Grèce : ce que la France pourrait encore faire pour stopper la machine infernale<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Sur la question de la Grèce, la France semble inaudible en Europe.
Sur la question de la Grèce, la France semble inaudible en Europe.
©Reuters

Allô Paris, non mais allô quoi

Alors que le processus de l'éventualité du Grexit est enclenché, François Hollande s'exprime à contre courant des positions de l'Eurogroupe. Malgré tout, si les politiques étaient appelés à donner leur avis la semaine dernière, aujourd'hui, seule la Banque Centrale Européenne a le dossier en main.

Romaric Godin

Romaric Godin

Romaric Godin est journaliste financier. Ancien correspondant à Francfort pour La Tribune, il en est actuellement le rédacteur en chef adjoint.

Voir la bio »
Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

Voir la bio »

Atlantico : A travers le dossier grec, la France semble inaudible au niveau de l’Europe, incapable de défendre sa position face à l’Allemagne. Est-ce une fatalité ? Quels levers d’action la France pourrait-elle encore actionner pour inverser le cours d’une histoire qui semble, à bien des égards, écrite à l’avance ?

Romaric Godin : Le problème est une question de temps. La France a cru qu’on n’irait jamais jusqu’au grexit. Elle a fait confiance à l’Allemagne. Seulement Angela Merkel n’a pas agit comme d’habitude. Cette fois, elle affirme que le grexit n’est pas un problème pour la zone euro. François Hollande n’a pas pris conscience de cette position de l’Allemagne, il a donc pensé qu’il pourrait faire fléchir l’Allemagne de l’intérieur en discutant avec Angela Merkel. Mais la France s’est faite dépassée. Le discours de François Hollande est arrivé trop tard. Il est arrivé devant un fait accomplie, et il ne s’est réveillé que cette semaine. Entre temps les politiques ont laissé le dossier à la BCE. Notre président peut dire ou faire tout ce qu’il veut, ce n’est plus lui qui est décisionnaire. Il est arrivé en disant qu’il fallait arrêté ce mécanisme là, mais il est déjà lancé. Il y a deux possibilité pour Dimanche. 

Celle du oui. Dans ce cas, François Hollande peut essayé de jouer un rôle de médiateur et de faire accepter aux Européens la présence d’Alexis Tsipras en leur sein. Ce n’est pas certain qu’il y parvienne: quand vous vous êtes tus pendant 6 mois, que vous avez acceptez tout ce qui a été fait, et que vous vous réveillez en disant « il faut arrêter la machine infernale », ce n’est pas certain que ça fonctionne.
Celle du non. Dans ce cas, François Hollande pourra faire ce qu’il voudra, le mécanisme du grexit sera enclenché, il sera trop tard.

Yves Roucaute : Ce n’est là qu’un symptôme général de la politique internationale de la France. Et il nous faut en voir les raisons. 

Sans doute l’histoire retiendra-t-elle ce fait : en quelques années de gouvernance socialiste, la France est passé d’un statut d’acteur majeur et écouté du système international à une puissance de seconde zone. La gestion du dossier grec est une des dernières péripéties de cette impuissance à assurer son rang, la dernière venant du voyage en Afrique où le Président a jugé que 3 jours étaient suffisants pour passer au Bénin, en Angola et au Cameroun. Songez que cela faisait 14 ans qu’un chef d’Etat français ne s’était pas rendu chez nos alliés du Cameroun par exemple.  Et il y est resté seulement 6h alors que le Cameroun se bat pourtant en première ligne contre les djihadistes de Boko Haram, l’un des plus horribles groupes qui soit.  Et comment ne pas être atterré par les marques d’irritation qu’il montra face au Président du Bénin ? Ce qui explique un tel dilettantisme et une telle incorrection vient de la pression exercée par certains de ses alliés au nom de la représentation peu démocratique du gouvernement de certains de nos alliés.  Tout est là : dans l’incapacité de François hollande à avoir une vue stratégique. Car aujourd’hui c’est la guerre et la France est en guerre.  Et face à l’ennemi principal, l’islamisme, il faut que la France resserre ses liens avec ses alliés. Pas que son Président préfère courtiser certains groupes irresponsables ou courir le guilledou. 

