Glyphosate : la France en position d'arbitre de l'avenir de l'agriculture européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Vingt-Sept doivent se prononcer ce vendredi 13 octobre sur le renouvellement pour dix ans de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne, sous conditions.
Les Vingt-Sept doivent se prononcer ce vendredi 13 octobre sur le renouvellement pour dix ans de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne, sous conditions.
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Enormes enjeux

Aujourd'hui, 13 octobre 2023, le sort de la proposition de la Commission européenne de renouveler l'approbation du glyphosate pour une durée de 10 ans dépendra (provisoirement) du vote de la France. Avec cette proposition, c'est aussi l'avenir de l'agriculture et de la sécurité alimentaire européennes.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Atlantico : Les Vingt-Sept doivent se prononcer ce vendredi 13 octobre sur le renouvellement pour dix ans de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne, sous conditions. Quels sont les enjeux sur la question ?

André Heitz : « Le glyphosate, un herbicide unique en son genre », est la traduction de « Glyphosate: a once in a century herbicide », un article de Stephen O. Dukel et Stephen B. Powles, du Service de Recherches Agricoles du Département Américain de l'Agriculture de 2008.

Titre un peu problématique en anglais, car le glyphosate est un phénomène à cheval sur deux siècles. E il restera vraisemblablement un phénomène pendant très longtemps encore. 

C'est un herbicide total – qui vient à bout de la quasi-intégralité de la végétation indésirable. Et il est devenu sélectif avec l'avènement des OGM qui le tolèrent (variétés HT) ; c'est du reste à partir de ce moment là qu'il est devenu un totem à abattre par tous les moyens.

Il est systémique – pénètre dans la plante, mais aidé par des co-formulants. Il s'attaque donc aussi aux parties souterraines des plantes (alors que nous n'avons plus beaucoup d'herbicides à effet racinaire). 

Il peut être utilisé pour faire place nette dans un champ pour un semis qui peut avoir lieu dans les jours suivant son application.

Il bloque une voie métabolique qui n'existe que chez les plantes et les bactéries. Il a ainsi un excellent profil toxicologique et écotoxicologique. C'est du reste le constat, en résumé, de l'évaluation faite nominalement par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), en réalité par les experts de quatre États rapporteurs (France, Hongrie, Pays-Bas et Suède), suivis par les experts de l'EFSA et des 27 États membres.

Rappelons que le glyphosate a été disponible en France pour les utilisateurs non professionnels dans les jardineries et les supermarchés jusqu'à son interdiction pour cause de jusqu'au-boutisme « écologique ». Mais otons qu'il y a aussi un marché illicite sur Internet en direction des particuliers... Le produit est demandé !

Il est tombé dans le domaine public en 2000 et est maintenant disponible à très bas coût... et donc également utilisé à grande échelle à ce titre. 

Il est plutôt résistant aux résistances acquises par des plantes cibles. La littérature militante abonde sur les cas de résistance – notamment de l'amarante de Palmer aux États-Unis d'Amérique qui aurait « stérilisé » des milliers d'hectares de terres arables ; mais les agriculteurs ne sont pas démunis dans ces cas (sauf si on leur vide la boîte à outils...), et les résistances se gèrent. En France, on a répertorié deux espèces seulement présentant ou ayant présenté des résistances dans des zones limitées (des ivraies, Lolium spp., et tout dernièrement le vulpin des champs, Alopecurus myosuroides, avec une détection en Haute-Saône).

Le glyphosate est aussi le fondement d'une « révolution écologique ». 

« Révolution Verte » est une expression attachée à la diffusion, initialement, à partir des années 1960, de variétés de blé à paille courte, beaucoup plus productives que les variétés traditionnelles, et à Norman E. Borlaug, « l'homme qui a sauvé un milliard de vies », prix Nobel de la Paix 1970.

Le glyphosate et John E. Franz, de Monsanto Co., qui le premier testa la molécule en tant qu'herbicide en 1970, n'ont pas eu ce genre de prestige. Et pourtant !

Le glyphosate a révolutionné la gestion des mauvaises herbes, que ce soit dans les champs, dans les espaces sensibles tels que les voies de chemin de fer et les sites industriels à protéger des incendies, les espaces publics tels que les trottoirs, et les jardins privés. Bien sûr, en France, jusqu'à la mise en vigueur des interdictions ou, comme dans le cas des voies de chemin de fer, des décisions devant faire plaisir aux autorités tenant les cordons de la bourse des subventions.

