Guerre contre le terrorisme, 15 ans après : pourquoi l’Occident n’en a pas eu pour les milliards de dollars injectés dans la lutte contre le djihadisme global<!-- --> | Atlantico.fr
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Soit les Occidentaux bombardent, comme c'est le cas en Syrie. Mais une guerre n'a jamais été gagnée seulement depuis le ciel. Soit des troupes sont envoyées au sol, comme en Afghanistan et en Irak, et les pays tombent dans un processus d'enlisement.
Soit les Occidentaux bombardent, comme c'est le cas en Syrie. Mais une guerre n'a jamais été gagnée seulement depuis le ciel. Soit des troupes sont envoyées au sol, comme en Afghanistan et en Irak, et les pays tombent dans un processus d'enlisement.
©Reuters

C’est pas gagné

Le 7 octobre 2001, avait lieu la première frappe américaine en Afghanistan. Malgré un effort militaire qui a duré 15 ans et qui a engagé des moyens financiers considérables, la guerre contre le terrorisme, initiée par George W. Bush et qui se poursuit aujourd'hui, a créé plus de terroristes qu'elle n'en a éliminés. En effet, non seulement Al-Qaïda n'a pas disparu mais l'Occident est désormais confronté au phénomène Etat Islamique.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Le 7 octobre 2001, il y a 15 ans, avait lieu la première frappe américaine en Afghanistan, dans le cadre de ce que George W. Bush avait qualifié de "guerre contre  le terrorisme", expression qui a depuis été reprise par de nombreux dirigeants occidentaux. Alors que de nouveaux groupes terroristes sont apparus (Daech, AQMI, AQPA, Al Nosra etc.), et que le monde occidental a été frappé par des attentats meurtriers, quel bilan peut-on faire de cette guerre contre le terrorisme ? Quelles ont été les leçons tirées de l'échec de cette guerre?

François-Bernard HuygheIl est certain que cette guerre n'a pas été gagnée. Malgré un effort militaire qui a duré 15 ans et qui a engagé des moyens qui auraient écrasé Hitler en une semaine, nous avons, pour reprendre une expression de Colin Powell, "plus de terroristes le soir que nous n'en avons butés le matin". La guerre contre le terrorisme a été un échec de la méthode militaire qui a consisté à détruire les bases supposées des terroristes ou les pays supposés les aider - c'était le reproche fait à l'Irak.

Soit les Occidentaux bombardent, comme c'est le cas en ce moment en Syrie, mais une guerre n'a jamais été gagnée depuis le ciel sans mettre un pied au sol. Soit des troupes sont envoyées au sol, comme on l'a vu en Afghanistan et en Irak, et les pays tombent dans un processus d'enlisement : d'une part, les opérations au sol augmentent le ressentiment des djihadistes en général et d'autre part, elles interviennent tellement maladroitement dans des rapports entre sunnites et chiites, qu'elles créent bien plus de désordre.

En 2011, quand Obama a fait abattre Ben Laden, les Occidentaux ont claironné qu'ils avaient vaincu Al Qaïda. Or, cinq ans après, non seulement Al Qaïda n'a pas disparu du tout puisqu'il y a des tas d'annexes en activité dans le monde, mais le phénomène Etat Islamique a été provoqué.

Sur le plan militaire, le bilan de la méthode occidentale est donc mauvais. Dans l'histoire du terrorisme, des études avaient d'ailleurs montré qu'il n'y a quasiment aucun cas où le terrorisme a été vaincu par des méthodes uniquement militaires.

Si on prend l'exemple de la France, nous courons aujourd'hui bien plus de risques qu'à l'époque d'Al Qaïda et nous avons suscité sur notre sol plus de terroristes qu'il n'y en avait le 11 septembre 2001 au soir. 

