Géopolitique de la diffusion des vaccins : Chine & Russie 1/ Occident 0<!-- --> | Atlantico.fr
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Une soignante reçoit le vaccin chinois dans l'hôpital de La Paz (Bolivie).
Une soignante reçoit le vaccin chinois dans l'hôpital de La Paz (Bolivie).
©AIZAR RALDES / AFP

Diplomatie sanitaire

La Chine, la Russie et dans une certaine mesure l'Inde diffusent de manière très importante leurs vaccins contre le Covid-19 dans le monde, alors que les pays occidentaux peinent à vacciner leur propre population.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Lors de la dernière réunion des dirigeants du G7, le 19 février 2021, l'organisation a décidé du versement d'une somme de 7,5 milliards de dollars ainsi que d'une portion de leurs vaccins à un fond des Nations Unies en faveur des pays les plus pauvres touchés par la pandémie de Covid-19. Toutefois,cette ambition se voit fortement remise en cause par la réalité du nombre de doses disponibles et de la situation alarmante des pays occidentaux eux-mêmes. Face à cela, la Chine, la Russie et dans une certaine mesure l'Inde diffusent de manière très importante leurs vaccins dans le monde et se montrent dans cette diffusion des acteurs mondiaux essentiels. A qui la Chine et la Russie distribuent-ils des vaccins et pourquoi ? Quelle est selon vous leur stratégie ?

Cyrille Bret : La compétition géopolitique fait rage dans le domaine médical, et ce depuis plus d’un an. Dès le début de 2020, les grandes puissances économiques, militaires et diplomatiques se sont engagées dans une compétition sanitaire. Concurrencées dans tous les domaines par des puissances moyennes. Le premier épisode a concerné les masques : la République Populaire de Chine et la Fédération de Russie ont, dès l’hiver 2020 exporté à grands frais des masques vers l’Europe (Italie au premier chef), vers l’Asie du Sud (Inde), vers l’Afrique ou encore vers l’Amérique latine. Et d’autres pays se sont lancés dans cette compétition qui était à la fois une course de vitesse contre la propagation du virus et une course contre la montre contre la « diplomatie du masque » de la Chine et de la Russie. Ainsi, la Corée du Sud, Taiwan ou encore le Japon ont axé leurs diplomatie sanitaire sur l’exemplarité de leurs dispositifs de protection, de tests et de contrôle.

Aujourd’hui, la compétition concernant les vaccins redouble cette concurrence. Les anciennes puissances communistes ont toujours considéré le domaine médical et scientifique comme un moyen de démontrer l’excellence de leurs modèles (soviétiques, maoistes, castristes, etc.) et comme un outil pour gagner en influence à travers le monde. Dans la deuxième partie de 2020, la compétition a porté sur la rapidité de mise au point du vaccin. Le vacci Gam-COVID-Vas a été mis au point par le laboratoire de microbiologie moscovite Gamaleia et a été autorisé par le ministère russe de la santé dès le 11 août 2020. De son côté, la RPC a développé deux vaccins : le Coronavac de Sinovac et le BBIBP-CorV de Sinopharm qui sont déployés depuis plusieurs mois en Chine et testés à travers le monde au Brésil, en Turquie, en Indonésie, etc. La rapidité du développement et des tests cliniques a joué en faveur de ces vaccins face aux vaccins des sociétés occidentales Pizer, Moderna, Sanofi, etc.

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Nous sommes entrés aujourd’hui dans une troisième phase de la géopolitique des vaccins : celle de la campagne de vaccination. Et les résultats des vaccins russe et chinois sont impressionnants : en raison de son faible coût, de ses conditions de stockage à des température atteignables et de la nécessité d’une injection, le vaccin russe baptisé Spoutknik V a été commandé partout dans le monde, par des alliés traditionnels de la Russie comme les Républiques d’Asie centrale, le Belarus, l’Iran et l’Inde mais aussi par des Etats occidentaux comme Israël, l’Argentine ainsi que la Serbie et la Hongrie. Il n’est pas jusqu’à l’Allemagne et la France qui n’envisage de commande ce vaccin une fois qu’il sera homologué par l’agence européenne du médicament. Quant aux vaccins chinois, ils sont déployés partout dans le monde tout particulièrement dans les régions où la Chine a fait porter ses efforts durant la décennie 2010 : l’Afrique (Egypte, Maroc) et l’Asie du Sud.

Les quelques millions de doses attribuées par le G7 pour immuniser les 6 millions de personnels soignants en Afrique font pâle figure évidemment. Mais la stratégie de la Chine et de la Russie n’est pas seulement médicale, elle est clairement médiatique et risque de gonfler les chiffres.

Florent Parmentier : la Russie a beaucoup misé sur son vaccin Sputnik V, puisque Vladimir Poutine s'est engagé personnellement, et qu'il a mobilisé le fond souverain sur cette mission. Clairement, il a fait de cet objectif une priorité nationale, a su mobiliser une équipe et désigner une institution scientifique pour porter le projet. Une leçon d'effacité au vu des moyens de la science russe, qui sort renforcée. 

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Ce mercredi, le Honduras est devenu le 34e pays à homologuer le vaccin. C'est clairement une stratégie de viser les pays en développement, l'Egypte ayant récemment donné son accord, après avoir approuvé le vaccin britannique AstraZeneca et le vaccin chinois Sinopharm. Les marchés plus lucratifs sont plus réceptifs aux vaccins américains, dont certains sont une efficacité pourtant moindre (66% pour Johnson et Johnson). 

