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Grèce : ce qui se cache derrière la brutale volte-face de Varoufakis
©Reuters

L’Europe qui convainc... ou qui contraint

Yanis Varoufakis, l'ancien ministre grec des Finances et chantre radical de l'anti-austérité, vient, à la surprise générale, de voter le second volet des réformes voulues par les créanciers de la Grèce. Un rétropédalage illustrant, encore une fois, qu'en politique tout est permis.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : Comment expliquer le volte-face de Yanis Varoufakis qui a décidé, finalement, de voter les réformes ?

Gérard Thoris : On se souvient de la chanson de Georges Brassens : "Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente". C’est plus qu’un symbole que le négociateur le plus zélé retourne sa veste en un tournemain ! Bien sûr, le combat a été perdu, mais la vie politique continue ! Ne vaut-il pas mieux ménager son avenir sous les ors de la République hellénique et se refaire une virginité face aux vrais pouvoirs qui se trouvent à Bruxelles, Francfort et Washington ! Ce n’est pas Pierre Moscovici qui lui donnera tort. Oui, Brassens avait bien raison, "mourir (politiquement) pour des idées (politiques), d’accord, mais de mort lente" !

L’Europe a-t-elle trouvé un nouveau moyen de pression durant cette crise grecque ?

Il n’y a pas de nouveau moyen de pression, mais la répétition d’anciens. Qu’on se souvienne : le 31 octobre 2011 déjà, le premier ministre de l’époque, George Papandreou, menaçait la troïka d’un référendum. Quel que soit l’habillage qu’il y mit, sa renonciation est la conséquence de la pression de N. Sarkozy et d’A. Merkel autour du sommet de Cannes. Le destin de N. Papandreou y a été scellé ! De fait, il quitte le pouvoir le 11 novembre suivant ! Déjà, à l’époque, il lui avait été demandé de ne pas poser la question d’une éventuelle sortie de l’euro. A. Tsipras a respecté cette règle non écrite. La question posée lors du référendum était tout sauf un engagement à faire quelque chose d’irréparable : "acceptez-vous le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015 et composé de deux parties, qui constitue leur proposition unifiée ?" On ne sera néanmoins pas surpris que le même N. Sarkozy déclare, à propos du successeur de G. Papandreou  "quel cynisme, quelle démagogie, quelle irresponsabilité" ! Il est difficile de savoir comment les choses se passent dans la coulisse, mais il est certain qu’un dirigeant européen qui émet des doutes sur le maintien de son pays dans l’Union ou, plus simplement, dans la zone euro, voit ses jours politiques comptés. Alexis Tsipras n’a aucune raison de démissionner aussi longtemps que la Vouli le soutiendra. Après tout, peu d’hommes politiques ignorent, et surtout pas en France, qu’on peut être élu sur un programme et gouverner sur un autre ! 

Dans quelle mesure ce que l’UE fait vivre à Athènes sur le plan économique peut-être perçu comme une humiliation pour la Grèce ?

Lorsqu’on part au combat, qu’il soit politique ou économique, on conçoit un plan B. Manifestement, ce plan B n’existait pas du côté grec. Pour qu’il ait existé, au-delà du saut dans l’inconnu que représentait la sortie de l’euro, il fallait satisfaire à quelques contraintes matérielles. La première de ces contraintes est de disposer de billets de banque exprimés en drachmes. La rumeur sur l’impression de Deutsche Marks est persistante, même si ce n’est qu’une rumeur. Mais une telle rumeur n’existe même pas pour la drachme ! Or, il fallait pouvoir satisfaire toute la demande de monnaie fiduciaire des Grecs, ne serait-ce que pour leur donner confiance, non dans l’avenir, mais dans le présent. Evidemment, il était simple, au départ, de prendre comme point de départ la parité entre la drachme et l’euro. Les correctifs de change n’auraient certainement pas manqué ensuite, mais la situation intérieure était gérable. Rien de tel ne semble avoir été prévu. Dans le même esprit, il faut du temps pour que les comptes bancaires passent de l’euro à la drachme. Les logiciels de gestion de la monnaie scripturale sont intégrés au niveau international et une décision unilatérale est extrêmement difficile. C’est une contrainte nouvelle et forte à laquelle les dirigeants grecs n’avaient sans doute pas pensé.

Alors, pourquoi avoir lancé l’idée d’un référendum ? Au vu des résultats, il est impossible de croire qu’il s’agissait d’accroître le pouvoir de négociation de la Grèce. Au vu des résultats, encore, il est possible de croire qu’il s’agissait pour les dirigeants grecs de montrer au peuple qu’ils avaient résisté de toutes leurs forces et que leur échec était aussi l’échec du peuple. Malheur au vaincu donc, dont les dirigeants sont solidaires. Mais quelle impudence de demander au peuple s’il est d’accord avec le tribut qu’une puissance financière au visage de la Troïka leur impose pour des siècles ? Au final, l’histoire se souviendra qu’au sein de cette Troïka, la Banque centrale européenne avait le pouvoir de rédemption monétaire et qu’elle a explicitement refusé de l’utiliser pour la Grèce… a contrario d’autres pays de la zone euro ! Vae Victis.

Est-il impossible de résister à l’Europe ? Pourquoi ?

On le sait, aucune clause de sortie n’a été imaginée lors de la rédaction des différents traités européens. Mais aucun référendum, quel qu’en soit le résultat, n’a empêché les hommes politiques d’engager leur pays dans la construction européenne. Les Français en savent quelque chose. On a déjà indiqué que la solidarité monétaire était un frein d’une puissance redoutable face aux velléités de sécession. Ce n’est pas sans raison que le Royaume-Uni a refusé de se lier les mains avec la zone euro. Mais, même ainsi, le Royaume-Uni n’est pas aussi indépendant qu’il semble le croire. David Cameron devrait y réfléchir à deux fois avant de lancer son référendum sur la sortie de l’Union européenne – en fait, selon ses propres termes, "un référendum sur l’Europe". Rappelons quand même que l’Union européenne comporte trois piliers qui organisent la vie commune dans les domaines économiques, de politique étrangère et de coopération policière et judiciaire en matière pénale. Sortir de l’Union européenne, c’est réorganiser le droit économique, l’organisation du système de défense et la coopération en matière de sécurité ! 

La démocratie est née à Athènes ; on peut dire symboliquement qu’elle est morte dans la même ville. Les peuples n’ont plus la liberté de choisir le système juridico-politique ni le système politico-économique qui leur convient. L’interdépendance générale dans laquelle nous vivons permet-elle qu’il en soit autrement ?

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