Génocide silencieux ? Ces massacres de masse qui ravagent le Tigré<!-- --> | Atlantico.fr
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Des Éthiopiens de la région du Tigré vivant en Afrique du Sud tiennent des pancartes alors qu'ils manifestent devant l'ambassade des États-Unis à Pretoria, le 26 janvier 2022
Des Éthiopiens de la région du Tigré vivant en Afrique du Sud tiennent des pancartes alors qu'ils manifestent devant l'ambassade des États-Unis à Pretoria, le 26 janvier 2022
©PHIL MAGAKOE / AFP

Crimes contre l'humanité

Un conflit armé fait rage dans l’Etat du Tigré, au nord de l’Ethiopie, depuis novembre 2020. Il oppose le gouvernement fédéral éthiopien et le gouvernement régional du Tigré. Selon Amnesty International et Human Rights Watch, des crimes de guerre, des viols, des détentions massives et des transferts forcés ont été constatés. Le Tigré comptabilise plus de 500.000 morts depuis le début du conflit, selon les estimations de l'Université de Gand.

Jean-Claude Félix-Tchicaya

Jean-Claude Félix-Tchicaya

Jean-Claude Félix-Tchicaya est praticien chercheur pour l'Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) en géopolitique, géostratégie, sociologie et psychosociologie au sein du groupe Afrique / Europe.

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Atlantico : L'État régional national du Tigré est actuellement encerclé par les forces éthiopiennes et érythréennes, selon des informations de The Nation. Ces troupes établissent des blocus, brûlent des silos de nourriture et vont de village en village pour commettre des massacres génocidaires et des viols. Les télécommunications sont coupées. Quelle est la réalité de ce conflit ? Quels sont les enjeux de ces affrontements ? Qu’est-ce qui a pu déclencher ces exactions ? S’agit-il de difficultés politiques ou de problématiques au sein de la population à travers des tensions ethniques ? 

Jean-Claude Félix-Tchicaya : Les tensions sont devenues des tensions ethniques et politiques. Elles ont été alimentées par des visions politiques différentes et extérieures avec une tentative d’hégémonie d’un groupe politique tigréen à l’intérieur du pouvoir éthiopien il y a encore quelques années, avant que Abiy Ahmed arrive au pouvoir. 

L’Ethiopie est un pays extrêmement peuplé avec 110 millions d’habitants. La population du Tigré, au Nord de l’Ethiopie, est de 6 millions de personnes. 

Ce qui était reproché par d’autres ethnies en Ethiopie aux Tigréens, au nombre de six millions, était d’avoir une hégémonie politique et économique, voire autoritaire. Une alliance d’Abiy Ahmed, le Premier ministre d’Ethiopie, avec l’Erythrée a mis fin à cette dissidence entre l’Ethiopie et l’Erythrée. La communauté internationale s’est peut-être trop hâtivement empressée à décerner un prix Nobel de la paix à Abiy Ahmed qui a tout de suite décidé de tourner le dos aux politiques et au peuple tigréens qui n’étaient pas toujours d’accord avec ce parti politique qui avait une attitude souvent autoritaire et qui pratiquait aussi l’ostracisme. Nous assistons malheureusement depuis deux à trois ans à des oscillations entre des massacres, des viols, un blocus et l’isolement du peuple tigréen. Avec ce côté systémique, il est possible de parler de crimes contre l’humanité. Certaines organisations parlent de velléités de génocide. Des mots d’ordre rappellent ceux entendus dans d’autres parties du continent africain ou ailleurs dans le monde. Les appels aux meurtres se multiplient. Il y a une cohorte de viols, d’exactions, de mises à l’index. Il y a comme une vengeance politique, ethnique devant les revendications des Tigréens qui veulent organiser des élections énonçant une fausse indépendance. Il y avait un gouvernement qui se voulait dissident et autonome. Cela a été refusé par le gouvernement central qui a mis en place une alliance géopolitique et internationale sulfureuse avec l’Erythrée, soutenue par la Russie. Cette alliance contribue à isoler le peuple tigréen. Des femmes et des filles sont violées en masse. Il y a une véritable terreur et une oscillation entre un ostracisme, des crimes de guerre et des massacres. Il est possible de parler de crimes contre l’humanité. 

