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La gauche devrait se préoccuper davantage de la qualité de l'enseignement des écoles privées que de leur financement
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Faux débat !

Des élus communistes ont présenté au Sénat une proposition de loi tendant à abroger la loi du 13 août 2004 sur la parité de financement des écoles privées et publiques. Une initiative qui réveille un vieux débat idéologique français concentré plus sur la forme que sur le fond.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Il y avait depuis les années 80, un consensus du gouvernement quant au financement des écoles privées et publiques. Aujourd'hui la proposition de loi déposée par des élus communistes veut rompre les dispositions de la loi du 13 août 2004 qui permet à la commune de résidence de financer la scolarisation de ses élèves dans une commune d'accueil. Si elle était adoptée que changerait cette loi ?

Erwan Le Noan : Il y avait en effet un relatif consensus quant au financement des écoles en France. En 2004, une nouvelle loi est venue poser les choses et celle de 2009 a clarifié les  positions.

Si la proposition de loi communiste est adoptée, cela risque de poser un problème de financement pour les écoles privées et de remettre en question la liberté de choix des parents. Cependant son aspect le plus problématique résiderait dans la réouverture du sempiternel et improductif débat de la guerre scolaire, avec un retour des conflits entre le privé et le public.

D’ailleurs ce risque de guerre idéologique est tellement latent que si François Hollande avait adressé une lettre au Comité national d’action laïque (CNAL) pendant la campagne allant dans le sens d’une révision du mode de financement prévu par la loi Carle, Vincent Peillon s’était empressé de revenir sur ces déclarations.

En réalité, c’est une question qui prend une dimension exclusivement idéologique et polémique en France, avec la gauche qui refuse catégoriquement toute idée de financement des établissements privés par le public. C’est pour cela que les communistes portent ce projet et pour cela que François Hollande avait écrit cette lettre : pour toucher un électorat très sensible à cette question. Cette question du financement des établissements privés est en fait un marqueur politique.

Cependant selon un des paragraphes de l'article 89 et selon les interprétations, la commune de résidence n'est pas tenue de verser cette aide. Ainsi cette proposition ne soulève-t-elle pas un faux problème ?

La loi de 2009 stipule clairement que l’aide doit être versée aux écoles privées si l’école publique de la commune de résidence ne dispose plus de places pour accueillir les élèves. Le principe est posé ; pour le reste,  il existe à la marge des cas particuliers, qui demandent une résolution au cas par cas.

Plus précisément, la question n’est pas de savoir s’il faut ou pas financer quelques écoles privées dans les milieux ruraux. La vraie question est de savoir s’il y a du sens à avoir un secteur éducatif uniquement public. L’essentiel, je pense, réside dans la qualité du service public, du taux de réussite des élèves. Ce n’est pas la structure juridique qui devrait être mise en cause, mais bien la qualité et la performance de l’enseignement dispensé.

Peut-on réellement, telle que la commission à l'origine de cette proposition de loi le demande, mettre en place deux financements distincts pour le public et le privé ?   

Encore une fois, cette proposition ne s’attaque pas au fond du problème. On peut très bien garder un financement global public du secteur éducatif, privé et public, en proposant un forfait aux parents leur permettant de choisir dans quel établissement ils souhaitent scolariser leurs enfants. Peu importe qu’il soit privé ou public ! Les débats qui ont cours depuis une trentaine d’années sur la guerre public / privé sont d’une stérilité affligeante !

Cette guerre entre privé et public pose-t-elle problème uniquement en France ou nos voisins européens sont-ils aussi confrontés aux mêmes distorsions ?

En Europe les choses sont différentes car en France, derrière la guerre scolaire se pose aussi la question religieuse qui est très spécifique et qui a une histoire particulière. Dans les pays européens les préoccupations portent essentiellement sur la qualité de l’enseignement. Bien sûr, dans les années 2000, au moment où les « chèques éducation » ont été lancés dans des Etats socio-démocrates comme la Suède, ils ont fait l’objet de nombreux débats qui ont porté non pas tant sur l’aspect religieux que sur leur impact sur la qualité de l’éducation . Aujourd’hui le système suédois enregistre de bons résultats.

Aux Etats-Unis, les « chèques éducation » ont aussi été longuement discutés. Finalement, c’est la Cour Suprême qui a tranché en estimant que les parents américains étaient assez responsables pour décider de l’établissement de scolarisation de leurs enfants et que le rôle de l’Etat n’était pas de se substituer à leur volonté.

Au contraire, en France, le combat reste simplement et tristement idéologique.

Pourrait-on arriver, en France, à un secteur public entièrement indépendant et libéral qui n’aurait plus besoin de l’intervention de l’Etat ?

Ce modèle ne serait pas viable. Il est vrai qu’il y a aujourd’hui une certaine hypocrisie de l’enseignement privé qui tend à oublier qu’il n’est pas complétement indépendant et libéral puisqu’il reçoit de larges subventions de l’Etat. Mais, encore une fois ce n’est pas la question de fond. Qu’importe que la structure juridique soit publique ou privée. Il  faut se poser la question de savoir qui fournit le meilleur service éducatif et permettre aux enfants d’y avoir accès ! ¨Pour cela, la France pourrait aussi adopter le système des « chèques éducation », en organisant un financement  entièrement public (comme c’est le cas) et en laissant aux parents le choix de l’établissement de scolarisation de leurs enfants. Bref, en stimulant la concurrence au sein d’un système "ultra-libéral" de l’éducation qui serait – assez paradoxalement – financé intégralement par le public.

Le choix des parents a-t-il été complètement menotté par cette guerre idéologique entre l’école privée et publique en France ?

Aujourd’hui les parents ne peuvent pas choisir l’établissement de leurs enfants : on leur impose une carte scolaire, un système public et à la marge un système privé dont la part est strictement limitée (même si les parents le plébiscitent). Tous ces éléments font que seuls les plus privilégiés sont capables de sortir du système : les plus riches et les mieux informés. En gros : les gosses de riches et les fils de profs !

Ceux qui s’en sortent sont les enfants dont les parents ont les moyens d’acheter leur choix : soit par l’argent (et ils se retrouvent dans les circuits du privé : les gosses de riches) soit par l’accès à l’information (et ils savent choisir les options qu’il faut : les enfants de professeurs). Le lycée Hélène Boucher, dans le 20ème arrondissement de Paris, est ainsi connu pour ne scolariser que des fils et filles de professeurs de la Seine-Saint-Denis !

En raison d’un système beaucoup trop rigide on a favorisé les inégalités et exclu d’office du système une assez large partie de la population française. Il est temps de repenser le système, son organisation, son offre, ses résultats. La question technique du financement et celle juridique des structures devraient être accessoires ! 

 Propos recueillis par Priscilla Romain

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