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Glyphosate : l’incroyable manque de rigueur scientifique d’Envoyé Spécial
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Fake news

La dangerosité du Glyphosate continue de faire débat, bien que quasiment toutes les agences d’évaluation des risques sont du même avis : cet herbicide est relativement peu toxique, n’est pas un perturbateur endocrinien et n’est pas cancérogène, en conditions normales d’utilisation.

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

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Atlantico : Le débat sur le glyphosate continue de faire couler beaucoup d'encre. Comment se fait-il que les différentes agences qui évaluent la dangerosité du glyphosate n'en arrivent pas à la même conclusion ?

Marcel Kuntz : En réalité, toutes les agences d’évaluation des risques sont du même avis : cet herbicide est relativement peu toxique, n’est pas un perturbateur endocrinien et n’est pas cancérogène, en conditions normales d’utilisation. Toutes sauf une : le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui est connu pour publier des classifications de diverses substances, d’aliments et même des environnements professionnels. En mars 2015, le CIRC a classé le glyphosate comme « cancérogène probable ». Sachant que la viande rouge est dans la même catégorie, et que manger un steak n’entraine pas un cancer..., on comprend aisément que c’est l’abus qui peut être dommageable. On pourrait donc envisager que le CIRC évalue ce qu’une substance peut faire (dans des conditions extrêmes) et que les autres agences évaluent ce qu’elle fait réellement (dans la vraie vie).

Mais ce n’est pas la version défendue par le CIRC. Une personne qui semble avoir joué un rôle important dans l’élaboration de l’avis du CIRC s’est transformée en voyageur de commerce pour vanter le seul avis du CIRC, en mettant en cause le travail des autres agences, et en essayant de convaincre les décideurs politiques d’interdire le glyphosate. L’affaire prend encore un tour plus étonnant dans les courriels que la presse a nommé les « Monsanto Papers », supposés montrer des turpitudes de cette entreprise. En fait, ces documents - que peu de monde ont réellement consultés - révèlent que ladite personne était en contact avec un cabinet d’avocats et a signé, après publication de l’avis du CIRC, un contrat juteux pour conseiller ces avocats prédateurs qui incitent des malades à porter plainte en accusant le glyphosate sur la base de… la classification du CIRC ! En espérant bien sûr toucher un pourcentage important des indemnités allouées par la justice. On ne peut que souhaiter que les pouvoirs publics diligentent une enquête afin de clarifier les conditions dans lesquels le CIRC a travaillé.

D'où viennent les vrais problèmes qui concernent aujourd'hui le glyphosate (épandage, etc.) ?

Le glyphosate est un excellent herbicide, donc prisé des agriculteurs et des jardiniers. Ses qualités entrainent un usage important (c’est l’herbicide le plus utilisé, y compris en France). Dans un monde idéal on disposerait de plusieurs molécules aussi efficaces, afin de procéder à des « rotations », ce qui diminuerait sa présence dans l’environnement. Mais ce n’est pas le cas. Ce qui explique les difficultés pour s’en passer complètement. Cet herbicide est aussi utilisé dans des itinéraires techniques visant à préserver les sols en évitant ou réduisant le labour (agriculture de conservation).

C’est ainsi son succès qui est le principal problème du glyphosate ! L’autre problème est qu’il est depuis longtemps un des « méchants » que l’écologie politique et ses militants aiment détester… Ils ont depuis longtemps visé le glyphosate et ont redoublé de désinformations après l’avis du CIRC. Nicolas Hulot, ministre, a contribué à cet acharnement idéologique.

L'opinion désigne le glyphosate comme un poison aujourd'hui. Que dit la science sur le fonctionnement réel du glyphosate ?

L’opinion publique a tendance à se méfier de tout. On ne peut pas toujours lui donner tort… Mais il faut aussi écouter le consensus scientifique, et non pas uniquement les prêcheurs d’apocalypse. Mais c’est compliqué pour le public, car des scientifiques participent aussi au business de la peur. Il n’y a donc jamais unanimité des scientifiques sur un sujet aussi politisé.

Néanmoins, on sait qu’une des qualités du glyphosate est de ne pas s’accumuler dans les graisses, donc dans les organismes comme peuvent le faire d’autres substances. En cas d’exposition, il peut donc être éliminé dans les urines. Ce que les groupes anti-pesticides exploitent à coups d’« études » médiatisées où les urines sont analysées. Sans préjuger de la sincérité ou non de ces études, et des doses rapportées, il faut comprendre que cela reflète une élimination du corps et non une bioaccumulation. Il est bien sûr prudent de minimiser l’exposition directe à toute substance, mais il ne faut pas croire que l’on s’empoisonne en mangeant.

Il faut aussi savoir que la détection de traces faibles est possible car on dispose aujourd’hui de méthodes extrêmement sensibles. De plus, c’est la dose qui fait le poison. Autrement dit, la simple détection d’une substance ne doit pas être interprétée comme synonyme de toxicité. Bien sûr les anti-pesticides tentent de formater l’opinion dans le sens inverse (simple détection = toxicité). Leur but est de peser sur le législateur pour faire interdire toutes les substances simplement en raison de leur détection, indépendamment de la dose. Et d’obtenir des condamnations par la justice sur de telles bases non-scientifiques, en dévoyant le principe de précaution.

Malheureusement, la puissance de propagation de fake news par l’écologie politique fait que nous allons tout droit dans cette régression de la connaissance. Et vers la destruction de pans entiers de l’économie.

Quel est votre ressenti sur le reportage « Glyphosate : comment s’en sortir ? » d'Elise Lucet diffusé le 17 janvier ?

Après un début équilibré (pour donner le change), le reportage a tourné au réquisitoire sans nuance contre le glyphosate et Monsanto. On connait la capacité de cette entreprise à endosser le rôle de « Grand Satan »… Pour autant, il est lamentable de ressortir la discréditée publication de Gilles-Eric Séralini au moment où les études financées à grand frais par l’Europe et la France viennent de confirmer l’absence d’effet toxique et de développement de tumeurs chez les rats dus au maïs OGM ou à l’herbicide. Les conclusions de Séralini étaient donc bien fausses, ce que de très nombreux scientifiques avaient déjà établi à l’automne 2012. Parler de complot de Monsanto pour discréditer, c’est vraiment racler les fonds de tiroir de la mauvaise foi !

Pour susciter l’émotion, le reportage n’hésite pas  à instrumentaliser des malades. Autant de cas exceptionnels regrettables, attribués sans preuve au glyphosate, alors que l’on ne saura sans doute jamais la cause exacte de ces maladies.  Au regard du nombre d’utilisateurs de ce produit de par le monde et de l’ancienneté de son utilisation (plus de 40 ans), pourquoi ne constatons nous pas une épidémie de grande ampleur ? Pourquoi un type de cancer aux USA, un problème rénal au Sri Lanka et encore un autre problème en France ? Si la cause était unique, on devrait trouver les mêmes problèmes partout.

Quant aux allégations de « copier-coller » de documents de Monsanto dans le rapport de l’institut allemande chargé de la réévaluation du glyphosate, elles ressortent périodiquement et cet institut s’est déjà expliqué en 2017 sur la procédure suivie (je renvoie le lecteur au blog et réseaux sociaux du Collectif Science-Technologies-Actions pour davantage de détails).

Comme d’habitude dans cette émission, les entreprises sont placées sous un jour entièrement défavorable et présumées coupables. L’instruction est exclusivement à charge, en ignorant tous les faits scientifiques ou techniques qui contredisent la thèse. Bien sûr, il est souhaitable d’avoir des contre-pouvoirs. Faut-il pour autant les exercer par des scenarii écrits à l’avance ? Est-ce vraiment cela la mission du prétendu « service public » ?

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