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Il est vraiment urgent que la communauté internationale revoit la vision qu’elle pouvait avoir et les espoirs qu’elle pouvait placer entre les mains et vis-à-vis du projet que semblait tenir Abiy Ahmed. Il a profité de l’allégeance faite par le parti majoritaire du Tigré pour arriver au pouvoir. Une fois en place, il a tourné le dos à ce parti, qui était contesté et contestable avec des velléités autoritaires, pour s’allier avec l’Erythrée. C’est à ce moment-là qu’a commencé la crise, avec la partie Amhara et Fano (d’autres ethnies en Ethiopie). Une plongée sociologique et politique permet de bien comprendre pourquoi l’Ethiopie et le Tigré sont le théâtre de massacres. Il y a donc la vengeance d’un parti politique qui était majoritaire pour une ethnie qui comprend 6 millions de personnes au Nord de l’Ethiopie avec une alliance qui était portée par Abiy Ahmed alors que la communauté internationale conférait, de manière logique, l’espoir d’une politique qui transcende les conflits ethniques, l’Ethiopie et que toutes les ethnies soient des ethnies au service de la communauté nationale éthiopienne pour entrer dans des rapports beaucoup plus paisibles et guidés par un esprit de paix avec l’Erythrée. Mais le Premier ministre éthiopien a fait volte-face. Il y a un sentiment de vengeance. Avant même cette crise, dans l’histoire de l’Ethiopie, cela n’a jamais été une entente très cordiale entre les Amharas et le Tigré. 

La majorité des personnes qui meurent dans ce conflit politique et ethnique sont extérieures et étrangères à ces soifs politiques, économiques et territoriales. Il s’agit dorénavant d’un conflit territorial, d’une mise à l’index et d’un ostracisme.

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Alors que cette crise humanitaire se déroule dans le Nord de l'Éthiopie, comment expliquer que cette tragédie ne soit pas au cœur de l’actualité et plus médiatisée à l’échelle internationale ? Pourquoi ce conflit est-il éclipsé par la guerre en Ukraine ? Les coupures d’Internet dans le Tigré sont-elles l’une des principales explications sur les difficultés pour documenter le conflit et obtenir des informations fiables sur le terrain ?

Les organisations internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International, des médias et des organisations africaines tentent d’entrer au Tigré. Mais effectivement, il existe une série d’interdictions et de mises en place d’un isolement du Tigré. Cela empêche l’émergence médiatique et nuit au travail de la communauté internationale. Le pouvoir de l’ONU est aussi remis en question tout comme le rôle de l’Union africaine. Le siège de cette organisation est d’ailleurs en Ethiopie, à Addis-Abeba. 

Ces organisations pourraient se réunir pour mettre fin à ce massacre et pour apporter des réponses face à cette situation dramatique, non loin du siège de l’Union africaine, à quelques centaines de kilomètres. Avant même d’appeler la communauté internationale, en dehors du continent, des organismes comme Amnesty International et Human Rights Watch font leur travail et se mobilisent pour entrer au Tigré. Ils parviennent à transmettre, comme d’autres collègues chercheurs, des informations et des enquêtes très sérieuses pour ensuite les faire remonter à l’Union africaine. 

Malheureusement la prise de conscience tarde à prendre la température du théâtre effroyable que devient le Tigré avec les massacres. Il y a un tropisme du reste du monde qui se porte vers d’autres drames et vers les crimes de guerre en Ukraine. Mais bien des situations, et notamment celle au Tigré, sont tout aussi dramatiques. Malheureusement, cela est ignoré. Il est important de porter cette réalité à la connaissance des citoyens du monde. Il est vital de porter secours aux innocents du Tigré. 

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Il y a une partie tigréenne qui se conduit de façon similaire dans des crimes de guerre. Il faut aussi que cette pression médiatique, politique, de la communauté internationale permette d’agir et de contraindre Abiy Ahmed, les autorités Ahmaras et d’autres personnalités populistes du Tigré afin d’arrêter cette avalanche de massacres dont la majorité des victimes sont des femmes et des enfants, des innocents, qui par milliers tentent de fuir et se déplacent vers le Soudan. Ils sont parfois rejetés. 

