Game of Thrones : un psychologue au royaume des sept couronnes <!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme passe devant un minibus avec un graffiti représentant des personnages de la série "Game of Thrones", à Nairobi, le 22 mai 2019.
Un homme passe devant un minibus avec un graffiti représentant des personnages de la série "Game of Thrones", à Nairobi, le 22 mai 2019.
©SIMON MAINA / AFP

Bonnes feuilles

Le livre « Le Trône de fer et les sciences » a été publié sous la direction de Jean-Sébastien Steyer aux éditions Belin. Histoire des langues, géographie, géologie, biologie, psychologie, climat, environnement..., les meilleurs spécialistes se sont plongés dans le monde de la série télévisée, et proposent de le découvrir sous un éclairage nouveau. Extrait 1/2.

Yann Leroux

Yann Leroux

Yann Leroux est docteur en psychologie et psychanalyste. Il s'est intéressé comme psychologue à la dynamique des relations en ligne. Auteur de "Les jeux vidéo ça rend pas idiot" et "Mon psy sur internet" éditions fyp tient le blog psyetgeek.

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Jean-Sébastien Steyer

Jean-Sébastien Steyer

Jean-Sébastien Steyer est paléontologue au CNRS et au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, lauréat de plusieurs prix scientifiques, auteur d’une centaine d’articles de recherche et d’une douzaine d’ouvrages grand public, le jour. La nuit, « mestre Steyer » de la Citadelle organise des fouilles sur Essos et Sothoryos à la recherche de fossiles de dragons.

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La série Game of Thrones décrit l’histoire complexe de familles anciennes s’arrachant le royaume des Sept Couronnes. L’histoire, devenue un grand classique de la culture populaire, suit les canons de la fantasy où la psychologie des personnages est finement dépeinte : les multiples conflits, guerres et trahisons sur Westeros et Essos deviennent prétexte à présenter les complexités de la nature humaine. Avec la série Game of Thrones, le spectateur suit également les trajectoires souvent tortueuses des divers protagonistes. Même s’ils sont séparés par des mers ou des océans, leurs histoires semblent intimement liées; un petit changement de comportement peut bouleverser l’histoire entière d’un continent.

Alors que certaines séries se contentent de poser un décor dans lequel les personnages s’affrontent, Game of Thrones va plus loin : si les personnages peuvent sembler caricaturalement bons ou mauvais, leurs épreuves les transforment et le public découvre leurs failles et leurs qualités au fil des des épisodes. Si beaucoup de personnages ont des traits de caractères qui les rendent infréquentables – ils sont cruels, centrés sur eux-mêmes, ou profondément pervers –, le mouvement du monde d’Essos et de Westeros les amène tous à faire face aux conséquences de leurs actes. Par exemple, Cersei Lannister devient de plus en plus dure et malveillante; elle sème le chaos et la destruction. D’autres personnages ont des trajectoires moins funestes : le frère jumeau de Cersei, Jaime, fait preuve d’un caractère chevaleresque inattendu, tandis que Theon Greyjoy, au terme d’un parcours éprouvant fait de rapts et de torture, finit par voir la lumière.

Si les personnages peuvent sembler caricaturalement bons ou mauvais, leurs épreuves les transforment et le public découvre leurs failles et leurs qualités au fur et à mesure de la diffusion des épisodes.

Des personnages sont d’emblée lumineux : très vite, Jon Snow, Daenerys Targaryen ou Tyrion Lannister emportent notre sympathie. Fils illégitime de Ned Stark, Jon s’enrôle sur le Mur pour servir la Garde de Nuit. Daenerys, descendante d’une grande lignée déchue, est utilisée comme monnaie d’échange par son frère Viserys qui rêve de reconquérir le trône. Tyrion, troisième enfant du puissant Tywin Lannister, est rejeté par presque toute sa famille (sauf Jaime, son oncle Kevan ou ses neveux Tommen et Myrcella), parce qu’il est nain et que sa naissance a coûté la vie à sa mère, Joanna. Jetés dans le tumulte de Westeros, ces trois protagonistes tentent de faire un peu mieux que survivre et essaient de suivre, parfois difficilement, une certaine éthique afin de ne pas porter préjudice à leur prochain. D’autres personnages sortent de l’ombre pour grandir au travers d’épreuves : de sage fille muette, Sansa Stark devient reine puissante après bien des humiliations et des viols, prenant pleinement conscience de la valeur de son existence. Sa sœur Arya, au caractère bien trempé, devient une combattante redoutable. Bons et/ou mauvais, les personnages évoluent donc au gré des catastrophes engendrées par les guerres et les abus de pouvoir des puissants. Mais leurs trajectoires dépendent aussi de leur génie propre.

