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Giorgia Meloni, au lendemain des élections législatives italiennes du 25 septembre.
Giorgia Meloni, au lendemain des élections législatives italiennes du 25 septembre.
©Andreas SOLARO / AFP

Les raisons d'un triomphe

Les écologistes italiens ont facilité la nomination de Giorgia Meloni à la présidence du Conseil des ministres italien et ont préparé le terrain pour animer les réunions du Conseil européen.

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Giorgia Meloni, qui a triomphé aux élections législatives italiennes du 25 septembre, devient la présidente du Conseil des ministres italien. Elle est la première femme à diriger un gouvernement italien et un parti de centre droit le dirigera pour la première fois depuis la naissance de la république.

Jeune, dynamique et atlantiste

Mme Meloni, qui a été la plus jeune secrétaire d’État italienne dans un gouvernement Berlusconi, est partie avec un parti discrédité par tous, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie). Seule membre de l’opposition pendant le gouvernement de Mario Draghi, elle a su surfer sur la vague du mécontentement italien et de la méfiance croissante envers les politiciens, ce qui s’est traduit par un taux d’abstention de 37 %. Dans les médias francophones, chaque fois que son nom est mentionné, le mot « fasciste » est associé d’une manière ou d’une autre, bien qu’ils prennent soin de ne jamais oser la qualifier de fasciste. Elle a déclaré que le fascisme est désormais « dans les livres d’histoire ». Giorgia Meloni est fermement atlantiste, tout comme Silvio Berlusconi, bien que Matteo Salvini soit plus ambigu. Elle défend fermement l’aide européenne et américaine à l’Ukraine. Il n’y a donc pas lieu de craindre pour l’ancrage historique de l’Italie dans l’OTAN. 

Une conservatrice sans complexe

Giorgia Meloni se revendique conservatrice : « Je me définis comme une Italienne, une chrétienne, une femme, une mère, pas un sexe X, pas un parent 1 ». Elle promet de défendre les valeurs traditionnelles de la famille italienne : « C’est notre identité et c’est pour cela qu’ils attaquent notre identité religieuse, notre identité de genre ». Les résultats du vote indiquent qu’au moins un quart des Italiens pensent comme elle. Fratelli d’Italia sont les deux premiers mots de l’hymne national italien de sorte que personne n’a osé critiquer ce choix bien que l’expression soit politiquement incorrecte puisqu’elle n’est qu’au masculin. 

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Sa victoire est également due à la volonté de mettre fin à l’émigration clandestine. Il faut être italien pour comprendre ce qui se passe à cet égard. Des collègues et des membres de ma famille qui ont toujours voté pour la gauche m’ont dit qu’ils ne le feraient plus, car elle refuse de voir l’énorme problème de l’émigration illégale. Le traité Dublin III, signé par le gouvernement d’Enrico Letta — ce dernier étant le principal adversaire de Giorgia Meloni lors des récentes élections — stipule que l’État de première arrivée du migrant est celui qui sera chargé de l’accueil et de la demande d’asile correspondante. Elle pénalise fortement l’Italie, car elle est la principale porte d’entrée des flux en provenance du Maghreb. Dans toutes les régions d’Italie, même les plus reculées, il y a des clandestins qui n’ont pas de travail. Quelques-uns d’entre eux finissent par créer de la méfiance envers les étrangers. Lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, Salvini a voulu bloquer l’arrivée quotidienne de centaines de migrants. Des juges — de leur propre initiative — l’ont dénoncé. Il a été acquitté, et la population ne l’a pas oublié.

Il y aura donc beaucoup d’agitation au Conseil européen à ce sujet. Par ailleurs, Ursula von der Leyen a osé dire que si les Italiens votaient mal, sa Commission pourrait prendre des mesures. En plus de la politique anti-migrants, Meloni et Salvini s’opposent aux décisions de l’UE sur les questions sociales que le Parlement européen aime aborder. Giorgia Meloni veut revenir à la situation d’avant le traité de Maastricht, comme les Britanniques, au marché unique. L’insistance de l’UE sur les questions éthiques rencontrera donc une forte résistance italienne à Bruxelles. 

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Meloni est Première ministre parce que la gauche a perdu

Mais la victoire de Meloni n’est pas seulement due à ses positions conservatrices et anti-choix migratoire, elle est aussi due à la lourde défaite de l’opposition de gauche et en particulier du Parti démocrate (PD) qui a obtenu moins de 20 % des suffrages ; d’ailleurs, son leader Enrico Letta, assumant sa responsabilité dans la défaite, a déclaré qu’il ne serait pas candidat au congrès qu’il convoquera prochainement. Le PD, qui rassemble les socialistes, les communistes modérés et les catholiques de gauche de l’ancienne Démocratie chrétienne, est divisé, outre les factions dont les Italiens sont friands, notamment entre catholiques et défenseurs des LGBT. Cette ambiguïté, qui contraste avec le franc-parler de Giorgia Meloni, lui a été fatale. 