Que nous dit cette politique de diffusion sur le rôle de la Chine et de la Russie dans le monde et notamment dans le tiers-monde, face à l'incapacité apparente des pays occidentaux à dépasser dans le cadre de la vaccination Covid leurs priorités nationales ?

Cyrille Bret : Elle nous dit que la pandémie accélère le mouvement de désoccidentalisation du monde du moins dans les représentations. Le « tiers monde » n’existe plus depuis longtemps. Le bloc occidental est très fissuré. Les organismes multilatéraux sont en piteux état.

Les Etats d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ne veulent plus du face-à-face avec l’Occident et des alliances exclusives avec l’Europe ou les Etats-Unis. Ils veulent diversifier leurs sources d’approvisionnement médicales de même qu’ils veulent diversifier les fournisseurs en matière d’éducation universitaire, de matériels de défense, d’investisseurs, de financeurs et même d’investissement. La RPC et la Russie non seulement aident certains pays de leurs vaccins mais dénigrent également les Etats occidentaux et les institutions internationales, comme l’OMS. Ils sont à l’offensive et cette offensive a pu prendre de cours les Occidentaux en raison du retard d’un an pris par les Etats-Unis dans leur engagement contre la pandémie.

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Florent Parmentier : Il y a trois éléments à prendre en compte dans cette approche : une approche idéologique, où les deux pays veulent se présenter en leaders souverainistes différents du monde d'après-1945, avec des valeurs propres au détriment des institutions de coopération internationale, avec des degrés divers d'implication. Une dimension interne, visible, où les deux pays ont des résultats très mitigés ; la surmortalité en Russie a été très nettement sous-estimée par les autorités, avec une politique sanitaire et sociale inadaptée. Le vrai bilan de la Chine reste à faire, en dépit d'une action résolue. Enfin, il faut prendre en compte les contingences géopolitiques, qui est pour la Russie de montrer qu'elle n'est pas isolée (et se permet même de repousser les Européens) et la Chine qu'elle n'est pas l'ennemi sournois que dépeignent les Américains. 
Volonté résolue d'affichage, peu de cas des demandes internes et contingences géopolitiques propres : c'est la musique que jouent Russie et Chine. 

Est-il possible pour les pays occidentaux de répondre à cette victoire sino-russe, ou est-elle le signe d'un déclin géopolitique achevé de l'ancien bloc de l'Ouest ?

Cyrille Bret : Dans la compétition géopolitique actuelle, les puissances autoritaires ont l’avantage de la vitesse. Leurs appareils étatiques peuvent lancer rapidement des initiatives et les traduire en outil de prestige international. Plusieurs facteurs les aident : les divergences ou les doutes de l’opinion publique sont peu exprimées et donc entravent peu l’exécution des décisions publiques ; les éventuelles difficultés sont aisément passées sous silence ; l’allocation des ressources budgétaires et humaines aux projets prioritaires et prestigieux ne se heurtent pas aux contre-pouvoir. La Chine et la Russie sont rapides dans de nombreuses compétitions parce qu’elles n’affrontent que peu de contre-pouvoirs internes.

Il n’en va pas de même des démocraties et des sociétés ouvertes. Les retards de Sanofi ont été exposés rapidement sur la place publique et c’est heureux. Les difficultés de la Commission européenne a faire exécuter le contrat passé avec Astra Zeneca ont été – fort heureusement – exposées au public par la président de la Commission. Autrement dit, l’ouverture des sociétés et la liberté des médias réduisent le rythme d’exécution des décisions publiques.

Est-ce une forme de « malédiction démocratique » qui contraindrait les démocraties à avoir un train de retard sur les régimes autoritaires ? Je ne le crois pas. Car si la vitesse d’exécution est le fait des régimes autoritaires, la résilience collective durable est du côté des sociétés démocratiques. En effet, le consensus social n’est pas donné ou créé au début mais il est obtenu à la fin du processus après des informations, des débats, des controverses. Mais une fois qu’il est fixé, comme par exemple après l’élection présidentielle américaine, il est moins fragile car soutenu par la société civile.

La Chine et la Russie n’ont pas encore gagné la compétition sanitaire internationale qu’ils ont nourrie depuis 2020.

Florent Parmentier : On pourrait retrouver ici l'approche russe mettant l'accent sur le "monde post-occidental" en train de se destiner. Cela ne signifie pas pour autant que le monde sera sino-russe : des manifestations de masse, en Russie ou à Hong Kong, défraient régulièrement l'actualité. Les demandes internes se feront entendre, et le mécontentement social obligera le pouvoir à faire des concessions à l'intérieur et à demander des comptes. C'est la fameuse idée de l'affrontement "entre le frigo et la télé", entre bien-être domestique et grandeur collective. 
Le rebond est possible, notamment en montrant son efficacité à la maison : les démocraties se caractérisent par la libre-circulation de l'information. A long terme, ce sens des réalités est un gage de survie, quand le doute sur les régimes autoritaires apparaissent. Et rappelons également que de nombreux vaccins peuvent apparaître dans les prochains mois et redistribuer les cartes. Les jeux ne sont pas faits !

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