Quoi que vous soyez, vous l’êtes du fait de circonstances extérieures et de ce que vous en faites. Tel est, en termes de psychologie, le message de Game of Thrones. Chaque personnage naît d’une famille ayant ses propres histoires, ses propres secrets et filiations. Tous traversent des traumatismes. Chacun se construit selon sa manière de transformer les expériences. De ce point de vue, Game of Thrones est un formidable manuel sur les succès et les échecs de la résilience.

Une question de pouvoir

La saga et la série ont fait l’objet d’une attention soutenue de la part du monde universitaire. L’examen des mondes d’Essos et de Westeros peut aider à mieux comprendre comment le pouvoir et le genre sont intriqués l’un dans l’autre. Les politologues William Clapton et Laura Shepherd montrent que les femmes y ont peu de pouvoir : ignorées, elles sont prises comme objets sexuels ou utilisées pour faire passer des messages à d’autres hommes. Selon eux, le pouvoir demeure masculin et la guerre des trônes est faite par les hommes pour les hommes. Même un personnage emblématique comme Daenerys Targaryen n’échappe pas à la règle : sans dragons, elle n’aurait pu conquérir le monde. William Clapton et Laura Sheperd affirment que la manière dont elle gagne et maintient son autorité n’est pas différente de celle des hommes. Sa confiance en elle-même, son agressivité, voire sa férocité suggèrent qu’elle a parfaitement internalisé le pouvoir dans ses aspects les plus masculins. Mon point de vue est plus nuancé : il me semble que Daenerys incarne aussi les deux aspects de la puissance maternelle. Elle peut être Mère des Dragons, brûlante et dévorante, et à la fois pleine de compassion et de sollicitude.

Pour la politologue Charli Carpenter, la série prête tout particulièrement attention aux parias en leur donnant la parole. Le récit détruit le mythe du chevalier blanc et décrit les techniques de contestation utilisées par les femmes pour lutter contre la violence dont elles sont l’objet. Par exemple, Catelyn Stark s’appuie sur le pouvoir du maternel, Cersei Lannister sur celui de la beauté et Daenerys sur celui de l’amour pour faire avancer leurs pions. Aucune n’affronte directement le pouvoir des hommes et pourtant toutes le contestent. De son côté, la chercheuse Katie Ellis insiste sur le fait que les exclus sont au cœur même de Game of Thrones : la série donne en effet une place à ceux qui habituellement sont rejetés. Dans cet univers, les personnages ne sont pas leur handicap : comme le dit Tyrion Lannister à Bran Stark : « avec une selle adéquate et un bon cheval, même un infirme peut monter à cheval ». Tyrion sait de quoi il parle; il est rejeté en raison de son nanisme et souffre d’ostracisme, ce qui l’amène à avoir « un faible pour les infirmes, les bâtards et les choses brisées ». De fait, Game of Thrones n’en manque pas : aux côtés de Bran et Tyrion, on peut aussi citer Shôren Baratheon, fille unique du seigneur Stannis Baratheon et affectée par la grisécaille. Jaime Lannister perd sa main droite et par là même le prestige que lui conférait son habileté à l’épée. Enfin, le prince de Dorne, Doran Martell, éprouve des difficultés à se mouvoir. Contrairement à certains récits de la culture populaire, le handicap n’est pas ici le signe d’un super-pouvoir. Ainsi, Tyrion fait face quotidiennement aux violences des autres et ne doit sa survie qu’à son intelligence qu’il aiguise avec des livres. Hédoniste aimant le pouvoir et ses plaisirs, il navigue dans un monde rendu complexe par les regards négatifs portés sur son handicap. Contrairement aux autres récits de fantasy qui décrivent une situation du point de vue des protagonistes, Le Trône de fer donne également la perception des antagonistes. Cela donne une histoire complexe, dans laquelle de bonnes choses peuvent avoir de mauvaises conséquences et une infortune peut être une occasion de croissance psychologique.

Le récit décrit les techniques de contestation utilisées par les femmes pour lutter contre la violence dont elles sont l’objet. Catelyn Stark s’appuie sur le pouvoir du maternel, Cersei Lannister sur celui de la beauté et Daenerys sur celui de l’amour pour pousser leurs pions. Aucune n’affronte directement le pouvoir des hommes et pourtant toutes le contestent.

