Gironde : des incendies sans précédent historique... ou pas ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pompiers prennent position alors que la fumée s'élève d'un incendie de forêt près de Louchats, à environ 35 km de Landiras en Gironde, le 18 juillet 2022.
Les pompiers prennent position alors que la fumée s'élève d'un incendie de forêt près de Louchats, à environ 35 km de Landiras en Gironde, le 18 juillet 2022.
©Philippe LOPEZ / POOL / AFP

Feux de forêt

La préfète du département a estimé que les feux en cours était "une première en Gironde, et même en France".

Emmanuel Garnier

Emmanuel Garnier

Emmanuel Garnier est directeur de recherche CNRS, UMR Chrono-Environnement-Université de Franche-Comté.

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Atlantico : Alors que les incendies font rage en Gironde, Le Monde consacre un long article à ces incendies « historiques ». Fabienne Buccio, préfète du département y déclare notamment « Deux incendies de cette ampleur et de cette virulence en même temps sur un département, c’est une première en Gironde, et même en France ». Est-ce véritablement le cas ? 

Emmanuel Garnier : Force est de constater qu’une telle affirmation a de quoi dérouter, sinon contrarier, l’historien du climat. Au-delà, elle traduit de manière magistrale ce processus de « rupture mémorielle » dont nos sociétés sont victimes depuis quelques décennies, leurs élites politiques et scientifiques comprises.

De facto, elle ignore totalement le sinistre précédent de 1949 au cours duquel notre pays vit les incendies se multiplier dans le Roussillon, le Gard, la Côte d’Azur, l’Aude la Saône-et-Loire et bien d’autres départements. Un tel phénomène était imputable à une répétition des années sèches et caniculaires qui touchèrent l’Europe de l’ouest dans les années suivant la seconde guerre mondiale, particulièrement les années 1945, 1947, 1949, 1950 et 1952. A titre indicatif, pour la seule année 1947, la France connut trois vagues de chaleurs successives avec une première flambée des températures très précoce, puisqu’elle intervint en juin, une seconde entre le 22 juillet et le 4 août (13 jours !) et enfin la dernière entre les 14 et 20 août (7 jours).

En matière d’incendies, la catastrophe fut absolue dans le courant du mois de juillet 1949 avec la survenue d’une des pires sécheresses du XXe siècle (déficit pluviométrique de 14%) avec celles de 1921 et 1976. Comme le titrait le journal Le Monde le 16 août 1949, « les départements de la Gironde et des Landes semblent être les plus éprouvés par les incendies de forêts », en énumérant les communes martyrs de Lartigue, Saint-Savin-de-Blaye, Arès, Martillac … . Comme bien souvent aujourd’hui, les départs de feux sont d’origine humaine. A Saucats, c’est une cigarette jetée dans l’herbe qui embrase un front de huit kilomètres dans la forêt des Landes, un massif forestier créé artificiellement au nom du « progrès » sous le règne de Napoléon III, en lieu et place des anciennes landes et marais de Gascogne. Les fumées peuvent alors être observées par les Bordelais et l’on évacue les colonies de vacances, tandis que les départs de feux se multiplient dans le département. Au total, les flammes dévoreront en Gironde près de 52 000 ha (contre 19 000 ha à ce jour), et tueront 82 personnes composées majoritairement d’héroïques pompiers, forestiers et militaires envoyés sur le front des incendies (Le Monde des 21 juillet 1949). Heureusement pour les autorités, la Gironde de l’époque n’accueillait pas encore les transhumances touristiques estivales massives que nous connaissons aujourd’hui et ne subissait pas non plus l’urbanisation galopante récente aux dépens des espaces ruraux. Il n’y eut donc pas d’évacuations massives comme ces derniers jours.

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Quels ont été les feux les plus intenses et meurtriers, historiquement ?

D’emblée, il convient de rappeler que l’incendie est un facteur de permanence historique, sachant qu’il est pratiqué depuis des millénaires par les sociétés rurales comme une « technique » à part entière pour améliorer les rendements agricoles grâce à la pratique de l’écobuage. S’y ajoutaient bien évidemment ceux causés par accident ou bien en raison d’aléas météorologiques (foudre) et qui pouvaient causés des catastrophes majeures de grande ampleur. Sait-on que les forêts du massif vosgien brulèrent dans les années 1810 durant des semaines ?

