Guerre en Ukraine : à quoi désormais s’attendre d’une Russie prise à son propre piège ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©Odd ANDERSEN / AFP

Multiplication des fronts

Le conflit est entrée dans une nouvelle phase.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Des frappes en Crimée, une progression très lente en Ukraine et plus récemment la mort de Daria Douguina. Que se passe-t-il actuellement en Russie ?

Viatcheslav Avioutskii : Si on veut avoir une vision stratégique de cette étape de guerre, on observe la multiplication des fronts. Ces fronts ne sont pas limités aux lignes de contact et la guerre déborde. C’est ce qu’illustrent notamment les opérations de Crimée, qui ont réussi à des degrés divers, comme l’opération dans la Région de Belgorod, où un dépôt de munition a été visé. Il y a quelques jours, la Maison-Blanche a reconnu que les infrastructures militaires de la Crimée étaient une cible légitime pour l’Ukraine. Plus récemment, c’est l’attentat contre Alexandre Douguine qui s’est terminé par la mort de sa fille. Il est trop tôt pour se prononcer sur qui est derrière cet attentat, mais il est clair qu'il s'inscrit dans la dynamique de cette guerre. Tous ces éléments, sur lesquels normalement l’Ukraine ne se prononce pas ou rejette toute responsabilité montrent que la guerre est entrée dans une nouvelle phase. Une guerre plus diffuse, hybride qui mélange les genres. Lorsque l’on voit l’attaque au drone visant l'état-major de la Flotte russe - qui a été abattu sans faire de victimes – on se demande quel est l’objectif de l’opération, si ce n’est la volonté d’influencer psychologiquement le conflit. Comme le disait le général Petraeus, la guerre ce n’est pas seulement ce contrôle physique du terrain, c’est aussi la guerre pour les cœurs et les esprits des populations.

A quel point la Russie est-elle aux abois ?

Je ne crois pas que la Russie soit, pour le moment, aux abois. Elle a encore une vision relativement claire des défis qui se posent à elle. Jusqu’à maintenant, la Russie croyait que l’Ukraine n’avait pas les armes ou les moyens militaires, technologiques et techniques d’atteindre la Crimée. Il y avait déjà eu des frappes sur le territoire russe, notamment dans les régions de Belgorod et de Rostov, mais pas à ce niveau-là. Le fait qu’il y ait eu un attentat contre Douguine, dont on ne connaît pas l’origine, s’inscrit dans la dynamique de la guerre. Pour le moment, la Russie demeure en capacité de contrôler son front. Elle se trouve à un point d’équilibre avec les Ukrainiens. Les premiers s’enlisent, les seconds veulent une contre-offensive mais n’ont pas les forces pour le faire. Les offensives en Crimée montrent que les Ukrainiens veulent changer le rapport de force. Ce dernier est toujours asymétrique mais nous sommes dans une forme de rééquilibrage qualitatif avec ces différentes opérations. La Russie demeure plus puissante sur le plan quantitatif car elle détient plus des armes. Après avoir obtenu de leurs alliés occidentaux les Himars, les Ukrainiens commencent à prédominer sur le plan qualitatif sur certains segments d'armement, mais n'arrivent encore pas à obtenir un avantage décisif.

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The Insider, un journal russe indépendant, a publié des mails de familles de soldats mobilisés évoquant des conscrits envoyés en Ukraine contre leur gré, un refus de démobiliser certains blessés, etc. Qu’est-ce que cela nous dit de l’armée russe ?

Les effectifs sont un véritable problème côté russe. Les Russes continuent de parler d’opération militaire spéciale et non de guerre. Pour cette raison, ils ne peuvent utiliser que les contractuels et ne déclarent pas la mobilisation des appelés. Or il y a un grand nombre de victimes. Le commandant des Forces armées d'Ukraine, Valery Zaloujny a annoncé récemment que 9000 soldats ukrainiens avaient été tués. Il y a en a au moins autant et sans doute bien plus côté russe. De ce fait, il faut trouver de nouveaux soldats. Donc recruter de nouveaux contractuels. Ils sont souvent formés sommairement, rapidement. Sur place, ils découvrent la situation réelle. Certains résilient leur contrat, comme ils ont le droit de le faire. Face à cela, les Russes cherchent des parades. Ils essaient notamment de créer des bataillons nationaux de volontaires, avec un statut spécial. Ils font aussi appel à Wagner – dont les capacités en font une sorte d’armée dans l’armée. Les Russes ont un complexe militaro-industriel qui fonctionne, mais ce qui manque, ce sont des soldats et des officiers formés et expérimentés.

L’Ukraine dit s’attendre à des frappes sur les civils, ou des représailles cruelles quelque chose de « particulièrement dégoutant » pour le 24 août ? A quoi s’attendre de la part de la Russie au vu du contexte ?  

Dans la logique des choses, chaque fois qu’il y a eu une frappe de ce type là du côté des Ukrainiens, comme lorsque le croiseur Moskva a été coulé, ils ont réagi en frappant fortement. Officiellement, des cibles militaires. Dans la réalité, la plupart du temps des cibles plutôt civiles afin de se venger, de dissuader, de terroriser. Or les frappes en Crimée sont de l’ampleur de la perte du croiseur. C’est la logique russe actuellement. Pour le 24, on évoque une frappe qui se prépare et qui pourrait atteindre, par exemple, la capitale. Cette dernière n’a pas été véritablement frappée depuis quelques semaines. Mais un élément important est que le peuple ukrainien continue de soutenir massivement la guerre (plus de 90% soutiennent les actions de Zelensky dans cette guerre). On peut faire un parallèle avec Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale. Si je dois faire un pronostic, je pense que les conflits armés vont se maintenir et que la situation va se geler pendant tout l’automne et l’hiver. Les services de renseignement britanniques affirment qu'il n'y aura pas de contre-offensive avant l’hiver. L’avancée russe n’est pas seulement ralentie, elle est quasiment nulle. Ils ont mis cinq semaines pour occuper quelques petits villages dans le Donbass et avancer de quelques kilomètres, sans pouvoir créer des avantages stratégiques sur le front.

Une escalade rapide, notamment nucléaire, est-elle un scénario possible ?

Aux Etats-Unis, une lettre collective signée par plusieurs personnalités du monde politique et militaire américain a recommandé à Biden d’être beaucoup plus actif dans la livraison d’armes. Dans cette lettre, ils estiment qu’il ne faut pas trop redouter une escalade militaire nucléaire, car puisque les Etats-Unis sont indirectement impliqués dans le conflit, la Russie n’ira pas jusqu’à utiliser l’arme nucléaire.

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