« J’aime tuer mes personnages » (G. R. R. Martin)

Game of Thrones est aussi un univers guerrier où la durée de vie des personnages est assez limitée. Les chercheurs Benjamin Brown et Reidar Lystad ont travaillé sur les 67 premiers épisodes de la série : avant de voir la fin, ils ont tenté de prédire quels personnages allaient survivre. Pour ce faire, ils ont sélectionné 330 personnages en fonction de divers critères (statut, métier, religion, allégeance…) et ont soigneusement noté le moment de leur mort. Comme on peut s’y attendre, les chiffres reflètent la brutalité du monde de Game of Thrones : 63% des décès sont dus à des agressions, 24,4% à la guerre et 12,6% à des causes naturelles. La médiane de la durée de vie à l’écran est de 28 heures et 44 minutes. À la fin de la septième saison, 56,4 % des personnages sont morts. Les chiffres montrent aussi que, comme dans le monde réel, les riches vivent en moyenne plus longtemps que les autres. Les chercheurs ont aussi noté des facteurs de protection : un personnage important pour l’histoire aura tendance à vivre plus longtemps. Changer d’allégeance, comme Jon Snow passant de la maison Stark à la Garde de Nuit, augmente aussi l’espérance de vie. C’est le cas, dans une moindre mesure, des deux sœurs Stark, issues d’une grande famille et tissant des alliances avec d’autres maisons ou d’autres individus.

Mais pourquoi donc étudier un univers fictif comme Game of Thrones? Selon William Clapton et Laura Shepherd, « la culture populaire est le monde réel ». En dépit de ses dragons, de son Mur ou de ses géants, le monde de Game of Thrones n’est en effet pas si différent du nôtre : profondément ancré dans une culture, la nôtre, il nous offre un miroir saisissant de notre propre monde.

Les éléments de Game of Thrones condensent ainsi des anxiétés au niveau individuel et collectif en mêlant adroitement les dangers de la réalité interne et ceux de la réalité externe.

Pourquoi nous aimons Game of Thrones

Si la série a atteint un vaste public, c’est sans doute parce qu’elle reflète des situations dans lesquelles chacun peut se (re)connaître. Le monde de Game of Thrones semble éloigné du nôtre, pourtant on y reconnaît des passions et des histoires banalement humaines : les personnages, par leur volonté de puissance, leur besoin de sécurité ou encore par la puissance de leurs désirs sexuels ne sont pas si différents de nous. Game of Thrones éloigne et transforme notre réalité psychique quotidienne, ce qui nous permet de nous l’approprier plus facilement. Nous nous reconnaissons en quelque chose qui nous est étranger, ce qui nous permet aussi de mieux nous comprendre. Ce miroir contribue à notre développement personnel parce qu’il élargit les frontières de notre moi (self en anglais) : grâce à la fiction, ce qui, en nous, était méconnu devient alors mieux connu.

Comme de nombreux univers d’heroic fantasy, Game of Thrones charrie aussi plusieurs archétypes, c’est-à-dire des figures symboliques contenant des modèles qui influencent, consciemment ou non, nos comportements. Les archétypes comme Daenerys Targaryen et Cersei Lannister représentent chacune la bonne et la mauvaise mère : la première fait preuve de sollicitude, d’empathie et de sagesse, tandis que la seconde demeure secrète et froide. Toutes deux réalisent l’union des contraires : Daenerys sait faire preuve de cruauté parfois exacerbée et Cersei est touchée par la mort de son premier fils ou le destin de Myrcella.

Mais les personnages ne sont pas les seules entités à être archétypiques : l’hiver de Westeros, par exemple, n’est pas une simple saison. Il pourrait être interprété comme une représentation du froid nucléaire et des catastrophes climatiques. Le Mur pourrait, quant à lui, figurer les digues psychiques que l’on met consciemment ou non de côté pour pouvoir vivre normalement. Les éléments de Game of Thrones condensent ainsi des anxiétés au niveau individuel et collectif en mêlant adroitement les dangers de la réalité interne et ceux de la réalité externe.

