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Gauche des valeurs à la Hamon ou gauche de la bonne gestion à la Macron : laquelle est finalement la plus conservatrice ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

C'est celui qui dit qui est

Le soutien d'un certain nombre d'élus à gauche à Emmanuel Macron, ainsi que la potentialité du vote utile à gauche dont il pourrait bénéficier au second tour, pourraient freiner l'entreprise de renouvellement du PS prônée par Benoît Hamon, avec le risque, à terme, de provoquer le délitement du parti.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent, ancien élève de l’ENA, est professeur d’économie à Sciences-Po Paris. Il est l’auteur de Qu’est-ce que le conservatisme (Les Belles Lettres, 2016).

 

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Atlantico : Entre un Benoît Hamon qui assume de renouveler le PS d'un point de vue essentiellement des valeurs, sans se cantonner à un positionnement de frondeur, et un Emmanuel Macron qui envisage ce renouvellement essentiellement d'un point de vue économique, qui est le plus conservateur ? 

Virginie Martin Tout d'abord, il convient de préciser qu'Emmanuel Macron ne se reconnaît pas dans le logiciel de gauche, ce qu'il a dit à plusieurs reprises ; par ailleurs, un certain nombre de ses soutiens proviennent de la droite. De plus, n'oublions pas qu'Emmanuel Macron veut se présenter en dehors du clivage gauche/droite. Je pense que cela est plus dangereux que moderne.

Sur la question économique, il semblerait plutôt que la modernité soit associée à des candidats qui prennent en compte les enjeux du moment : l'environnement, la robotisation, la question du travail, l'Europe redynamisée, etc. On retrouve ces enjeux dans le projet de Benoît Hamon. Dans un entretien accordé cette semaine au Monde, il dit d'ailleurs que puisque nous avons moins d'États-Unis avec Donald Trump, il faut plus d'Europe. Cela me paraît être le bon sens actuellement, d'autant plus qu'il parle bien d'une Europe politique. Nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle avec, d'un côté, des politiques libérales qui donnent l'illusion d'un chômage faible, et de l'autre côté, des politiques comme celles appliquées en Grèce qui n'ont pas donné de résultats positifs. Pour Benoît Hamon, le dialogue politique doit être retrouvé à l'échelle européenne. Le tout économique est une illusion ; c'est une façon de concevoir le monde qui nous met, par définition, dans le mur dans la mesure où le politique est laissé aux extrêmes. Les gens ont besoin de politique.

Chez Emmanuel Macron, il y a très peu de choses de ce point de vue.À cause de son credo "ni de droite, ni de gauche", son programme ne peut être véritablement et totalement moderne. Si la modernité signifie gérer l'État comme une entreprise, on est là face à une vraie aberration. Un citoyen n'est pas là pour être productif, mais un citoyen. Envisager l'État comme une entreprise, c'est envisager la fin du politique d'une certaine manière. Le logiciel d'Emmanuel Macron n'est pas moderne : il ressemble un peu à un logiciel anglo-saxon des années 1990, fasciné par les nouvelles technologies, le management à tous les étages, etc. Aujourd'hui, les écrits académiques américains reviennent beaucoup sur cette lune de miel entre le management partout et le politique. Dans la Silicon Valley, beaucoup s'interrogent d'ailleurs sur le modèle des start-ups, le bien-être au travail, les effets négatifs d'Internet (cf. l'existence du DarkWeb), etc.

Le projet présidentiel d'Emmanuel Macron pourrait être considéré comme conservateur si l'on estime qu'il conserve les schémas dominants actuels en matière d'emploi, d'Europe, etc. Il y a beaucoup d'individualisme chez Macron ; et je ne sais pas si cette notion peut être caractérisée de moderne ou de conservatrice. 

Jean-Philippe Vincent : Le programme de Benoît Hamon appartient à la veine du socialisme utopique (Fourier, Cabet, Leroux) tel qu’il a existé au XIXe siècle. Cette inspiration utopique est réapparue régulièrement dans l’histoire du socialisme depuis le début du XIXe siècle. Il s’agit d’une forme de millénarisme. On peut reprocher beaucoup de choses à ce courant d’idées, mais on ne peut pas lui reprocher d’être conservateur.

En ce qui concerne Emmanuel Macron, les choses sont plus complexes. Macron pense, lui aussi, qu’il n’y a qu’un problème de gestion, qu’il n’y a pas de problème politique. C’est une conception très courte de la politique. Et cette vision est certainement plus conservatrice et plus primaire que celle de Hamon. Ce dernier, au moins, sait que la France n’est pas une société anonyme (SA) dont le seul problème serait de se trouver un bon PDG !

A l'instar d'Alain Juppé, Emmanuel Macron peut être considéré comme l'un de ces hommes politiques qui pense que la bonne gouvernance équivaut à la bonne gestion, et donc que la situation actuelle de la France s'explique uniquement par des problèmes de gestion, et non pas par l'échec du pays et de ses précédents dirigeants à penser les nouveaux défis auxquels fait face la France (Europe, mondialisation, etc.). A cet égard, que reste-t-il de ce qui a été appelé "la révolution Macron" dans son projet présidentiel en l'état ? Où est passé ce qu'il disait sur la fonction publique et les 35 heures, et donc sur la philosophie profonde qui l'animait alors ?

