Gouvernement secret : ces lois dont on ne parle jamais et qui façonnent pourtant profondément nos quotidiens<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreuses lois sont votées sans faire parler d'elles.
De nombreuses lois sont votées sans faire parler d'elles.
©THOMAS COEX / POOL / AFP

Passion Journal officiel

Les débats médiatiques comme politiques se déploient essentiellement sur un petit nombre de sujets ultra-visibles car très "grand public" mais les fractures de la société française et les projecteurs braqués sur ces thématiques bloquent bien souvent leur avancée. Chaque année sont pourtant votées des lois importantes dans l'indifférence générale. Petit bilan du volet inaperçu du quinquennat Macron.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Les débats médiatiques comme politiques se déploient essentiellement sur un petit nombre de sujets ultra-visibles car très "grand public" que sait-on concrètement de leur mise en application ? A quel point ces votes sont-ils symboliques ?

Benjamin Morel : Quand l’on parle de loi symbolique, on prend souvent en exemple la loi de 2007 sur les chiens dangereux. Un cadre législatif antérieur existait, il pouvait être opportun de le faire évoluer à la marge en utilisant un véhicule législatif adéquat. Toutefois, pour répondre à un fait divers qui avait enclenché un débat médiatique, Nicolas Sarkozy voulait qu’une loi soit votée. L’exemple demeure intéressant plusieurs années plus tard, car il montre, jusqu’à la caricature, que l’impact politique d’une loi est décoléré de son influence sur la société (on parlait alors de 30 décès en 20 ans, dont il n’est vraiment pas certain que les dispositions de la loi puissent les épargner à la société). Le poids d’une loi paraît lié à sa synchronie avec l’actualité. Cela a une conséquence sur la manière dont sont faites les lois et sur la façon dont elles sont appliquées. Pour ne pas manquer une fenêtre médiatique, il faut que la loi soit votée, vite. La quasi-totalité des lois est ainsi votée après déclenchement de la procédure accélérée qui lève les délais de réflexion permettant aux parlementaires de travailler sur les textes, et supprime la navette qui permet de les améliorer. Comme les lois doivent répondre à l’actualité, on a toujours l’impression qu’elles sont votées trop lentement. Or le délai moyen pour voter une loi est de 149 jours en France, 156 jours en Allemagne et 400 jours aux Pays-Bas. Quand l’on dit vouloir aller vite, on fait voter une loi d’habilitation. Cette dernière doit permettre au gouvernement jugé plus rapide et efficace que les palabres parlementaires d’intervenir dans le domaine de la loi par des ordonnances (des actes gouvernementaux ayant valeur de loi). Or le délai moyen de prise d’une ordonnance est de 455 jours…

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Par ailleurs, le vote d’une loi n’est pas suffisant pour la rendre applicable. La plupart du temps, il faut qu’elle soit complétée par des décrets d’application. Pendant longtemps, ils pouvaient mettre beaucoup de temps à paraître… voire ne jamais paraître. La jurisprudence administrative a poussé le politique à agir et à mettre en place un agenda de parution sur 6 mois. Par ailleurs, si la loi est mal rédigée la plupart du temps elle est inapplicable. Du coup, soit elle n’est pas en fait pas appliquée, soit sa substance lui est donnée par le juge lorsqu’advient un contentieux. On a donc des lois qui, soumises à la tyrannie de l’instantanéité, sont mal faites, car trop rapidement faites. Du coup soit le Parlement cède le pouvoir à l’administration, qui rédige les décrets, ou au juge, qui interprète le flou, soit on se rend compte deux ans plus tard qu’il faut refaire une loi…

Parallèlement, des lois sont votées dans l'indifférence générale. Lors du quinquennat Macron y a-t-il des exemples de lois qui ont changé le quotidien des Français sans susciter de fort débat médiatique ou politique ?