Le spectateur est mis au contact de ces différentes figures archétypiques. Pour rappel, les archétypes sont des figures de notre passé collectif qui contient la mémoire inconsciente des événements que l’humanité a vécus dans le passé. Pour Carl Gustav Jung qui a développé cette notion, les personnes se comportent dans le monde en fonction de l’influence d’un archétype dans leur psychisme. Les archétypes façonnent l’expérience qu’une personne a du monde. De ce fait, nous avons tendance à percevoir et comprendre le monde extérieur en fonction des archétypes qui nous semblent importants. Par exemple, nous allons projeter les éléments de l’archétype maternel sur les personnes avec lesquelles nous interagissons et plus particulièrement sur notre mère. La présence des archétypes dans la culture populaire comme Game of Thrones donne donc à chacun l’occasion de repérer ceux qui exercent une influence particulière. Les archétypes de Game of Thrones sont plus complexes que ceux des contes de fées dans lesquels la sorcière est classiquement méchante et le héros a le cœur pur : Ned Stark, avec ses hautes valeurs morales, pourrait incarner l’archétype du chevalier – sans lui-même en être un. Mais, en agissant comme si tout le monde avait ses qualités, il devient candide et se met en danger lui-même ainsi que sa famille. Comme les choses ne sont jamais tout à fait bonnes ou mauvaises, chacun peut se reconnaître dans un archétype particulier, le sentir vivre en soi en suivant ses aventures et mieux comprendre ses propres aspirations, contradictions et impasses.

Il faudrait un dictionnaire entier pour décrire tous les archétypes de Game of Thrones, mais il est intéressant d’en décrire quelques-uns.

Chacun peut se reconnaître dans un archétype particulier, le sentir vivre en soi en suivant ses aventures et mieux comprendre ses propres aspirations, contradictions et impasses.

Le Mur

Le Mur, figure importante de Game of Thrones, limite le monde « civilisé » de « la barbarie ». Censé protéger des invasions venues du nord, il est une représentation des mécanismes utilisés pour mettre à l’écart et gérer les contenus psychiques qui seraient source d’anxiété s’ils devenaient conscients. Cependant, cette mise à l’écart n’est efficace et possible qu’un temps : les éléments indésirables ne peuvent être occultés pendant plusieurs générations. Ils s’inscrivent alors dans la vie psychique des personnes sous la forme des bien connus « secrets de famille ». Game of Thrones montre ce qui peut se passer lorsque les murs cèdent brutalement. L’hiver psychique envahit tout le fonctionnement de la personne qui risque de se retrouver mentalement gelée.

Le chevalier

La figure du chevalier est récurrente dans Game of Thrones. Évoquant la loyauté absolue envers un idéal et le refus de la corruption, le chevalier est maître de sa monture, que celle-ci soit ses instincts ou sa destinée. Dans sa valence positive, il se rapproche du saint homme qui poursuit son idéal sans se perdre dans la recherche de puissance et autres quêtes vaines. Il est celui sur lequel on peut se reposer ou que l’on cherche à devenir. Lorsque le chevalier perd ses valeurs morales, sa figure se dégrade en mercenaire ou homme de main; il devient alors un sadique qui met son pouvoir, sa force et sa dextérité au service de son seul plaisir ou bénéfice. Les deux frères Clegane présentent chacun une facette différente de cet archétype et servent à le démonter. Ainsi, Gregor, qui a le statut de chevalier, est en fait dépeint comme une brute sanguinaire et sans morale, tandis que Sandor, qui ne détient pas ce statut, fait preuve d’intégrité en osant protéger Sansa Stark contre Joffrey Lannister. Les qualités chevaleresques ne sont donc pas définies par l’adoubement : en témoigne également Eddard Stark, figure positive et vertueuse, qui n’est pas chevalier.

Le trône

Culturellement, le trône est la manifestation glorieuse de la puissance divine ou humaine. Il est l’objet dans lequel convergent des forces du cosmos, puisque celui qui se tient sur un trône tire souvent sa force et son autorité de son (ou ses) propre(s) dieu(x). Dans Game of Thrones, le trône de fer rappelle la brutalité du pouvoir. Il n’est pas richement décoré et ne présente ni pierres ni métaux précieux : il est constitué de l’acier des armes des vaincus forgé par le feu du grand dragon Balerion. Dans les romans, le trône est un immense édifice de trois mètres de haut. Dans la série, il est de taille beaucoup plus réduite mais placé sur une estrade pour signifier l’élévation de celui ou de celle qui l’occupe. Situé au-dessus du commun, ce pont entre ciel et terre appelle celui ou celle qui l’occupe à unir les contraires.

