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Grâce à la vaccination, Emmanuel Macron promet un avenir radieux (et tout le reste sous le tapis)
©Ludovic MARIN / AFP

Énième allocution

Emmanuel Macron a annoncé la vaccination obligatoire des soignants et l’extension du pass sanitaire à tous les lieux accueillant du public d’ici août. Certaines libertés ne commencent-elles pas à être entamées ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico :  Emmanuel Macron a annoncé la vaccination obligatoire des soignants et l’extension du pass sanitaire à tous les lieux accueillant du public d’ici août. En faisant le choix de conditionner l’accès à certains lieux, n'entame-t-il pas (trop) lourdement certaines libertés, même si la situation sanitaire demande de l'action ? 

Christophe Bouillaud : C’est sûr que du point de vue des libertés publiques la situation ne parait pas bien brillante. Comme Macron l’a lui-même laissé entendre dans son allocution, nous allons tout droit vers la vaccination obligatoire pour tous.  Après, en faisant preuve de sarcasme, on peut dire qu’une chose fondamentale restera pour l’instant tout de même autorisée aux Français : aller travailler dans la plupart des entreprises (sauf celles recevant du public) ou aller étudier si on n’est pas vacciné. Le caractère sacré du travail et aussi de l’éducation est ainsi réaffirmé. Pour le coup, l’obligation de se rendre au travail ou dans un lieu d’étude (écoles, lycées, universités) en étant vacciné ne vaudra que pour le monde des soignants. Cela viendra sans doute ensuite pour tout le monde, mais Emmanuel Macron a sans doute reculé devant cette mesure d’ordre général, car, dans la mesure où des millions de gens restent en attente d’une dose de vaccin, la première ou la seconde,  elle aurait été de nature à bloquer la vie économique et sociale, et à coaliser patrons et salariés dans un même refus, sans compter la révolte des parents dont les adolescents ne seraient plus accueillis faute d’être vaccinés le jour de la rentrée.  Il ne faut pas oublier que le nombre des vaccinés à ce jour tient aussi au fait que le processus de vaccination de la population depuis le mois de janvier 2021 a été pour le moins poussif et au total assez peu pédagogique. Il a tout de même été sauvé par des sites de prise de rendez-vous ou d’agrégation de créneaux de vaccination libres, mais on ne peut pas dire que les pouvoirs publics aient brillé dans cette affaire. 

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On peut aussi remarquer avec la même dose de sarcasme que le secteur automobile a vraiment tout lieu de se réjouir. Cela restera bientôt la seule manière de se déplacer sur le territoire français sans devoir montrer son pass sanitaire. Pour l’instant, seuls les transports collectifs urbains ou métropolitains restent ouverts aux non-vaccinés, or l’on se doute bien qu’avec le nouveau variant, il y aura aussi des contaminations par ce biais. 

En somme, le discours de Macron de ce 12 juillet 2021 constitue surtout le constat d’échec de la stratégie actuelle de vaccination. Il ne s’agit pas tant d’éviter des contagions que de pousser les gens à se faire vacciner en les privant dans un premier temps de loisirs – sauf pour les soignants qui risquent d’être privés de travail et de revenus.  Il n’y a guère eu de réflexion sur ce qui a poussé une partie des gens à ne pas être vaccinés à ce jour. Il est vrai que cela aurait supposé d’une part, une vision plus socialement et géographiquement réaliste du pays – les non-vaccinés par éloignement du système de santé -, et d’autre part, une interrogation de la part du pouvoir actuel sur son impopularité et la défiance à son égard, en particulier dans les classes populaires – les non-vaccinés par refus, parfois complotiste, de tout ce qui vient d’en haut. 

Quelles conséquences politiques et économiques peut avoir cette décision ? 

Sur le plan économique, cette relance de la crise sanitaire, rendue de toute façon inévitable par la progression inexorable du variant Delta sur le territoire français, ne peut manquer d’avoir des conséquences négatives. Cependant, elles seront très différenciées selon les secteurs d’activité.

Toutes les activités soumises à pass sanitaire risquent de subir une nouvelle baisse de fréquentation. D’une part, les personnes non vaccinées ne pourront pas y accéder en principe, et elles restent très nombreuses, surtout que ce ne sont pas les plus de 80 ans qui font tourner ces activités. D’autre part, les contrôles qu’il faudra en principe organiser à l’entrée de chaque lieu recevant du public peuvent rendre l’expérience-client particulièrement désagréable. Cela risque de provoquer par exemple des attentes pénibles. Le tout est alors de savoir si les contrôles seront effectifs ou non. Fera-t-on semblant, ou sera-t-on rigoureux ? Un grand centre commercial, comme la Part-Dieu à Lyon, avec son public très populaire, que va-t-il lui arriver ? Si l’on fait semblant, c’est bon pour le commerce. Si l’on est rigoureux, cela risque de décourager toute une partie de la clientèle. 

