Guerre en Ukraine : vers une deuxième offensive russe plus efficace que la première ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine rencontre des soldats lors d'une visite dans un centre d'entraînement militaire pour les réservistes mobilisés, à l'extérieur de la ville de Riazan, le 20 octobre 2022.
Le président russe Vladimir Poutine rencontre des soldats lors d'une visite dans un centre d'entraînement militaire pour les réservistes mobilisés, à l'extérieur de la ville de Riazan, le 20 octobre 2022.
©Mikhail Klimentyev / SPUTNIK / AFP

Direction Kiev

Vladimir Poutine serait en train de constituer une nouvelle armée de 200.000 hommes, selon le chef des forces armées ukrainiennes. Ces troupes pourraient lancer une nouvelle attaque contre Kiev, potentiellement en janvier.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Michel  Olhagaray

Michel Olhagaray

Le Vice-Amiral Michel Olhagaray est ancien directeur du Centre des hautes études militaires.

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Atlantico : Valery Zaluzhny, chef des forces armées ukrainiennes, pense que Vladimir Poutine est en train de constituer une nouvelle armée de 200.000 hommes quelque part au fin fond de la Russie. Elle sera utilisée pour lancer une nouvelle attaque contre Kiev, probablement en janvier, a déclaré M. Zaluzhny. Ses craintes sont-elles fondées ?

Michel Olhagaray : Toutes les craintes émises par le chef d’État-Major de l’armée ukrainienne doivent être prises en considération, sachant qu’il dispose de renseignements fournis par les puissances occidentales, comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France. 

À ce sujet, Vladimir Poutine est actuellement en visite en Biélorussie. Est-il encore en train de tordre les bras à Loukachenko afin que ce dernier accepte que les troupes russes attaquent Kiev depuis le territoire biélorusse ? C’est le chemin le plus court pour atteindre la capitale ukrainienne. Ensuite, d’où sortiraient ces 200.000 hommes ? Seraient-ils suffisamment organisés ? Il est certain que des troupes fraîchement mobilisées rencontreraient d’énormes difficultés sur le terrain. Les soldats plus aguerris sont très employés dans le Donbass mais également dans le sud de l’Ukraine pour défendre la Crimée. Une telle offensive me semble donc délicate pour Moscou. 

Enfin, les Ukrainiens ont tout intérêt à faire monter la pression pour inciter les Occidentaux à leur fournir des moyens plus importants. Tout cela fait donc aussi partie d’une stratégie de communication. 

Alors qu’on soulignait une forme de déroute de l’armée russe, ce nouveau contingent pourrait-il se retrouver plus organisé que ne l’a été le premier ?

Emmanuel Dupuy : Il faut tout d’abord préciser que les 200.000 soldats en formation évoqués font en fait partie des 300.000 qui ont été mobilisés lors de la mobilisation partielle. Le président Poutine lui-même l'a dit, pour l'instant il y a le recrutement tous les 6 mois de 135.000 conscrits qui n'ont pas vocation à participer à une quelconque offensive. Tant qu'il n'y a pas un état de guerre, ceux-ci ne sont pas mobilisables. Ce sont des troupes qui peuvent être en réserve, mais qui n'ont aucune vocation pour l'instant à rentrer dans cette opération. 

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Mais je crois surtout que le chef d'Etat-Major ukrainien évoque le fait que les troupes russes sont en train de se reformer et de se remobiliser et donc de facto de se rééquiper, notamment pour son matériel militaire, qui a été évidemment détruit où qui a été mis hors d'état de nuire. Les forces armées russes ont perdu la moitié de leurs dispositifs militaires en termes d'équipement et les forces armées ukrainiennes ont donc conquis un certain nombre de ce matériel leur permettant de repartir directement au combat et de rentrer dans une logique d'offensive.

Le chef d'Etat-Major ukrainien évoque le fait qu'il demande instamment aux forces armées occidentales de lui fournir le matériel militaire dont il a besoin pour tenir compte de cette régénération des forces russes. Il demande 600 véhicules blindés, 300 chars d'assaut et 500 pièces d'artillerie. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles il met en avant cette force qui serait en reconstruction pour mettre la pression sur la communauté internationale pour qu'elle accélère ou qu'elle confirme son soutien militaire. Pas plus tard qu'avant-hier, lors du Conseil européen, la facilité européenne pour la paix a débloqué 2 milliards supplémentaires, le Pentagone est sur le point de débloquer 880 millions de dollars supplémentaires qui viennent s'ajouter aux quelques 20-25 même 30 milliards de dollars que les forces armées américaines ont consacré à l'équipement, à la formation et à l'entraînement. 

Il faut bien avoir à l'esprit que les forces armées ukrainiennes et les forces armées russes sont pour l'instant en train de se faire face sur un front de quelques 700-800 kilomètres avec des avancées très limitées et évidemment beaucoup plus lentes que lors de l'offensive russe. Dans dans les 2 premières semaines, l'opération militaire spéciale russe avait conquis 22% du territoire ukrainien, quelques 125.000 km². Nous n'en sommes plus là puisque, depuis cette période, les Ukrainiens ont recouvert environ 54% des territoires qui avaient été conquis. Donc les Russes ont besoin de tenir ce front d’où l’utilisation partielle de cette remobilisation qui remonte à désormais 4 mois.