Cette première révolution s'appelle « agriculture de conservation » – en France, on ajoute « des sols »(ACS) –, un mode de culture qui supprime ou minimise les façons culturales (le travail du sol) et maintient une couverture permanente du sol grâce à des résidus de culture et, surtout, des couverts végétaux (plantes de service) entre deux cultures de vente.

Le bénéfice est immense en termes de protection de l'environnement, comme l'explique dans vos colonnes le spécialiste Gérard Rass dans « Ces nouvelles technologies venues des Pays-Bas pourront-elles permettre à l’agriculture d’améliorer puissamment son bilan environnemental ? »

Le glyphosate sert ici à détruire ou déprimer le couvert végétal avant le semis de la nouvelle culture de vente. Il est, certes, inutile quand la destruction se fait par le gel (quand il gèle... et gare aux plantes adventices résistantes...) et substituable par une destruction mécanique ou une combinaison d'herbicides différents. Mais cela a un coût en termes de temps et d'argent... et d'environnement. Et si le compte n'y est pas, adieu le bénéfice environnemental de l'ACS.

« Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » est une formule proverbiale inspirée de Sully. Aujourd'hui, on sait que le « labourage » est, sauf circonstances particulières, un désastre.

Les plantes génétiquement modifiées pour tolérer le glyphosate (et plus récemment d'autres herbicides) constituent une deuxième révolution écologique, n'en déplaise à l'activisme technophobe et « glyphystérique» selon l'expression de M. David Zaruk.

Le glyphosate facilite énormément la gestion des mauvaises herbes en cours de culture sur les OGM HT (herbicide tolerant), notamment en se substituant à des herbicides sélectifs qui ne seraient pas efficaces contre toute la flore adventice (et moins favorables sur le plan de la santé et de l'environnement). C'est ce que montre la photo ci-dessous du malherbologue Andrew Kniss, pour la betterave à sucre, un « client » très difficile. Avant, à gauche, après avec la betterave GM, à droite.

On ne s'étonnera donc pas que la très grande majorité des surfaces cultivées soient en variétés HT pour les espèces pour lesquelles elles existent dans les pays dans lesquels elles sont autorisées. En Europe, les agriculteurs n'ont pas accès aux variétés HT, le courage politique (et syndical) manquant pour démonter et surmonter les oppositions devenues idéologiques. En Inde, il y a un marché de contrebande pour le cotonnier HT ; la contrebande pour des produits qui ne sont pas demandés, ça n'existe pas !

Photo Source: USDA ERS

Les agriculteurs qui déploient des techniques plus classiques peuvent également bénéficier du glyphosate pour la préparation des champs avant les semis. Un traitement avec une rampe de 24 mètres, par exemple, c'est un passage au lieu de 10 avec un outil de travail superficiel du sol de 2,40 mètres ; à vitesse égale 10 fois moins de temps à l'hectare. L'herbicide, c'est du gazole consommé en moins, des GES émis en moins, de l'érosion liée aux façons culturales en moins, une vie du sol préservée...

Dans le cas des cultures pérennes comme la vigne, le glyphosate sert aussi à l'entretien des sols sur toute la surface ou seulement sur le rang.

Pour les agriculteurs – qui sont ici les premiers concernés – une interdiction du glyphosate signifie d'importantes pertes de productivité, voire la mise en cause de la pérennité de l'exploitation.

Cela ne signera certes pas la fin du monde. Mais la fin d'un monde et la réécriture de l'avenir de l'agriculture, mais aussi de la santé des sols et de notre environnement, selon des canons qui furent en vigueur au XXe siècle.

« Au Luxembourg, l'apprentissage douloureux d'une agriculture sans glyphosate », produit initialement par l'AFP, est une description très instructive des conséquences de la décision de bannir la commercialisation glyphosate à partir de janvier 2021 (retoquée par une décision de la Cour Administrative du 30 mars 2023).

Est-ce cela que nous voulons ? Surtout quand nous avons pris conscience, par ailleurs, de l'importance de la souveraineté alimentaire ? Et que nous sommes entrés dans un nouveau cycle inflationniste, particulièrement en matière alimentaire ?