Par ailleurs, il va y avoir des gagnants à cette opération, les mêmes que depuis 2020 : les sociétés de livraison de repas, les vendeurs sur Internet, les services de vidéo à la demande. Il est en effet désormais possible de vivre, pourvu d’avoir quelque argent à dépenser, sans passer par les fourches caudine du pass sanitaire. Surtout, cela va renforcer l’attrait pour tous les lieux de vie au cœur de la ruralité. Pourquoi rester en ville en effet ? Tous les loisirs y sont devenus plus compliqués, les contrôles permanents. Il vaut mieux s’installer à la campagne, et y télétravailler si possible.  

Sur le plan politique, et pour la population en général, tout dépendra de la suite de l’épidémie. En effet, il ne vous aura pas échappé qu’Emmanuel Macron a déjà annoncé le retour du couvre-feu dans deux DOM, et il a fixé un seuil de 200 cas/100000 habitant pour un retour de mesures plus restrictives au niveau local. Les départements de métropole ne sont donc pas à l’abri d’un retour de formes plus ou moins dures de confinement. Ce retour des couvre-feux et autres autorisations de sortie risque d’être assez mal perçu par la population. 

Ensuite, il faut se rappeler que l’opposition à la vaccination est particulièrement forte dans les classes populaires. Elle résulte essentiellement d’un manque de confiance dans les élites et la science. Elle se comprend facilement si l’on se rappelle que, du point de vue des classes populaires de notre pays, toute l’évolution positive que les élites politiques et économiques se sont vantés d’avoir mis en place depuis les années 1970-80 en adaptant la France à la globalisation, ne leur a profité en rien.  Le raz-de-marée d’absentions des dernières élections régionales, si marquée chez les classes populaires et les jeunes, n’en est qu’une nième illustration. Que va-t-il se passer de ce point de vue ? Dans un premier temps, sans doute, rien. Peut-être des conflits localisés dans certains établissements de santé ? Dans un second temps, quand l’obligation va devenir plus générale, Macron risque la montée en puissance d’un mécontentement du type Gilets jaunes. Il risque de fracturer encore une fois le pays sur une ligne de classe. Ce sera le « bloc bourgeois des vaccinés » contre le « bloc populaire des non-vaccinés ». 

Dans cette allocution Emmanuel Macron est passé de la question du Covid à celle des réformes ; notamment celle des retraites, il a annoncé un été de vigilance avant un avenir serein. Les quelques annonces faites permettent-elles vraiment de croire à cela ? 

Mon interprétation, pas très originale j’en conviens aisément, est qu’il prépare habilement son entrée en campagne pour l’élection de 2022. 

Il dit clairement qu’il fera la réforme des retraites si la situation pandémique le permet. Si la France, grâce à la vaccination accélérée par les annonces de ce jour, connaît une rentrée 2021 normale, E. Macron fera donc « sa » réforme des retraites, dont on comprend qu’elle sera en fait la même qu’en 2020. Il a en effet allusion de nouveau à la fusion de tous les systèmes de retraite en un seul, et il a entendu faire cela de manière très étalée, soit exactement ce qui était prévu en 2020 avant la pandémie. Il aura alors de son point de vue à la fois vaincu l’épidémie et réformé le pays.  Il aura donc un bilan parfait pour se représenter, et il étouffera tout candidat de droite.

Si l’épidémie reste hors de contrôle pendant tout l’automne 2020, il aura beau jeu d’expliquer lors de la rapide campagne du printemps 2021 qu’il n’a pas pu faire cette grande réforme à cause de la pandémie. Il se dédouanera ainsi auprès de l’électorat de droite, et là il n’étouffera pas le candidat de droite sur ce point, mais il pourra au moins espérer de l’indulgence de la part des électeurs les plus en attente d’une telle réforme de la (future) retraite des autres, à savoir les actuels retraités.

Notons tout de même qu’il réitère sa volonté de réforme l’assurance-chômage au 1er octobre. Cette volonté correspond au fait que, pour l’instant, aucune grande mobilisation n’a pris sur ce sujet, contrairement au sujet des retraites. Il a tiré la leçon des faibles mobilisations sur le sujet au cours du printemps dernier. Là encore, c’est l’électorat de droite conservatrice et âgé qu’il s’agit de ferrer définitivement. 

Au total, le plus inquiétant dans cette allocution, c’est l’incapacité, ou l’absence de volonté, de la part d’Emmanuel Macron de prêter la moindre attention aux attentes des classes populaires de ce pays, tout en ayant tous les moyens d’information de l’Etat à sa disposition pour en être informé. On rejoue du coup la même scène depuis 2017. 

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