De 2001 à aujourd'hui, quelles ont été les différentes phases de cette guerre, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre ? L'évolution de la pensée stratégique vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

Il y a d'abord eu une période d'intervention en Afghanistan où on a pensé qu'en soutenant les forces de la coalisation du Nord de Massoud, on allait installer un gouvernement acceptable sur place. Or, les talibans chassés de Kaboul ont trouvé de nouveaux alliés et de nouvelles tribus se sont dressées contre les Occidentaux. Ces derniers ont donc dû envoyer des troupes au sol, puis repartir. Il y a donc eu de nombreuses hésitations du côté occidental. Quant à l'intervention en Irak, elle a été une erreur par le choix de ses prétextes (armes de destruction massives et une supposée complicité avec le terrorisme) et une erreur par sa gestion : les Occidentaux ont dressé les sunnites contre les chiites ; l'armée de Saddam Hussein a été lâchée dans la nature et une grande partie de ses membres n'a pu trouver à s'employer que dans le terrorisme ou dans la guerilla.

La stratégie d'intervention occidentale continue aujourd'hui d'être inefficace : les Occidentaux n'arrivent pas à trouver dans les pays des partenaires politiques nationaux "acceptables politiquement", le pire étant évidemment la Syrie.

Est-ce qu'il existe des méthodes stratégiques occidentales qui ont marché ? Je n'en vois guère. La méthode du surge de Petraeus et McChrystal, les deux généraux américains, inspirée par un stratège français de la guerre d'Algérie, le colonel, Galula, a donné de petits résultats partiels pendant un moment. Cette méthode a été employée en Afghanistan et consistait à mettre beaucoup de forces au sol et à reconquérir les territoires kilomètre par kilomètre pour étendre les zones pacifiques. Obama l'a adoptée au début de son premier quinquennat. Ainsi de façon paradoxale, au moment où il recevait le prix Nobel de la paix, il a envoyé des tas de troupes en Afghanistan. Mais cette méthode consommait beaucoup d'hommes et d'énergie et n'était pas tenable à long terme.

Je ne suis pas Clausewitz, je n'ai pas des intuitions militaires géniales ni la bonne solution mais je peux vous dire ce qui ne marche pas.

Une des tendances de la pensée stratégique de l'OTAN aujourd'hui est de dire que l'on va devoir mener non seulement des guerres asymétriques mais aussi hybrides. Cela signifie que l'on devra à la fois mener une guerre classique, comme on le fait en Syrie, une guerre contre des groupes armés dispersés, et une guerre de propagande. C'est une façon polie de dire que les Occidentaux sont dans la plus grande des confusions et qu'ils ne savent pas gérer en même temps une guerre sur le terrain, dans nos frontières et sur Internet.

J'ai l'impression que nous n'avons guère fait de progrès en ce domaine. Les seuls à avoir fait des progrès stratégiques en observant la réalité, ce sont les Russes, avec énormément de brutalité certes. Néanmoins, la Russie est la seule puissance qui réussit à remporter des succès militaires et symboliques et à avancer ses pions quand les autres sont confrontés à des blocages. [1].



[1] Voir à ce propos, le dernier numéro de la revue Medium dirigé par François-Bernard Huyghe "Quelle guerre, quelle victoire ?"

Alors qu'il semble impossible de "gagner" la guerre contre le terrorisme, comment expliquer que certains, dont François Hollande, continuent d'utiliser cette expression ? Quels bénéfices espèrent-ils en tirer ? 

Si on ne peut définir le critère de victoire ni se donner les moyens de gagner, il ne faut pas faire la guerre.

Dans le cas de Hollande, deux explications assez simples expliquent sa rhétorique. Premièrement, se poser en chef de guerre, en rassembleur de la nation et convoquer le spectre de la guerre est politiquement très rentable. Ça oblige les opposants à baisser d'un ton dans les temps d'unité nationale. Ça aide à se présidentialiser, à incarner l'unité, les valeurs de la nation etc. C'est donc un très bon discours en politique intérieure.

Deuxièmement, il est possible que François Hollande soit sincèrement atlantiste. Il est parfois même plus atlantiste que les Américains : on l'a vu notamment lorsqu'il a voulu bombarder Assad en 2013 ou lorsqu'il était réticent à la signature d'un accord sur le nucléaire iranien.

La France a choisi une option géopolitique : plutôt que la tradition gaullo-miterrandienne, la France a choisi une tradition occidentaliste qui a complètement bousillé sa politique arabe. 

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