Comment se prend la décision à Bruxelles ?

Le Règlement d’application … renouvelant l’approbation de la substance active glyphosate conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil et modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 de la Commission (notre traduction) a beau comprendre « de la Commission » dans son intitulé (à la place des points de suspension), il doit être adopté par les États membres.

Ceux-ci doivent voter ce 13 octobre (en principe) dans le cadre du ScoPAFF (Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale). Une double majorité est requise : 55 % des États membres (soit 15 sur 27) représentant 65 % de la population européenne doivent voter en faveur de la proposition, les abstentions étant comptabilisées avec les votes contre (on trouvera un simulateur ici).

Si le vote n'aboutit pas, un nouveau vote a lieu « en appel ». Et, en cas de nouvel échec, la décision revient à la Commission.

C'est la théorie... Le renouvellement de l'autorisation du glyphosate intervenu en novembre 2017, pour cinq ans, après des tractations sous la forme d'enchères descendantes, a montré que l'on pouvait manœuvrer avant d'obtenir la décision finale.

Le poids de la France pèse-t-il dans les négociations au niveau européen ?

Beaucoup de pays n'ont pas donné de signal, ou de signal clair, sur leurs intentions.

La majorité des États membres (15 sur 27) devrait être acquise si l'on considère les votes précédents (ceux qui ont abouti à la prolongation de cinq ans de 2017 et celui qui a été rendu nécessaire par l'extension d'un an du délai d'évaluation par l'EFSA à la suite des nombreuses contributions reçues du public – lire : ONG).

Mais, dit-on, les prévisions sont hasardeuses, surtout si elles concernent l'avenir !

D'après ce que nous savons, cinq pays devraient s'abstenir ou voter contre, pour un total de 27,30 % de la population : l'Allemagne (coalition « feux tricolores » ayant acté la sortie du glyphosate dans son programme), l'Autriche (conformément à une décision prise en 2017 par la commission des affaires européennes du Parlement), la Belgique (abstention compte tenu de divergences entre gouvernements fédéral et régionaux, mais ce ne serait pas encore sûr, selon Euractiv), le Luxembourg et les Pays-Bas (abstention parce qu'il s'agirait d'un gouvernement intérimaire, en réalité parce que c'est une patate chaude à un mois des élections à la deuxième chambre).

D'autres s'adjoindront sans doute à cette liste. Mais il faudra sans doute l'apport de la France (15,16 % de la population) pour franchir la barre des 35 %. Cela explique l'intense activisme déployé en France pour peser sur le gouvernement en faveur de l'interdiction du glyphosate.

Quelle est la position de la France ?

La position française est très lourdement affectée par la déclaration intempestive et irréfléchie du Président Macron du 27 novembre 2017 annonçant une sortie du glyphosate dès que des alternatives  auront été trouvées et au plus tard dans un délai de trois ans.

Cela a suscité des oppositions supplémentaires au glyphosate, y compris dans son propre camp. Sans surprise, il y a eu des déclarations à hue et à dia de membres du gouvernement. La dernière déclaration, rapportée par France Info sous le titre : « Glyphosate : Olivier Véran veut "supprimer totalement et de manière générale les pesticides dont on suspecte un rôle négatif sur la santé" » est une merveille de haute voltige. C'était le 10 octobre 2023...

La position n'est toujours pas claire dans le pays du « en même temps », à voir la formidable agitation sur les réseaux sociaux – y compris avec des méthodes indignes comme l'instrumentalisation d'un jeune homme atteint d'une grave malformation congénitale et une description manifestement fausse (corrigée ici) de l'avis du Fond d'Indemnisation des Victimes de Pesticides.

Dans un premier temps, la France a voulu imposer à Bruxelles des restrictions à l'utilisation du glyphosate correspondant à celles qu'elle a introduites sur le sol national. Il s'agissait d'éliminer une distorsion de compétitivité auto-infligée. Pour rétablir l'équilibre, péjorons aussi les conditions de l'agriculture chez les autres ! Il existe, paraît-il, des alternatives qui sont « sans inconvénients économiques ou pratiques majeurs »... parole d'organisme de recherche très obséquieux vis-à-vis du gouvernement.