Le mouvement 5 étoiles (5*), également à gauche de l’échiquier politique italien, créé par le saltimbanque Beppe Grillo, a résisté (15 %) sans doute aussi parce qu’il a fait tomber le gouvernement Draghi, les adeptes de ce mouvement étant réticents vis-à-vis des autorités, quelles qu’elles soient. À Naples et dans sa province, le parti a gagné dans toutes les circonscriptions uninominales. 5* a fait tomber le gouvernement Draghi en raison de la phobie de certains Italiens envers les incinérateurs de déchets municipaux. Écologistes, ils s’opposent à toutes les infrastructures : non au projet de tunnel ferroviaire européen sur la ligne Lyon-Turin, non au gazoduc transadriatique (TAP) qui achemine le gaz azerbaïdjanais arrivé en Albanie vers les Pouilles (sud-est de l’Italie), non aux terminaux GNL dont le pays a depuis longtemps besoin pour maîtriser sa sécurité d’approvisionnement énergétique, non aux forages pétroliers et gaziers en mer Adriatique, alors que la Croatie y est très active de l’autre côté de sa frontière maritime. 

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Non aux incinérateurs

Mais ce qui a précipité la chute du gouvernement Draghi, c’est que le 5* est acrimonieusement opposé aux incinérateurs de déchets urbains. Rome, infestée de rats à cause de ses poubelles débordantes, n’a toujours pas d’incinérateur. Son nouveau maire, Roberto Gualtieri (PD), a voulu en construire un, contrairement au précédent maire 5*, Virginia Raggi. Ce contraste a mis fin à la coalition hétéroclite qui s’était formée pour faire face aux conséquences de la crise de Covid. La division de la gauche sur la question des déchets a contribué à la nomination de Giorgia Meloni comme Première ministre du deuxième pays le plus industrialisé de l’UE après l’Allemagne.

La question des incinérateurs de déchets municipaux n’est pas anodine. En Italie, les écologistes ont réussi à faire croire à la population qu’ils sont dangereux pour la santé. Lors d’une réunion du conseil provincial de la Regio Emilia, où j’expliquais la politique européenne en matière de déchets et les spécifications techniques que les fabricants d’incinérateurs devaient respecter, j’ai été interrompu par les cris agressifs d’une femme visiblement convaincue que les incinérateurs provoquent le cancer : « Je vais vous dénoncer parce que vous allez faire mourir mes enfants » (sic). À cette occasion, la présidente des Verts européens de l’époque, Monica Frassoni, a même écrit au commissaire européen à l’énergie pour m’accuser. Elle a reçu une réponse simple : M. Furfari dit la politique européenne. 

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Alors que dans tous les pays développés, la dernière fraction des déchets municipaux qui ne peuvent être recyclés est brûlée pour produire de l’énergie, en Italie, c’est encore un tabou. Rien n’a changé en Italie, l’immondice est toujours sacrée comme je l’écrivais en 2008. On se souvient du scandale des déchets urbains accumulés à Naples qui devaient être envoyés par train en Allemagne et de l’implication de la Camorra dans la gestion de ces déchets. Cela fait-il partie du succès du parti 5* en Campanie ?

Vers un changement à Bruxelles ?

Cette opposition aux incinérateurs, qui sont la meilleure solution pour se débarrasser des déchets municipaux non recyclables, est idéologique. C’est comme l’opposition à l’électricité nucléaire qui dure depuis trop d’années au point que la Commission européenne a dû se faire tirer les oreilles pour cesser son opposition à l’énergie nucléaire dans son règlement sur la taxonomie. Meloni va relancer la recherche nucléaire. L’Italie ne pourra pas aller aussi vite dans la relance du nucléaire que la Suède va le faire, car là-bas les centrales nucléaires existent alors que pendant des années la gauche italienne les a vilipendées. Alors qu’Ursula von der Leyen affirmait l’année dernière qu’il n’y a pas d’avenir pour les énergies fossiles, Giorgia Meloni va relancer la production de gaz naturel en Italie, qui avait été arrêtée pour des raisons idéologiques. La société de production d’hydrocarbures ENI, dont l’État italien est actionnaire majoritaire, est un fleuron de l’innovation technologique que beaucoup envient ; pourtant, elle ne pouvait pas opérer dans son pays alors qu’elle rapporte beaucoup d’argent au trésor italien.

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Politiquement correct, le parti de Meloni annonce la signature de la déclaration du centre droit pour l’action climatique, une initiative promue par la tribune du réseau conservateur pour l’environnement. Pourtant, dans son programme, le mot climat n’apparaît pas une seule fois. Quant au Pacte vert européen, il n’est mentionné que pour souligner l’objectif de « défendre et protéger les intérêts du système industriel et productif national ». 

Le courage politique de Giorgia Meloni sera jugé à sa détermination à sortir l’Italie du politiquement correct. Si elle y parvient, elle pourra alors tenter de faire de même à Bruxelles et à Strasbourg. Il est grand temps de dire les faits et d’arrêter de rêver. Les écologistes finissent toujours par perdre. Si 5* avait été sérieux au sujet des ordures, Giorgia Meloni n’aurait probablement pas pu mettre l’ambiance à Bruxelles et à Strasbourg…

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