Disons qu’il y a des degrés divers de médiatisation. Si vous faites une loi sur la Justice ou la sécurité, vous aurez plus micro-ouvert que si vous faites une loi économique… Au début du quinquennat, on note par exemple un gouffre entre le traitement de la loi Asile et Immigration et celui de la loi Egalim. Or cette dernière porte sur un sujet central pour le pays qui est l’avenir de son agriculture. Tant en matière d’alimentation, donc de santé, que de souveraineté ou de balance commerciale, les conséquences de ce sujet sont gigantesques. De même en va-t-il de la loi ÉLAN, qui permet des atteintes importantes au patrimoine. Si elle avait été en application dans les années 60, le Marais à Paris aurait sans doute été rasé… avec une bonne partie du centre historique de nos villes. L’un de mes sujets de prédilection est les questions territoriales. Le gouvernement a fait voter au printemps dernier une loi organique relative aux expérimentations. Cela peut paraître technique, et pas du tout vendeur, mais on met en place un principe de différenciation. Cela implique que la loi ne sera pas la même pour tous les citoyens selon les différents territoires. Ce n’est pas rien, c’est la mise à la poubelle d’un, si ce n’est le, principe fondamental de la Révolution française… ce n’est ni jacobin, ni girondin, ni même républicain… c’est ce qui marque la fin d’une société de privilège (des ordres ou des provinces) lors de la nuit du 4 août 1789… on revient là-dessus, dans l’indifférence générale. On s’est battu sous la Révolution pour ce principe. La Restauration n’a pas osé y toucher. Au XXIe siècle, aucun débat médiatique. Si l’on reste dans la thématique, le vote de la loi relative à la collectivité européenne d’Alsace nous entraîne sur une voie de décentralisation à géométrie variable sur les modèles espagnol et britannique. Pas sûr qu’il s’agisse d’exemples à suivre alors que l’Écosse et la Catalogne sont au bord de la rupture. Pas de débat non plus. Ensuite lorsque les Français ne vont pas voter aux élections locales, on s’étonne. On pleure. On s’attaque aux politiques coupables d’avoir parlé de justice et de sécurité alors que ça ne figure pas vraiment dans les compétences de la région ou du département. Certes, mais lorsque vous remettez en cause un principe fondamental issu des Lumières et de la Révolution, la presse s’en moque… alors, imaginez si vous faites campagne sur les schémas régionaux d’aménagement et de développement… Ensuite, là aussi on pleurera sur le fait que l’aménagement dysfonctionnel du territoire a fait émerger les gilets jaunes.

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Ce n’est par ailleurs pas seulement affaire de textes qui passent sous les radars. Bien plus souvent, ce sont des dispositions essentielles qui sont juste éclipsées par d’autres. Dans la loi Sécurité globale, nous avons eu le droit à une exégèse sans fin de l’article 24 (qui témoigne surtout de cette tendance à rédiger des lois rapidement et avec les pieds), mais d’autres dispositions interrogent. La loi accorde ainsi une beaucoup plus large possibilité pour des agents privés d’intervenir sur la loi voie publique. C’est quand même un sujet. La modernité s’est construite sur la monopolisation par l’État de la force légitime. On ouvre en France la voie à une privatisation de la sécurité sur la voie publique. Sommes-nous prêts à être contrôlés et fouillés dans la rue par des agents de sociétés privées qui n’appartiennent ni à la police ni à la gendarmerie ? C’est une question fondamentale… que personne dans le débat public n’a posée. Je vous fais une liste des dispositions pour le moins problématiques passées sous les radars. Mais l’inverse est aussi vrai. Qui en dehors de la presse spécialisée a parlé vraiment de la participation des salariés telle qu’elle était envisagée dans la loi PACTE ? Or on a là quelque chose de très important pour repenser le rôle et le sens du salariat.

Le fait que des lois importantes soient votées sans être très médiatisées participe-t-il d’une certaine défiance vis-à-vis du pouvoir ? 