Toujours pour en rester aux faits, s’agissant de la Grèce, chacun a pu voir les tergiversations françaises. Un coup, collant  aux positions d’Angela Merkel et des membres de la Commission, un coup tentant de briller en sortant du rang par une position de « médiateur » de l’extrême-gauche grecque, la France navigua entre un suivisme sans couleurs et un aventurisme niais. Le summum du ridicule fut atteint mercredi. Manuel Valls et François Hollande, incapables de comprendre le sens véritable de la teneur de la lettre envoyée par Alexis Tsipras qui jouait tout simplement sa propre élection en faisant croire aux électeurs grecs qu’il ne cessait de faire des concessions, crurent possibles un accord.  Enfin, se dirent-ils, ils allaient démontrer qu’ils pouvaient être des médiateurs et qu’ils avaient, eux, une positon centriste, de gauche presque. Et voilà Manuel Valls qui s’en prend à Nicolas Sarkozy  en s’inscrivant "en faux, contre certains, notamment un ancien président de la République qui déclare que la Grèce est sortie de fait de la zone euro. Ces polémiques, ces analyses trop rapides nuisent au débat". Et, persuadés qu’ils tiennent la solution grâce à cette lettre et que l’accord est possible, ils tentent de prendre le train de la victoire en déonçant l’irresponsabilité de Nicolas Sarkoy, opposée aux "déclarations responsables de trois anciens Premiers ministres, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et François Fillon".  Enfin, ils allaient pouvoir pousser Alain Juppé, pour eux plus facile à battre. Ce fut l’arroseur arrosé : en guise d’analyses trop rapides, le couple Valls-Hollande démontrait une nouvelle fois qu’il avait la médaille d’or. Et le ridicule fut achevé avec l’humiliation de la France qui s’était avancée à proclamer l’accord imminent, et qui se rendit soudain compte que Tsipras n’avait jamais eu l’intention de conclure un accord. Il fallut bien se rendre à l’évidence : la seule position juste était celle d’Angela Merkel, qui ne s’était pas laissé prendre  au piège de la démagogie grecque, et celle de Nicolas Sarkozy qui constatait, comme tout un chacun, que le gouvernement grec jouait en dehors des règles.

La raison fondamentale de cette politique internationale n’est pas si dfficile à discerner, me semble-t-il. Ce gouvernement est faible. Il a peu de soutien populaire et sa légitimité est largement ébréchée, en particulier depuis les dernières élections et les pertes de soutiens à l’Assemblée nationale. François Hollande ne veut pas trop blesser ses alliés d’extrême-gauche dont le PS va avoir besoin pour tenter de conserver des régions, comme il en aura besoin pour l’emporter lors des présidentielles. Dés lors, au lieu de regarder l’intérêt de la France, il navigue au gré des jeux politiques de son parti, de  ses alliés et de son électorat. La gouvernance de la France est mécaniquement devenue celle des partis à l’approche des élections régionales et, bientôt, des présidentielles.  Cela est d’utaant plus crucial à ses yeux que les votes à l’Assemblée, et la nécessite d’en passer par le 49-3 pour imposer ses choix, ont démontré sa faiblesse substantielle par rapport aux partis de gauche. La position sur la Grèce est seulement une conséquence. Il tente de concilier, d’un côté, les courants pro-européens qui considèrent que la Grèce ne joue pas le jeu et qui l’abandonneraient s’ils se mettait à devenir eurosceptique, et, d’un autre côté, les courants anti-européen de sa gauche qui pourraient profiter de la Grèce pour refuser toute alliance. 

Toute la politique de François hollande tient à ce souci de ne pas heurter ses soutiens électoraux. C’est le retour du régime des partis.

Thomas Piketty a invité François Hollande à poser un véto français à un Grexit, concrètement comment pourrait-il s’y prendre? Quels éléments pourrait-il mettre en balance ? 

Romaric Godin : Le problème c’est sortir d’un pays de la zone euro, techniquement, ce n’est pas possible. Ca ne relève pas de la compétence des chefs de l’état. La seule puissance qui puisse provoquer le grexit c’est la BCE. Elle ne le déclenchera pas directement mais elle poussera le gouvernement grec dans une situation où Athènes n’aura pas d’autres solutions. En théorie, la banque centrale est indépendante, donc il n’y a pas de possibilité de l’influer. C’est extrêmement difficile de bloquer ce mécanisme enclenché. Maintenant, cela reste en théorie. En pratique, la BCE a une approche politique, en revanche, cela ne peut pas se faire dans le cadre d’une diplomatie direct mais dans le cadre d’une pression indirecte. 

Dans les 18 qui sont face à la Grèce, il y a un quasi consensus contre la Grèce, à l’exception faite de la France et l’Italie. Ils risquent de se retrouver extrêmement isolés au moment de la décision puisqu’ils ne sont pas soutenus par une majorité.

Yves Roucaute : La position de Thomas Piketty est assez drôle et bien naïve. Il appelle « apprentis-sorciers » ceux qui évoquent la possibilité de la sortie de la Grèce de l’euro ». Mais, en imaginant le « non » l’emportant et aucune sanction, il faut qu’il soit bien aveugle pour ne pas s’apercevoir de l’incroyable appel d’air que cela donnera à toutes les forces extrémistes en Europe, en particulier en France au Front national. S’il n’y a pas de sanctions, alors tout est possible. Amusons-nous.

D’autre part, il est quand même difficile de soutenir qu’il faut laisser la Grèce qui aurait voter « oui » dans le système. Car cela signifie concrètement encore donner une trentaine de milliards à la Grèce, ce que demande d’ailleurs Alexis Tsipras.