Le héros

Si Game of Thrones présente des caractères communs avec les contes classiques, il est aussi typiquement un récit de la post-modernité. Comme dit plus haut, il ne présente pas de héros principal mais une galerie de personnages reflétant différents aspects de notre self : il est ainsi difficile de tirer une ligne claire entre le bien et le mal. Daenerys incarne le héros par son courage et par sa volonté. Elle entame, presque malgré elle, un voyage fait d’épreuves et de transformations. Le rite funéraire de son mari lui permet de renaître comme l’Imbrûlée. Elle entre alors dans un monde d’incertitudes et de dangers et conquiert le pouvoir par la force ou de l’empathie, ce qui lui permet de gagner les cœurs et les âmes. Elle protège les femmes vaincues de la violence de ses Dothrakis. À Astapor, elle laisse aux Immaculés, craints et méprisés, le choix de la suivre ou de la quitter. Elle se lance dans une campagne de libération des cités de la baie des Serfs, mais son idéalisme est entaché par la violence, car elle ordonne à son dragon Drogon d’attaquer la ville. Par la suite, Daenerys se montre souvent pleine de sollicitude pour les faibles et les parias, mais sans pitié, voire cruelle, envers les puissants.

L’immense galerie de personnages de Game of Thrones est aussi une table d’orientation de la violence et de ses effets. Les héros présentent de bonnes compétences en termes de résolution de problèmes, mais leurs décisions ont parfois des conséquences dramatiques. Eddard Stark paie de sa vie le fait d’avoir mal évalué la situation politique de Port-Réal et plonge sa famille dans un tourbillon de violence qui les éparpille aux quatre coins de Westeros. L’obéissance aveugle à des normes n’est pas un facteur de protection comme le montre la trajectoire de Sansa Stark : en suivant le chemin classique d’une femme de son rang épousant un prince, elle se met gravement en danger. Otage des fantasmes paternalistes et de l’ordre patriarcal imposé, elle mettra plusieurs années à s’en dégager.

En étudiant les relations interpersonnelles et la violence dans Game of Thrones, la psychologue Wind Goodfriend remarque que la réussite de certains personnages réside dans la capacité à se contrôler, c’est-à-dire à gérer leurs émotions, soumettre leurs comportements à la pensée et les ordonner en fonction de buts. Aerys II Targaryen est appelé « le Roi fou » du fait de ses crises subites de violence. Cette incapacité à contrôler son comportement face à un élément stressant ou à une frustration et cette propension à y répondre par de la violence évoquent le trouble explosif intermittent. De son côté, Ramsay Bolton fait penser à un aspect encore plus grave du spectre des troubles du contrôle des impulsions. Chez lui, la violence n’est pas un manque de contrôle. Elle est sciemment recherchée pour le plaisir que cela lui apporte. Son mépris de la personne humaine, son non-respect des droits et intérêts d’autrui, la manipulation et la tromperie qui le caractérisent en font un bon candidat pour un diagnostic de trouble de la personnalité antisociale.

Dans la noirceur du monde de Game of Thrones, quelques rayons de lumière scintillent; il s’agit de personnages qui survivent tout en déployant des qualités humaines remarquables : Jon Snow, héros archétypique de la saga, est plutôt charismatique, fiable et inspirant. Il sait quand il faut obéir mais aussi quand l’autorité doit être remise en cause. Il s’enrôle dans la Garde de Nuit et refuse un temps de ployer le genou devant Daenerys Targaryen, soutenant que le Nord doit rester libre.

Un des intérêts de la série est d’explorer ce qu’il peut y avoir d’héroïque même chez les antagonistes. Le cynique Sandor Clegane a souffert enfant des sévices psychologiques et physiques infligés par son grand frère Gregor. D’abord garde du corps sans état d’âme du jeune roi Joffrey, il n’a que mépris pour les chevaliers et leurs engagements. Au terme d’une relation compliquée avec Arya Stark, il dépasse sa phobie du feu et s’engage personnellement pour une cause qu’il estime juste.

Malgré leurs épreuves, voire leurs traumatismes, certains personnages ont donc la force de caractère suffisante pour dépasser leurs peurs et aider les autres. Leur héroïsme et leur courage peuvent avoir des répercussions positives sur les spectateurs parce qu’ils servent de modèles identificatoires et redonnent espoir à ceux en difficulté.

Yann Leroux est psychologue et passionné de culture geek. Il tient un blog « Psy & Geek » mettant en lien ses deux passions.

Extrait du livre « Le Trône de fer et les sciences » publié sous la direction de Jean-Sébastien Steyer aux éditions Belin.

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