Plus proche de nous, et même s’il est bien risqué de tenter d’établir un hit parade des aléas incendiaires, on peut raisonnablement évoquer ceux du Var et des Alpes-Maritimes en 1970 que Le Monde qualifiait comme « les plus meurtriers que le Sud-Est ait connus » dans un papier du 6 octobre. Il coûta notamment la vie à la femme et aux quatre enfants de l’écrivain et rescapé des camps d’extermination Martin Gray. 

 Six ans plus tard, on passe à une autre échelle, nettement plus catastrophique encore puisque près de 80 000 ha de forêts disparaissent en France à la faveur de la terrible sécheresse qui sévit alors en Europe !

La canicule de juillet 1989 inflige aussi de sévères stigmates à la forêt avec plus de 10 000 hectares consumés dans le Sud du pays et en Corse, emportant au passage une partie importante des magnifiques forêts du massif de la Sainte-Victoire près de Marseille.

Bis repetita un an plus tard … . Une fois de plus, c’est la forêt méditerranéenne qui est en première ligne et qui paie un très lourd tribut estimé aujourd’hui à 23 000 hectares entre les 21 et 25 août 1990.

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A compter des années 2000, plusieurs sinistres majeurs interviennent, tous situés également dans la sud du pays avec les événements de 2003 (Maures et Estérel), 2009 en Corse (5 300 ha), août 2016 (4 800 ha), 2017 (7 000 ha) et enfin de 2017 avec près de 6 000 hectares de forêts brulés dans le secteur de Saint-Tropez.

A quoi peut-on attribuer cette erreur historique ? 

Avant toute chose, il importe de la replacer dans son contexte, à savoir celui du « nouveau monde » placé sous le diktat de l’immédiateté. Il résulte du refus de la complexité du monde, une tendance lourde qui a gagné nos sociétés au cours des deux dernières décennies, au profit de solutions et de déclarations (trop) rapides et « totales » visant à frapper, et donc à réduire, les esprits, quitte à tordre la vérité historique … . Il s’agit là d’un paradoxe de taille quand on sait que l’on n’a de cesse de dénoncer les « fake news » au nom de l’intérêt des citoyens. En faut-il une autre preuve ? Il suffit d’observer cette flambée sémantique qui a consumé certains médias il y a seulement une quinzaine de jours lorsqu’ils se sont emparés du terme « mégafeux » pour tenter d’en faire un nouvel élément de langage de la vulgate journalistique et politique. Pourtant, dans les faits, la notion de mégafeu, telle que définie par les pompiers et les scientifiques, ne correspondait aucunement à ce que l’on connaissait alors en France.

A l’heure du réchauffement climatique et de la multiplication des risques -notamment incendies - , y-a-t-il des leçons à retenir du passé ?

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Incontestablement, l’histoire fournit de multiples retours d’expériences dont nous pourrions utilement nous inspirer. Elle concerne notamment l’aménagement de nos territoires que nous avons systématiquement affaiblis en matière d’exposition aux risques en détruisant ces « fusibles » défensifs qu’étaient les haies, les milieux humides (mares, marais, prairies humides, tourbières etc.) et en construisant depuis plus d’un siècle des forêts peu résilientes. Dans son rapport de 2018, le comité Scientifique Régional AcclimaTerra de Nouvelle Aquitaine pointait déjà du doigt cette vulnérabilité en signalant que les landes de Gascogne avaient fait l’objet d’un assainissement et de reboisements massifs ayant donné naissance à une forêt totalement artificielle et peu résiliente parce que monospécifique. En un demi-siècle, l’ensemble du massif landais a vu ainsi sa superficie forestière passer de 130 000 à 843 000 hectares, dont 780 000 en pins à partir de plantations après labour du sol, résultant de semis génétiquement sélectionnés n’ayant plus grand-chose à voir avec le « vrai » Pinus pinaster d’origine. Si l’on y rajoute le manque d’entretien des parcelles boisées lié au morcellement foncier, l’essaimage urbain et la multiplication des sites touristiques au plus près de la forêt, nous pouvons dire que la vulnérabilité au feu a encore de beaux jours devant elle … .

Cela étant dit, et en rupture avec le discours ambiant, il convient aussi de rappeler que la tendance à l’échelle nationale est à la décrue du risque d’incendie. Le nombre moyen d'hectares de forêt incendiés est ainsi passé de 25 000 ha entre 1996 et 2005 à 8 800 entre 2006 et les dernières années. Ces bons résultats, et c’est à l’honneur de notre pays et de ses services de lutte contre les incendies, sont à mettre au crédit du développement des moyens de prévention fondés sur les données météorologiques, les guetteurs, le pré-positionnement des moyens de lutte et l’efficacité de notre flotte aérienne.

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