Doit-on considérer que le réel déficit démocratique qui a présidé à la création de l’euro, doive être suivi d’un nouveau déficit démocratique, par une technostructure qui déciderait de prendre l’argent du travail des autres Européens sans leur demander leur avis, pour le donner à la Grèce ? Il est quand même curieux  que ce soit aux Grecs de décider de l’usage de notre argent et que cela ne leur pose pas même le début de l’ombre d’un problème. Demandons donc par référendum l’avis des Français, des Allemands, et des autres puisque c’est bien de leur argent dont il s‘agit. N’aurions-nous pas notre mot à dire ?  S’il y a un référendum en France demandant « êtes-vous d’accord pour prêter 30 milliards aux Grecs qui doivent déjà 45,4 milliards », Thomas Pikettyqui semble aimer le choix des peuples de façon un brin cavalière, est-il  certain que les Français répondrons « oui » ?  J’en doute.

En vérité, François Hollande est en position difficile, plus qu’on ne le croit. Il était prêt à céder sur le chantage de l’extrême-gauche grecque et il est probablement prêt à céder demain sur un nouveau chantage. Sa position sera seulement l’effet des rapports des forces en France même. 

Le résultat aura une certaine importance. Si les Grecs votent  « oui », alors François Hollande sera plutôt mal à l’aise car ces partenaires pourront critiquer une certaine lâcheté. S’ils votent « non », alors, quoi qu’il en pense, ses partenaires européens seront encore moins enclins à céder à un gouvernement grec qui fut fourbe dans son jeu envers des alliés européens et qui ment et manipule ses électeurs, comme l’a montré son incapacité à tenir ses promesses électorales et cette façon d’engager un référendum en dissimulant le propositions européennes, en mettant le « non » sur les bulletins avant le « oui ,» en imposant une campagne de 3 jours qui rend impossible le débat, campagne transformée en plébiscite sur sa personne, à la façon des grands dictateurs.

S’il y a un « non », il sera d’autant plus dur pour François Hollande d’exister que la position de l’Allemagne, en cas de victoire du « non », est à peu près prévisible. Clairement, l’Allemagne a prêté 56 milliards à la Grèce. 56 milliards ce n’est pas rien, contrairement à ce que prétend l’extrême-gauche. C’est 8 fois le produit intérieur brut de Haïti, 4 fois celui de Madagascar, 3 fois celui du Népal. C’est supérieur au PIB de la Bulgarie et de plus de 100 autres pays dans le monde.

Or, non seulement l’extrême-gauche ne veut pas des conditions posées par des créanciers qui ont déjà fait beaucoup d’efforts, et d’abord celui de prêter mais, en plus le gouvernement grec développe une xénophobie anti-allemande et antiaméricaine à la manière d’un parti néo-fasciste. Car l’Allemagne prête et, en plus,  elle est insultée. Donc je ne crois pas que l’Allemagne soit très encline à suivre les humeurs vagabondes de François Hollande dans ce cas. 

Et la vérité est que la Grèce est déjà sortie du système européen. Dans les faits. Que l’on s’en réjouisse ou s’en désespère. Et la seule question est de savoir, si le « oui » l’emporte, comment les autres Européens vont pouvoir faire pour la ramener dans les règles du jeu et quel coût nous sommes disposés à payer pour cela. 

L’impuissance de François Hollande, dans tous les cas, sera flagrante. Nous aurons certes droit à des effets de manche, et cela me paraît naturel car nul n’a intérêt à le voir perdre la face comme Président, mais s’il veut que l’Europe survive et se développe, il va falloir choisir le camp de la responsabilité. 

D’autant que, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, quitte à choquer certaines belles âmes, il reste à prouver que la sortie de la Grèce ne soit pas un bienfait pour l’euro et pour l’Europe aussi qui vient de découvrir l’urgence d’une gouvernance économique commune, ce à quoi un pays comme la Grèce paraît peu disposé.

Qu’est ce qui pourrait inciter François Hollande à aller aussi loin maintenant alors qu’il s’y était jusque-là opposé ?

Romaric Godin : Ce qui le motive, c’est le risque réel du grexit. Si on a un Non dimanche, la BCE va devoir prendre une décision Lundi: le maintient de la Grèce ou non dans la zone euro. C’est une décision qui va bouleverser toute la zone. Elle était avant irréversible: vous y entrez mais n’y sortez pas. Si maintenant on exclue la Grèce, on se retrouve dans une autre dimension: ce ne sera plus une zone monétaire soutenue par un projet politique, ce sera simplement une zone monétaire. Pour le gouvernement français, la question est de savoir s’il doit prendre le risque d’aller vers cette nouvelle forme de zone euro, ou si elle essaye de sauver la zone euro telle qu’elle est décrite aujourd’hui. S’il devait y avoir une initiative française, c’est maintenant qu’elle devrait se faire. Seulement elle arrive bien tard. Cette logique là a commencé dès Samedi soir dernier, le 27 juin, lorsque L’Eurogroupe a décidé de ne pas prolonger le plan d’aide à la Grèce. Là la France ne s’y était pas opposé. La véritable action française aurait du être au sein de cet Eurogroupe, qui était l’organe du processus. Aujourd’hui, c’est presque trop tard.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !