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Parité : cette course à la complémentarité hommes/femmes qui pourrait bien accentuer les stéréotypes
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Fausse bonne idée

Le nouveau gouvernement dirigé par Jean-Marc Ayrault affiche une parité parfaite : 17 hommes et 17 femmes. Mais cette course à la complémentarité, bien qu'empreinte de bons sentiments, n'est-elle pas contre-productive ?

Antoine  de Gabrielli

Antoine de Gabrielli

Antoine de Gabrielli est dirigeant de Companieros, fondateur de l'association Mercredi-c-papa et initiateur du projet Happy Men. Blogueur sur la question de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes (www.mercredi-c-papa.com), il est également membre de la Commission égalité professionnelle du Medef, de la Charte de la Diversité, de l'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et du Club XXIème siècle qui œuvre pour l'intégration républicaine. Suivez Antoine de Gabrielli sur Twitter : @happy_men_fr ou @adegabrielli 

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Fondée sur une approche différentialiste, la mise en valeur de la complémentarité entre hommes et femmes au sein des organisations n’est pas sans risque : cette argumentation peut en effet contribuer, de manière assez perverse, à accentuer les stéréotypes et préjugés qu’elle souhaite combattre, à l’opposé de l’effet recherché.  En cela, nous pensons qu’elle constitue une fausse bonne idée, biaise le débat, et qu’enfin fait entrer par la fenêtre ce qu’on avait fait sortir par la porte.

A titre d’exemple, on peut lire ici ou là que : « La femme a un très beau potentiel relationnel, elle est plutôt dans la conviction que dans «  l’imposition ». Le leadership au féminin s’inscrit davantage dans l’humain et l’équilibre. C’est la complémentarité qui permettra l’efficacité dans les entreprises. »[1]. Ou encore : « La femme veut aller de l'avant, est plus habitée, plus passionnée, moins cynique et est capable d'obtenir une forte adhésion… Ce n'est pas un animal politique à sang froid, comme l'homme. Elle est beaucoup plus concrète, portée sur les résultats. Elle est fidèle, loyale et intègre envers l'entreprise, contribue à faire grandir les leaders… » [2]. Avouons-le : la puissance des stéréotypes sur les hommes et les femmes, profondément inscrits dans notre culture, font que ces propos n’étonnent que rarement et apparaissent le plus souvent comme de louables tentatives d’ouvrir une plus grande place aux femmes dans les organisations.

Pourtant, à vanter la sensibilité des femmes et leur plus grande attention aux autres (« potentiel relationnel, moins cynique »), ou leur compétences d’exécution (« concrète, fidèle, loyale et intègre »), on pourra contribuer, sans le vouloir, à justifier leur concentration dans les services de communication et de relations humaines. Ou dans des postes subalternes. Ou encore à expliquer leur rareté au sein des directions opérationnelles, financières, de la stratégie ou du produit et plus généralement aux postes à hautes responsabilités et forte image. La notion de complémentarité, en voulant reconnaître aux femmes des qualités professionnelles spécifiques, aboutit souvent à un nouveau sexisme, qui, s’il est généralement bienveillant comme le note Brigitte Grésy [3], n’en est pas moins encore et toujours un sexisme, certes moins visible, mais plus subtil et donc peut-être plus dangereux que celui qu’il souhait abolir.

L’ambivalence de cette notion de complémentarité peut aussi se rencontrer dans la promotion d’autres diversités, comme par exemple la diversité sociale ou des origines. Dans ce domaine, on peut en effet facilement adopter, sans y prendre garde, un discours qui tangente la condescendance sociale ou le racisme. De la même manière, en cherchant à valoriser l’apport des seniors, nous pouvons aboutir à ne leur réserver que des emplois de transmission, ou d’accompagnement, les écartant sans le vouloir de postes à fortes dynamiques personnelles, de même pour le handicap, l’orientation sexuelle, etc.

Ce rapide tour d’horizon de la complémentarité montre qu’aborder la diversité en valorisant les comportements spécifiques attribués à une catégorie de personnes est un terrain glissant, notamment en matière d’égalité professionnelle homme-femme.

Nous pensons que si la diversité est un bien en soi, par le brassage de cultures, d’expériences et de perceptions qu’elle amène, l’argument de la complémentarité entre catégories de personnes peut au contraire être contre-productif, car il stigmatise les comportements et enferme les individus dans les représentations. En souhaitant lutter contre les discriminations, il peut renforcer les stéréotypes et les préjugés. Il s’oppose à la prise en compte de la singularité de chacun, sur laquelle s’appuie toute véritable lutte contre les discriminations. Il fait fi des compétences, qui fondent d’abord et avant tout l’appartenance à une organisation. Il ne contribue pas à rendre les entreprises plus efficaces, mais reproduit, en les déplaçant sans les modifier fondamentalement, les barrières sexistes à un égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités.

Anne Lauvergeon ne dit pas autre chose quand elle déclare au Figaro Magazine que « Il n’y a pas, selon moi, de façon typiquement féminine ou masculine de conduire une société. Chacun donne le meilleur de soi pour atteindre ses objectifs. ».

Nous pensons préférable de se concentrer sur la notion de « lutte contre les discriminations », plus concrète et opérationnelle. Pour lutter contre les discriminations, nous n’avons pas besoin de la notion de complémentarité. La lutte contre les discriminations s’appuie sur la loi, et sur le bénéfice qu’une organisation retire à éliminer les barrières à l’expression des compétences. En somme, elle demande à supprimer tous les plafonds de verre, pour toutes les personnes dont les compétences ne sont pas reconnues en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.


[1] Alix de Saint Denis, interview Les Echos « Femmes et hommes leaders, une complémentarité durable pour les entreprises » 20/02/12

[2] Helena Foures, Interview Les Echos « Le leadership féminin est une richesse pour l'entreprise » 13/12/2010

[3] Brigitte Grésy, « Petit traité contre le sexisme ordinaire », Albin Michel

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