Il convient donc d’apporter un éclairage sur ce conflit pour apporter et documenter la réalité de cette crise auprès des citoyens du monde. Il ne faut pas que ce massacre sur notre planète soit sous cloche.

La guerre en Ukraine a fait moins de 3.000 morts ukrainiens, selon le Bureau des droits de l'homme des Nations Unies, tandis que le Tigré en comptabilise plus de 500.000, selon les estimations de l'Université de Gand. Comment expliquer un chiffre aussi effroyable et de si lourdes pertes au Tigré ? Assistons-nous à un génocide silencieux ? Les Tigréens ont-ils la possibilité de témoigner de la réalité des exactions malgré les tactiques d’intimidation déployées ?

Ce génocide est silencieux pour d’autres parties du monde. Il y a un silence contraint qui est nourri par une méconnaissance du conflit. Il faut entendre les cris des Tigréens, les cris de celles et ceux qui sont massacrés, violés et qui subissent les pires exactions. C’est un massacre sous cloche. Il y a des oscillations entre l’ostracisme, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou le génocide. Cet amoncellement devrait éveiller les consciences et pousser la communauté internationale à l’action. 

Les chiffres, sans comparaison macabre, en Ukraine et au Tigré devraient alerter le monde. C’est pour ces raisons que certains se demandent parfois s’il n’y a pas une vision à géométrie variable, des indignations sélectives qui viennent malheureusement nourrir des réactions populistes, extrémistes ou anti-occidentales parfois.

Il est important de porter à connaissance ce conflit. Chaque citoyen pourra avoir un avis. 

La question se pose néanmoins sur la réaction de la communauté internationale et des pays d’Afrique vis-à-vis de cette crise, d’autant plus que l’Ethiopie est le pays du siège de l’Union africaine. Que fait l’Union africaine ? Il y a des conflits ou des problématiques politiques où l’Union africaine est victime du fait que certains de ses membres, des despotes, des régimes autoritaires ne veulent pas jeter la lumière sur ce qu’ils font et avec des alliés qui sont eux-mêmes instrumentalisés. 

Tous ces éléments contribuent à un isolement du Tigré. Encore aujourd’hui, les massacres se poursuivent avec des centaines, voire des milliers de morts. Combien de temps ces massacres vont-ils encore perdurer et être mis sous cloche au Tigré dans l’un des pays les plus peuplés du monde, en Ethiophie (110 millions d’habitants) ? Il est utile de tirer le signal d’alarme et de mettre en lumière ce massacre au Tigré.

Quelles peuvent être les issues ou les solutions à cette crise ? Quel rôle peut jouer la communauté internationale pour mettre fin à ces exactions et stopper les massacres au Tigré ?

Il faut utiliser la carte de la diplomatie en réunissant tous les leaders politiques qu’ils soient du Tigré, Ahmaras, Fanos ou du pouvoir central en Ethiopie. Il est important de mobiliser toutes les organisations de la société civile. Certaines malheureusement sont alliées à des mouvements politiques belliqueux et à bien des protagonistes de ce conflit. Les réunir permettrait néanmoins de faire jouer à plein la diplomatie, mère des paix, des compromis et des conciliations, pour obtenir un cessez-le-feu, un arrêt des massacres, une cessation des mots d’ordre génocidaires et de tout ce qui est mis en place de manière systémique pour isoler et terroriser les 6 millions de Tigréens. 

Cette crise peut s’étendre dans d’autres régions de l’Ethiopie. Abiy Ahmed, avec cet accord avec l’Erythrée, qui a été couronné du prix Nobel de la paix, fait tout ce qu’il ne faut pas faire pour garder un semblant de leadership pour l’Ethiopie. Il faut donc tenter de passer un compromis, sans se substituer à l’Ethiopie, pour aider à la paix. La diplomatie et la pression internationale s’imposent. Cela doit permettre de tirer au clair les velléités géopolitiques et géostratégiques qui viennent malheureusement participer à la déstabilisation de l’Afrique de l’Est.

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