rogner sur ses dépenses militaires, les premières du monde. Surtout, après les multiples interventions de l’ère Bush, l’administration Obama semble lasse de prêcher le changement. Par son histoire personnelle et ses convictions, Barack Obama lui-même doute des vertus du « wilsonisme armé ». En 2010, la nouvelle stratégie de sécurité nationale, qui a remplacé celle de 2002, insistait sur l’importance du multilatéralisme et de la concertation en refusant tout évangile de la liberté. Inspiré des thèses de Charles Kupchan (How Enemies Become Friends, 2010), cette doctrine Obama s’est traduite par le discours timoré du Caire en 2009, où le refus du « choc des civilisations », les égards envers les régimes en place et la « rue arabe », l’ont emporté sur la promotion de la démocratie.

Dans ce contexte nouveau, le risque du découplage Europe États-Unis est élevé. Une Amérique « post-impériale », selon le mot de l’éditorialiste Fareed Zakaria, cesserait d’être le garant de la sécurité de l’Europe et de la transformation de ses marges. Tout à ses économies budgétaires et à son regard sur l’Asie, où a vécu l’actuel président, très occupé à contenir la montée en puissance de la Chine et l’émergence de la « Chimerica » selon le terme de Niall Ferguson, Washington ne serait plus l’élément moteur de la défense européenne. C’est à une répétition générale de ce scénario que l’on a assisté avec l’affaire libyenne, dans laquelle l’administration Obama n’est entrée qu’à contre-cœur et pour une durée limitée.

Il est dès lors indispensable de relancer le projet d’Europe de la défense. Non, comme le voulait l’antienne habituelle, pour éviter d’être entraîné dans un conflit dont les Européens ne voudraient pas par de bellicistes Américains, mais pour pouvoir au contraire mener les guerres qui sont nécessaires, au nom de valeurs et d’intérêts qui, pour être universels, n’en sont pas moins européens. Le cadre naturel de cette relance ne peut être la Politique européenne de défense et de sécurité, sauf à souffrir d’un défaut très français de déni de réalité, mais bien plutôt l’OTAN dont la réforme, pour nécessaire qu’elle soit, ne peut masquer l’utilité. La condition de cette relance, et de toute européanisation de l’Alliance atlantique, est une plus grande coopération entre Européens, au premier chef Français et Britanniques, et un effort budgétaire accru en faveur de la défense.

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