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Génération anti-coalition : Kevin Kühnert, figure de proue de ces jeunes militants allemands déterminés à en finir avec le consensus mou
©SASCHA SCHUERMANN / AFP

Genug damit !

Le chef des jeunes du SPD est parvenu à exprimer l’insatisfaction grandissante de nombreux militants du parti à l’égard de la stratégie de participation à la série de coalitions menées par Angela Merkel depuis 2005.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Le contexte difficile qui a pu, et qui entoure encore les négociations relatives à la formation d'une coalition de gouvernement en Allemagne ont pu faire émerger ​une jeune personnalité du SPD, Kevin Kühnert, notamment pour ses prises de positions anti-coalition. Comment comprendre le parcours de Kevin Kühnert au cours de ces dernières semaines, en quoi pourrait-il être un symptôme précurseur de la fin du consensus en Allemagne ?

Rémi Bourgeot : Le responsable du mouvement des jeunes sociaux-démocrates est parvenu à exprimer l’insatisfaction grandissante de nombreux militants du parti, jeunes et moins jeunes, à l’égard de la stratégie de participation quasi-systématique du leadership du parti à cette série de coalitions menées par Angela Merkel depuis 2005. On a pris l’habitude au travers des décennies de désigner comme grande coalition ou « GroKo » l’alliance gouvernementale de la CDU-CSU et du SPD, mais il convient de préciser que ce terme ne s’applique plus vraiment à cette coalition qui réunit désormais à peine plus que la majorité des électeurs. Le rejet grandissant de la course aux ministères intervient dans ce climat très particulier où Martin Schulz avait exclu une quelconque participation au gouvernement de la part de son parti en raison du score désastreux auquel avait abouti sa campagne peu inspirée, à la suite de son rapatriement depuis le Parlement européen qu’il présidait. Il a finalement, après avoir mené les négociations de coalition, du s’effacer et renoncer à briguer un poste de ministre.

De nombreux militants associent l’effondrement électoral du parti (qui continue d’ailleurs selon les sondages, qui le placent derrière l’extrême droite) à la participation aux grandes coalitions précédentes et à la disparition du clivage traditionnel dans les politiques menées par les conservateurs et par les sociaux-démocrates.

En termes générationnels, on observe un conflit clair entre ceux qui ne résistent pas à la tentation de la course aux ministères (et les leaders sociaux-démocrates se sont montrés très gourmands sur ce plan) et ceux plus jeunes qui voient s’effondrer le parti dont il pensait prendre les rênes dans le futur. Kevin Kühnert est parvenu à incarner cette fronde au sein du parti pour des raison liés plus généralement au climat national, dans lequel le système de gouvernement par coalitions successives apparait à bout de souffle et est marqué par l’envolée de l’extrême droite. On observe un décalage entre le caractère prétendument consensuel du système de grande coalition et le caractère brutal que prennent les débats dans le pays. Kevin Kühnert s’est ainsi vu accuser par le tabloïde Bild, sur la base d’e-mails dont l’authenticité est contestée, d’avoir accepté l’aide, pour mener une campagne de dénigrement de la grande coalition, de la part d’un certain Youri qui se trouverait à Saint-Pétersbourg…

Kevin Kuehnert a pu déclarer qu'"Une grande coalition devrait être une exception dans une démocratie, mais il ne s'agit plus d'une exception". Comment l'Allemagne en est arrivée à cette "grande coalition permanente" que Kuehnert sous-entend non démocratique ?

Le problème est effectivement celui de la représentativité démocratique et le débat dépasse donc celui de la stratégie électorale du SPD.

Christian Lindner, le chef du FDP, avait claqué la porte des négociations en vue de la formation d’une coalition dite « Jamaïque » entre conservateurs, libéraux et écologistes pour des raisons similaires, confronté à des négociations de bouts de chandelle qui n’avait plus de véritable sens politique. Lindner a été désigné comme une sorte de paria depuis, voire même un traître. Sans connaître le fond des réflexions personnelles qui l’ont mené à cette décision, le manque de pertinence des négociations et de la coalition tripartite elle-même est assez évident.

La généralisation des coalitions, qui plus est de la « grande coalition » sous l’égide de Mme Merkel, relègue la possibilité de l’alternance et du débat sur les projets ; ce qui a également mené Kühnert à parlé assez génialement de « politique des bullet-points ».

Plus grave qu’une grande synthèse qui étoufferait le débat, on observe une tactique de va-et-vient idéologiques de la part de la Chancelière, comme ce fut le cas sur la question de la vague migratoire, passant en à peine quelques mois d’une politique de porte ouverte à une politique très différente qui consiste à maintenir les réfugiés syriens en Turquie en particulier. Le cadre politique allemand est très différent, à de nombreux égards, de la politique française. Il ne s’agit pas que de la décentralisation au sens géographique du terme mais aussi de l’équilibre en pouvoir économique et pouvoir politique.

On a vu émerger la politique de compétitivité sur la base de la compression salariale sous le social-démocrate Gerhard Schröder. Si cette politique convenait à une partie de l’électorat social-démocrate elle signait aussi la rupture avec une vaste partie des classes populaires. L’évolution politique allemande, avec l’envolée de l’extrême droite et la montée d’un discours révisionniste, ne relève évidemment pas de simples causes économiques, mais la synthèse économique Schröder-Merkel a été un élément de l’affaissement du débat politique dans le pays.

Quelle est l'issue à anticiper ou à envisager d'un contexte politique international qui semble souffrir de trop de polarisation, mais également de trop de faux consensus ?

L’idée selon laquelle la politique doit se concentrer sur une stratégie de nivellement par le bas économique pèse de façon néfaste sur les débats économiques européens en plus de mener à une impasse en termes de développement économique. La synthèse européenne de compression tous azimuts qui s’est imposée au cours des deux dernières décennies mènent assez directement à la perte de sens dans le débat démocratique et au tête-à-tête vain entre centre et extrêmes. On pourrait imaginer un retour à une opposition droite-gauche raisonnable, sur la base de projets différents, mais ça n’est pas la tendance qui se déploie pour l’heure. On voit d’avantage une cristallisation entre un centre omniprésent institutionnellement et des partis alternatifs ou extrémistes, qui prennent une forme plus ou moins loufoque en fonction des pays.

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