Aux dernières nouvelles – selon des acteurs semblant bénéficier de fuites – la France plaiderait pour un renouvellement de sept ans.

Si la proposition trouve gré auprès de la Commission et de la majorité des États membres, cela ouvrirait la voie à la réautorisation, nos gouvernants pouvant revendiquer une victoire.

« Il faut une solution scientifique rationnelle, on est en train de la développer, on est en train de la mettre en place », a déclaré M. Olivier Véran ? Non ! On est en train, comme dans d'autres États membres, de rechercher le moins pire des positionnements politiciens et démagogiques.

Quelle est la genèse du débat sur le glyphosate en France ? Pourquoi a-t-il pris une telle tournure ?

Il faudra un jour analyser ce véritable effondrement obscurantiste sur le plan historique et sociologique. Comme déjà dit, le glyphosate est devenu un totem à abattre, par tous les moyens et quoi qu'il en coûte. Et pas qu'en France.

Mais, chez nous, il y a eu une extraordinaire convergence de discours et de manœuvres activistes (y compris, hélas, dans la recherche), médiatiques et politiques.

Voyez le dernier assaut qui a instrumentalisé de manière indigne un jeune homme atteint d'une malformation congénitale. Selon un journal, dit de référence et menant une politique éditoriale très critique de l'agriculture qui nous nourrit, le lien avec le glyphosate a été établi par une commission d'indemnisation. En fait, celle-ci n'a retenu que « la possibilité de lien de causalité » en rapport avec « la profession de la maman », l'exposition professionnelle aux pesticides (le glyphosate n'est pas nommé) « bien que limitée [étant] possible ». Mais bien des journaux, et au moins deux journaux télévisés, se sont engouffrés dans la brèche, sans recul ni esprit critique.

Hélas aussi, il y a une quasi-absence de réponses rationnelles. D'ailleurs, à quoi servent-elles ? L'analyse circonstanciée de Mme Géraldine Woessner dans le Point ne sera pas reprise par des médias devenus paresseux et complaisant.

Après l'indigent Envoyé Spécial de janvier 2019 (auquel le CSA n'avait rien trouvé à redire et qui, du reste, avait aussi instrumentalisé Théo...), elle avait aussi écrit un « Preuve à l'appui : les glyphotests sont bidon ! ». Écho médiatique ? Au mieux très limité. Mais les « pisseurs de glyphosate », ayant utilisé le même test mis en œuvre par un laboratoire... vétérinaire allemand, bénéficieront par la suite d'un écho considérable. La campagne est tombée en capilotade – et le site internet dédié a été supprimé –, et personne n'en parle...

Et, encore hélas, il y a ce tweet hâbleur du président Macron...

La position de la France est-elle bien perçue auprès des agriculteurs français ?

On peut imaginer sans peine la réponse des agriculteurs qui ont fondé leur système de culture sur le recours au glyphosate, que ce soit en traditionnel ou en agriculture de conservation des sols.

La Confédération Paysanne a pris fait et cause pour les démolisseurs de l'agriculture qui nous nourrit. C'est du reste un des acteurs importants des Soulèvements de la Terre...

La Coordination Rurale dit que la France doit suivre l'avis de la Commission européenne. Mais au-delà des communiqués de presse...

La FNSEA ? Inaudible et manifestement traversée par des courants de pensée divergents. Mon moteur de recherche me dit qu'elle « est favorable à une ré-autorisation limitée du glyphosate pour une durée de 3 à 5 ans, le temps de trouver des alternatives efficaces ». Et pour les alternatives efficaces, il cite le désherbage mécanique, thermique et « chimique alternatif ». Bref, c'est le cauchemar pour un esprit rationnel.

Et Bing conclut : « Il convient de noter que la FNSEA considère que le glyphosate reste un outil important pour les agriculteurs et qu'il ne doit pas être interdit sans alternative crédible. »

Des alternatives moins efficaces, plus chères, moins favorables à la santé des sols et à l'environnement... mais si l'État – c'est à dire le contribuable – compense par des aides et subventions... tout ira bien.

Dans l'assourdissant silence actuel, il y a tout de même des sections qui se démènent, en particulier la Fédération Régionale du Centre-Val-de-Loire.

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