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Je ne crois pas qu’il y ait d’armée cachée mais plutôt que la Russie souhaite montrer qu’elle souhaite relancer ses opérations militaires et que l’Ukraine essaye de faire entendre qu’elle a besoin d’être soutenue qualitativement et quantitativement.

Les nouveaux contingents de mobilisés et le nouveau chef des forces russes, le général Sourovikine, pourraient-ils être les éléments qui changent la tournure de la nouvelle offensive redoutée par l’Etat-Major ukrainien ?

Emmanuel Dupuy : Cette nomination a déjà quelques mois, et c’est à ce moment-là que cela a changé les tactiques russes. Le but est désormais d’essayer de frapper le territoire en profondeur en ciblant de manière indiscriminée et éminemment et littéralement criminel au regard du droit international de la guerre. Selon la Convention de Genève de 1949, on ne frappe pas des infrastructures civiles. La tactique a été mise en place par Sourovikine depuis sa nomination comme coordinateur du théâtre des opérations le 8 octobre 2022. Cette nomination n'apportera pas de changement maintenant. 

Michel Olhagaray : Sourovikine est déjà en poste depuis un peu plus d’un mois et demi. Il a organisé le repli de la poche de Kherson, tout en faisant remarquer que sa défense était extrêmement difficile. Il a également organisé le retrait de ses troupes à l’Est du Dniepr, ce qui est une stratégie tout à fait convenable. Partout ailleurs, il établit des lignes de défense avec ce qu’on appelle des dents de dragon et des tranchées. Ces lignes de défense sont aussi visibles dans l’oblast de Louhansk. Il s’agit donc d’une stratégie de containment, ce qui laisse supposer que les Russes craignent de subir de nouveaux revers et qu’ils préfèrent camper sur leurs positions. 

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Pour autant, pour les Russes, il n’est pas possible de se contenter de rester sur la défensive. Tout le monde craint donc une nouvelle offensive, qui se déroulerait, comme d’habitude pour l’armée russe, avec de multiples frappes d’artillerie et l’emploi de nombreux soldats. En ce qui concerne l’artillerie, les Russes disposent encore de ressources. Pour les soldats, le nombre ne suffit pas, il faut aussi de fortes capacités logistiques. En effet, il n’est pas possible de prendre Kiev avec 200.000 mobilisés, puisque la ville doit être encore bien protégée. Nous avons également commencé à voir les limites de l’armée russe en matière de logistique, et surtout qu’ils n’étaient pas à l’abri des frappes ukrainiennes. En somme, je ne pense pas que les Russes puissent mettre en place une armée forte et organisée dans les semaines à venir.

Alors qu’on soulignait une forme de déroute de l’armée russe, ce nouveau contingent pourrait-il se retrouver plus organisé que ne l’a été le premier ?

Michel Olhagaray : On ne lève pas une armée de 200.000 hommes en deux mois ! Pour cela, il faudrait enlever un certain nombre de soldats quelque part. Actuellement, Poutine ne peut pas se le permettre, surtout qu’il a déjà dégarni une partie de ses troupes à proximité de la frontière chinoise. De plus, il ne peut pas rappeler ses soldats qui sont à la frontière des pays Baltes, et donc de l’OTAN.

On se souvient que l’objectif de prendre Kiev en quelques jours était tombé à l’eau. Les choses pourraient-elles être différentes dans un avenir plus ou moins proche ? Une deuxième offensive pourrait-elle être plus réussie ?

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Emmanuel Dupuy : Je ne le pense pas, je pense que cette évocation de la part du général Valeri Zaloujny vise à faire peur et à remobiliser la communauté internationale. Mais je ne crois pas que ce soit vraiment l'objectif de l'éventualité de cette régénération de force russe. Ils doivent déjà tenir le Donbass et reconquérir les territoires que les forces armées ukrainiennes ont récupérées depuis la contre-offensive de l’été dernier. Notamment l'oblast de Kharkiv, une bonne partie de l'oblast de Donetsk et bien évidemment Kherson. Le premier objectif de la régénération militaire russe, c'est de reconquérir ces territoires avant de reconquérir Kiev. On évoque toujours Kiev de manière symbolique parce que ça donnerait l'impression que si ce territoire tombe, l'ensemble du pays tombe, ce qui n'est pas une certitude non plus.

Michel Olhagaray : Les Russes se sont précipités dans cette guerre, en pensant qu’ils pouvaient la remporter en une semaine ou deux. Comme je l’expliquais précédemment, toute nouvelle offensive, dans des conditions qui ne sont pas optimales pour la Russie, me paraîtrait assez hasardeuse. Mais ils peuvent désormais changer de doctrine, estimant qu’ils ont le temps, qu’ils peuvent atteindre leurs objectifs l’année prochaine. La prochaine étape pourrait donc être une reconstitution de leurs forces et la fortification de la ligne de défense établie par Sourovikine… Mais la guerre est un exercice improbable. On ne sait jamais ce qui peut faire basculer une opération dans un camp ou dans un autre et, comme vous le faites remarquer, on ne connaît pas les réelles capacités de cette armée russe.

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