Difficile de considérer la réalisation d’une enquête sur ce sujet, mais il semble très probable que cela y participe. Beaucoup de Français se sentent dépossédés de leurs choix alimentaires et se tournent vers des gourous ou s’abreuvent au marketing des distributeurs… mais leurs représentants en discutent pourtant encore récemment dans le texte Egalim 2 ! Les Alsaciens ont peu voté aux dernières régionales. Toutefois quand on leur a demandé leur avis sur la fusion des départements en 2013, le non l’a emporté par référendum. La collectivité européenne d’Alsace s’est pourtant imposée, par la loi, sans débat, moins d’une décennie plus tard. Quand un maire se trouvant habité par l’esprit de Ceausescu trouvera intéressant de raser un quartier historique qu’il aura laissé dépérir pendant des décennies jusqu’à le faire tomber dans l’insalubrité, pour le remplacer par des blockhaus de béton, que dira-t-on ?

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Ce n’est toutefois qu’un aspect du problème. En effet, il ne faut pas penser que le débat sur des lois aux thématiques très médiatisées donne un sentiment d’investissement démocratique. La loi telle qu’on la conçoit depuis le XIXe siècle est l’héritage à la fois du positivisme français et de l’utilitarisme anglo-saxon. Elle est conçue comme un instrument d’ingénierie sociale. Elle est ce par quoi le politique agit sur la société qu’il prend le soin de connaître pour mieux l’orienter pour le bien du plus grand nombre. C’est à la même époque que l’on voit se développer la statistique ou les sciences sociales justement à dessein de donner des instruments permettant au législateur de connaître, pour agir. La loi est donc l’instrument par lequel le souverain agit sur lui-même et sur son destin. L’épuisement démocratique survient quand les lois se succèdent sur un même sujet sans que le réel n’en soit réellement affecté. Bref, quand l’instrument est cassé. Prenons la question de l’insécurité, médiatiquement payante s’il en est. Emmanuel Macron vient d’annoncer une loi de programmation qui ne pourra pas être votée avant la fin du quinquennat. Pour un citoyen distrait, ni professionnel du domaine ni particulièrement versé dans l’agenda parlementaire, annonce présidentielle vaut toutefois solution apportée aux problèmes. La frustration va donc être grande. Avant ce projet, il y a eu en moins d’un an la loi Sécurité globale et la loi contre le séparatisme… toutes concourent à apporter des réponses à certains aspects du problème de la sécurité. Voter une loi ne coûte pas cher et, on l’a dit, malgré les a priori, est plutôt rapide. Dans une société qui croit en la performativité des textes de loi, c’est à court terme très payant. Chaque gouvernement a présenté sa loi qui était censée résoudre les problèmes d’insécurité. Il est évident qu’en la matière non seulement lesdites lois n’ont rien résolu, mais que la situation a empiré. La solution serait donc une nouvelle loi portée par un nouveau gouvernement encore plus courageux et grandiloquent. Cela crée un épuisement démocratique. Les problèmes relatifs à l’insécurité ne sont pas d’abord législatifs. Ils sont surtout budgétaires (quels moyens pour la police et la justice) et diplomatiques (comment tordre le bras à quelques États amis qui vivent du trafic de stupéfiants). Changer résolument de politique en la matière interroge peut-être et surtout les cadres constitutionnels et surtout conventionnels (notamment le droit de l’Union et la Convention européenne des droits de l’homme). Il est quand même plus simple de proposer une nouvelle loi, fût-elle de pur toilettage législatif ! Quand aujourd’hui Michel Barnier après s’être échiné à défendre la primauté du droit de l’Union dans le cadre du Brexit propose de la suspendre en France, il n’est évidemment que peu crédible. Il saisit toutefois quelque chose d’essentiel. La corde est usée et proposer une nouvelle loi sur ces sujets ne dupera sans doute plus grand monde.  

À trop être utilisé comme instrument politicien, la loi est galvaudée ce qui entraîne un sentiment de dépossession. Les sujets trop médiatisés donnent le sentiment que la loi ne peut rien. Les sujets peu médiatisés donnent aux citoyens qui n’ont pas eu vent des débats le sentiment d’en avoir été écartés. La crise de notre démocratie est donc, aussi, en partie, une crise de la loi. 

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