Gens du voyage : derrière les invectives du débat national, les vérités dérangeantes de ceux qui gèrent en silence les problèmes au quotidien<!-- --> | Atlantico.fr
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Les communes de plus de 5 000 habitants sont dans l'obligation de créer des aires d'accueil.
Les communes de plus de 5 000 habitants sont dans l'obligation de créer des aires d'accueil.
©Reuters

Politiquement incorrect

Après la polémique déclenchée par les propos de Christian Estrosi au sujet des gens du voyage, Manuel Valls, a soutenu mercredi 17 juillet publiquement l'idée de forcer les maires à créer des aires d'accueil. Une solution qui paraît éloignée des réalités du terrain.

Jean Martin et Jean-Marc Blanc

Jean Martin et Jean-Marc Blanc

Jean Martin est directeur de la proximité dans un mairie de 75000  habitants. Il est notamment en charge des relation avec les gens du voyage.

Jean-Marc Blanc est policier municipal.

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Atlantico : Après la polémique déclenchée par les propos de Christian Estrosi au sujet des gens du voyage, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a soutenu publiquement l'idée de forcer les maires à créer des aires d'accueil pour ces populations. La loi Besson datant de 2000  impose déjà à toute commune de plus de 5 000 habitants de créer ces aires d'accueil. A ce jour, 52 % de ces communes en est équipé. Les maires des petites villes ont-ils vraiment la place et les ressources nécessaires pour investir dans ces infrastructures ?

Guy Martin :Trouver un emplacement est compliqué. Dans l'endroit dont je m'occupe, c'est l’agglomération qui gère l'aire d'accueil. Je connais néanmoins des communes de 5000 habitants qui ont construit des aires de "grand passage". Mais ce ne sont pas ces communes qui sont touchées par les problèmes car les gens du voyage préfèrent généralement s'installer dans les grandes agglomérations où il y a des commerces à proximité. Les gens du voyage ne restent donc pas longtemps dans les villes de 5000 habitants.

Jean-Marc Blanc :Financièrement, une commune de 5000 habitants n'a pas forcément la possibilité de construire une aire d'accueil pour recevoir un nombre important de gens du voyage. A mon avis, les maires de ces communes ont d'autres priorités pour leurs administrés qui sont aussi des contribuables.

Dans les communes où ces aires existent déjà, ces dernières sont-elles utilisées par les gens du voyage ?

Guy Martin :  Les aires de "grand passage" aménagées spécialement pour les gens du voyage ne suffisent pas. Ces aires sont désertées, trop éloignées et pas assez aménagées en espaces verts. 

Dans ma commune, les gens du voyage ont refusé de s'installer sur l'aire de "grand passage" prévue à cet effet et se sont installés depuis fin juin 2013 sur un endroit engazonné en centre-ville. Ils reprochent à la municipalité d'avoir construit "un parking" et réclament de l'herbe sous leurs pieds pour faire jouer les enfants pieds nus. Aujourd'hui notre aire est donc vide et les gens du voyage installés en pleine ville cristallisent le mécontentement des riverains. 

Jean-Marc Blanc : Si on prend l'exemple de la collectivité où je travaille, les gens du voyage ont généralement tendance à éviter les aires d'accueil et à s'installer où ils le souhaitent. Les aires d'accueil sont, selon eux, trop éloignées de la ville, pas assez ombragées et dépourvues d'herbe. 

De manière générale, l’Etat n’est-il pas complètement coupé des réalités des acteurs de terrain sur ces questions ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté et dont les médias ne parlent pas ?

Guy Martin :Oui, en tant qu'acteur de terrain au contact de ces populations depuis de nombreuses années, je peux dire que l'Etat s'est désengagé. Les préfets, représentant de l’Etat, ne souhaitent pas utiliser les moyens coercitifs à leur disposition. Les habitants ne croient plus en la capacité des hommes politiques à régler ce problème. Les déclarations gouvernementales n’arrangent rien. Le ministre Manuel Valls veut ignorer la réalité. Il dénonce la ségrégation dont sont victimes ces personnes. Pourtant, il ne s’agit pas de faire de la discrimination, seulement de dénoncer le comportement incivique de personnes qui se pensent à l’écart des lois et vivent sans se préoccuper de leur entourage et des règles.

Prenons l'exemple de la situation actuelle dans ma commune. Ces derniers jours, j'ai eu à traiter des cas de tirs à la carabine en pleine nuit sur les volets de riverains ou encore des courses automobiles organisées sur des pelouses privées. De façon plus récurrentes, nous avons à gérer des problèmes d'hygiène élémentaires. Les espaces naturels qui ne sont pas occupés par les caravanes servent de sanitaire à l'air libre. Cela peut paraître incroyable, exagéré, mais cela fait partie des réalités auxquelles je suis confronté. Et comprenez bien que je ne vous parle pas là d'un cas isolé mais d'un cas que j'ai à gérer de façon chronique. A chaque fois, l'exaspération monte d'un cran parmi les riverains  qui n'en peuvent plus de voir leurs jardins souillés. Et leurs droits si rarement défendus.

Lorsqu'un campement s'installe, l'eau est prise sur les bornes à incendie et l'électricité sur les bâtiments communaux ou même sur des coffrets EDF, quitte à se mettre en danger en le faisant. Pour pouvoir ensuite couper l'électricité, les agents d' EDF doivent se faire escorter par la police.

Dans ce contexte, le climat entre les riverains et les gens du voyage est délétère à tel point qu'on peut redouter des confrontations physiques et violentes.

Jean-Marc Blanc : Une partie de ces populations refuse d'appliquer les règles qui s'appliquent aux autres citoyens. Dans ma commune, les troubles à l'ordre public sont nombreux : bruit, insalubrité, vol d'eau et d'énergie, petite délinquance. Lorsqu'un camp s'installe en ville, le nombre de plaintes pour cambriolage et vol de carburant augmente systématiquement, même s'il est impossible d'établir un lien direct entre leur présence et la progression de ces délits.

La loi vous permet-elle actuellement de trouver des solutions ou au contraire vous laisse-t-elle démuni ?

Guy Martin :Le problème n'est pas la loi, mais le fait que les politiques ne nous donnent pas l'occasion d'utiliser la loi. C'est un problème de volonté. Pour déplacer les gens du voyage, il faut l'intervention de la force publique. Mais l'Etat se refuse à faire intervenir cette dernière. Les préfets, représentants de l'Etat, prétendent ne pas avoir les effectifs de police nécessaires. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau. L'attitude de la majorité précédente était identique. Il faut créer une antenne non partisane pour comprendre la problématique et notamment l'animosité légitime des riverains.

Ce qu'il faut bien comprendre également, c'est que les gens du voyage sont juridiquement extrêmement bien organisés, avec des réseaux d'avocats prêts à intervenir au moment opportun à chaque fois qu'une procédure d'expulsion pour occupation illégale est entamée. Cela fait perdre un temps et une énergie considérables à la puissance publique. Sans compte ce que cela coûte en procédures.

Jean-Marc Blanc : Le ministre de l'Intérieur se réfère à des textes, mais est loin de la réalité du terrain. Juridiquement, le préfet, saisi par le maire, peut faire évacuer les campements en cas d'occupation illégale. Mais l'Etat n'a pas toujours les moyens d'appliquer la loi. Il n' est pas possible de faire évacuer 150 caravanes avec 20 fonctionnaires de police.

Manuel Valls a dénoncé  les "amalgames" du député-maire UMP, Christian Estrosi, qui a publié récemment un "guide pratique" pour aider les maires à expulser les campements illégaux de populations non sédentaires. Au-delà des polémiques, ce guide peut-il être utile pour des élus démunis ?  Est-on trop aveuglé par le politiquement correct sur cette question ?

Guy Martin : Aujourd'hui, le chaudron bout et on referme le couvercle en disant : "tout va bien" et "évitons les discriminations". L'essentiel est de mettre des gants pour ne pas se brûler. J'applaudis donc l’initiative de Christian Estrosi qui a au moins le courage de dire les choses et d'aller jusqu'au bout même s'il est montré du doigt.

Les questions qu’il faut vraiment se poser aujourd’hui sont les suivantes : "Les règles de la République sont-elles applicables à tous ? Ou sont-elles accommodées en fonction de l’appartenance ? Fait-on le nécessaire au niveau de l’Etat pour poser le problème et trouver des solutions ?" Je n'ai pas entendu l'Etat répondre à ces questions à part en montrant les maires du doigt.

Jean-Marc Blanc : Christian Estrosi ne fait que reprendre les textes qui sont prévus dans la  loi. La différence, c'est que le maire de Nice dispose des moyens pour la faire appliquer. Il bénéficie d'une importante police municipale et peut-être d'appuis au niveau de l'Etat. Il va jusqu'au bout de ses idées et est, je crois, approuvé par ses administrés. Dans le cas de ma commune, la maire a demandé que la loi soit appliquée. Malheureusement, l'Etat ne veut pas suivre le maire. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire comme à Nice !

N.B. : Soumis tous deux au droit de réserve, les deux personnes interviewées ont dû s'exprimer sous pseudonyme.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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