Jean-Philippe Vincent :  Le baron Louis, ministre des Finances au début de la Restauration, a écrit quelque chose de très pénétrant : "faites-moi une bonne politique et je vous ferai de bonnes finances". C’était très juste et ça l’est toujours. L’important, c’est de poser de bons fondements politiques. La bonne gestion (et notamment celle des finances publiques) s’en déduira presque naturellement. Quelle est la vraie question politique en France, aujourd’hui, celle qui devrait être pensée et mise en œuvre ? Elle peut se résumer à une question : comment redonner confiance aux Français ? C’est de confiance qu’ils ont besoin avant tout. Confiance dans les institutions, confiance en l'économie, confiance dans ce qui structure la vie sociale et – ça n’est pas le moins important – reprendre confiance en eux-mêmes. Avec son "impératif gestionnaire", Emmanuel Macron (et d’autres) passe radicalement à côté de cette question. Et c’est une question vitale et – j’insiste sur ce point – politique. La crise de confiance que connaît la France est une crise politique à laquelle il faut d’abord répondre sur le plan politique. La gestion – ce que de Gaulle appelait "l’intendance" - suivra.

Virginie MartinJe ne comprends pas dans quelle mesure Emmanuel Macron peut penser qu'il est une révolution. Ce n'est pas la bonne matrice. Il est sur une conception très individualisée de la société : l'État peut et doit reculer, tandis que l'individu doit prendre toute sa place. D'ailleurs, il dit cela d'une manière bien plus violente : la politique ne peut pas tout, elle ne peut plus viser le bonheur. C'est une invitation à beaucoup d'individualisme, à un État minimum qui ne protègerait plus mais qui, en revanche, ouvrirait les vannes à un "super individu" : l'individu entrepreneur, l'individu créateur, etc. Tout le monde n'a pas tous les atouts pour cela. Par ailleurs, tous les cadres institutionnels ne sont pas compatibles avec cette hyperindividualisation. C'est une folie, par exemple, de proposer à ce que les établissements choisissent eux-mêmes leurs enseignants. Il faut un cadre, une unité du territoire, la neutralité de l'État. Il y a quelque chose de vraiment comparable chez Emmanuel Macron à Adam Smith, quelque chose donc qui ne s'est pas actualisé, et notamment cette idée de la main invisible. Même chez François Fillon, il n'y a pas cette philosophie, parce que derrière le logiciel classique de la droite, nous retrouvons les valeurs éthiques qui refont du commun. Éthiquement, le projet d'Emmanuel Macron est plutôt pauvre. 

En tenant compte des précédents éléments mis en avant, mais également de la tribune de l'aile droite du PS appelant à voter Macron à paraître ce vendredi, mais également du dernier sondage Harris Interactive révélant que 42% des sympathisants PS envisagent de voter pour le candidat d' "En Marche!", quelles sont les chances pour ce dernier de séduire les électeurs de gauche ? A l'inverse quelles sont celle en l'état du candidat PS ? 

Jean-Philippe Vincent : La droite du PS ne pense qu’à une seule chose : "sauvons nos places !" Elle n’est plus intéressée qu’à cela. C’est tragique. Et en même temps, logique. C’est la logique Guy Mollet. Quel coup de jeune ! Est-ce que Macron et sa "ligne Guy Mollet" peuvent séduire les vrais électeurs de gauche ? Je ne le crois pas. Mais seule la campagne permettra d’y voir plus clair. Au risque de passer pour provocant, je pense que les vrais électeurs de gauche iront chez Marine Le Pen, car il y a de vrais éléments de gauche dans son programme ! Quant à Benoît Hamon, sa candidature est, à mes yeux, une candidature de témoignage. Pour lui, l’important est de faire au moins 10% des voix. Ca ne sera pas facile, mais ça n’est pas impossible.

Virginie MartinOn a fabriqué un produit politico-médiatique avec Emmanuel Macron. L'influence des médias sur le comportement électoral est réelle. Il me semble que se met en place, auprès des électeurs PS, l'illusion du vote utile, qui traduit cette influence des sondages sur les électeurs.

Il faut bien avoir en tête que l'effacement du clivage gauche/droite laissera la place au clivage système/anti-système. Ainsi, vous alternerez quasi-obligatoirement entre Emmanuel Macron et ses affiliés ou Marine Le Pen, ce qui est très dangereux. Quand vous faites des projections de dynamique au deuxième tour de la présidentielle, et dans le cas où nous nous retrouvions avec François Fillon et Marine Le Pen, un front républicain pourrait alors se former autour de la droite même si le résultat pourrait être, dans ce cas, très serré. Toujours en termes de dynamique, dans le cadre d'un affrontement Le Pen-Hamon, le candidat PS peut espérer récupérer le vote de tous les électorats de gauche, ce qui est normal ; l'aile droite d'Emmanuel Macron pourrait même envisager de rallier le candidat socialiste dans ce cas de figure. La troisième dynamique, qui me semble être la plus fragile, est celle qui verrait Emmanuel Macron affronter Marine Le Pen. Pensez-vous que dans ce cas, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ou ceux de François Fillon iraient voter pour Emmanuel Macron comme un seul homme ? Certainement pas. À cause des caractéristiques inhérentes au clivage système/anti-système, le candidat le plus fragile apparaît être Emmanuel Macron. 

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