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 Galerie de portraits des partis nationalistes européens
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Le scrutin européen est marqué par une poussée des nationalismes dans de nombreux pays de l'Union : le Front national arrive en tête en France, l'Ukip devance les conservateurs au Royaume-Uni et le parti populaire danois totalise 23% des voix, devant les socio-démocrates.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Le Front national est, dimanche 25 mai, arrivé largement en tête au scrution des élections européennes totalisant plus de 25% des suffrages exprimés. Ailleurs en Europe, les partis nationalistes réalisent de bons scores comme en Angleterre où le Ukip devance même les conservateurs de Cameron. Que défendent aujourd'hui ces partis ? Quelles sont leurs valeurs ?

Vincent Tournier : Il n’existe pas une extrême-droite européenne, en tout cas pas jusqu’à aujourd’hui. Parler de l’extrême-droite en Europe est une facilité de langage. En fait, les partis les plus européanisés sont plutôt les partis de gouvernement. Il n’y a pas une "internationale de l’extrême droite" car les partis sont très différents les uns des autres ; ils ne présentent pas les mêmes caractéristiques, ni sur le plan de leur organisation ni sur le plan de leur idéologie. L’extrême droite recouvre un large spectre qui va de mouvements très radicaux, inquiétants même, comme le Jobbik hongrois ou le Parti national Slovaque, jusqu’aux mouvements indépendantistes comme la Ligue du Nord (Italie) ou le Vlaams Belang (Belgique) en passant par toute une constellation de partis souverainistes. 

>> A lire également : Européennes 2014 : le Front national veut "créer une dynamique pour 2017", la crise couve à l'UMP, le PS "en quête d'identité"

Du coup, les inquiétudes autour de la montée de l’extrême-droite en Europe ont quelque chose d’assez artificiel. C’est d’ailleurs un point sur lequel il faudra un jour s’interroger : pourquoi laisser entendre qu’une sorte de péril fasciste viendrait menacer les démocraties européennes ? L’argument du péril fasciste (ou populiste) est bien commode : il permet de délégitimer à peu de frais les critiques sur l’Europe. Mais crier au loup avant l’heure peut avoir un effet contre-productif sur les électeurs, lesquels ont parfois du mal à comprendre certaines réactions. Par exemple, la proposition visant à sortir de l’euro a longtemps été considérée comme un marqueur de l’extrémisme, ce qui n’a aucun sens. On peut évidemment être opposé à une telle proposition, mais l’euro n’est jamais qu’une création récente dans l’histoire européenne, et les monnaies nationales n’ont jamais empêché le règne de la démocratie.

Naturellement, certains mouvements extrémistes représentent un réel danger comme l’ont montré les meurtres d’Anders Behring Breivik en Norvège ou l’équipée sanglante de ce couple de néonazis allemands entre 2000 et 2006, dont le procès s’est tenu récemment. Mais encore faut-il éviter de tout confondre. Lorsqu’un attentat est commis au nom de l’islam, on rappelle volontiers que l’islam n’est pas l’islamisme. De même, les partis communistes ou trotskistes ne sont pas mis en cause pour les attentats commis par Action directe ou par la Fraction armée rouge. Le véritable danger se trouve donc dans les mouvements qui prônent l’action et l’agitation, et qui sont fascinés par la violence. La droite extrémiste en Europe ne correspond que marginalement à ce cas de figure.

Il est vrai que des partis comme l'UKIP britannique et le NPD allemand n'ont pas grand-chose à voir, ni les mêmes aspirations. Quels sont les points les plus importants, en termes de scission ?

L’extrême droite anglaise et l’extrême droite allemande ont effectivement peu de points en commun. Leurs différences trouvent leur origine dans l’histoire de ces pays. On pourrait dire que la tradition civique qui prévaut en Angleterre a également pesé sur la physionomie de son extrême-droite. Car autant le NPD est un parti très radical, autant l’UKIP est plus proche de ce qu’on appellerait en France un parti souverainiste. C’est un parti de sensibilité libérale sur le plan économique, qui prône la souveraineté du parlement national et vante les mérites de la décentralisation. Il siège dans le même groupe parlementaire que le parti de Philippe de Villiers. Par contre, il refuse de côtoyer le Front national, qu’il juge infréquentable.

La difficulté est donc que, quand on parle d’extrémisme, on englobe des réalités très différentes. Il existe certainement un noyau idéologique commun autour de l’identité nationale, doublée d’une hostilité envers l’immigration et les étrangers. Mais encore faut-il souligner que les choses peuvent être complexes. Tout d’abord, le nationalisme n’est pas en soi un signe d’extrémisme. Il peut exister différents nationalismes. L’historien Michel Winock disait qu’il y a un nationalisme fermé et un nationalisme ouvert. Mais on pourrait ajouter qu’il y a aussi des degrés dans l’ouverture ou la fermeture. Certaines propositions relatives à la protection de la population nationale ou de l’économie nationale peuvent se justifier. Donc, rejeter en bloc le nationalisme au prétexte que les guerres ont été faites en son nom, c’est aussi absurde que rejeter par principe l’intégration européenne : ni la nation, ni l’Europe ne sont des principes bons ou mauvais en soi, tout dépend de ce qu’on en fait.

En outre, ce qui différencie les partis d’extrême-droite, c’est aussi qu’à partir de ce noyau dur qu’est le nationalisme, des scénarios très différents viennent s’agencer selon les pays. Par exemple, certains partis vont inclure un antisémitisme virulent (songeons par exemple à la mouvance d’Alain Soral et de Dieudonné en France) alors que d’autres vont au contraire récuser radicalement cette perspective. C’est le cas du Parti de la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, parti qui a aussi pour caractéristique d’être très favorable à la cause des femmes et aux homosexuels, deux dimensions qui ont manifestement peu de lien avec le fascisme historique.

Dans quelle mesure ces différences  pourraient-elles remettre en cause le principe d'une alliance anti-européenne au Parlement ? La somme de différents courants nationalistes peut-elle vraiment se fédérer ?

Jusqu’à présent, les mouvements de droite extrémiste ou radicale n’ont jamais réussi à s’entendre et à constituer une force commune. Ils n’ont jamais été en mesure de former un groupe parlementaire à Strasbourg. Encore aujourd’hui, ils sont très divisés. On peut par exemple remarquer qu’ils n’ont pas été capables de présenter un candidat à la présidence de la Commission européenne, alors que toutes les autres sensibilités politiques ont leur candidat.

Dans le Parlement sortant, une partie des mouvements de droite radicale siégeait dans le groupe Europe, liberté, démocratie, alors que les autres se sont retrouvés chez les non inscrits (c’était le cas des députés du Front national).

Cette situation peut-elle changer cette année ? L’extrême-droite va-t-elle créer un groupe ? C’est tout à fait possible car les incitations sont très importantes : avoir un groupe permet d’accéder à de nombreuses facilités, de recevoir des financements, d’être mieux intégrés dans le travail législatif, d’avoir une meilleure visibilité médiatique. Le FN peut envisager d’avoir une vingtaine de députés. Mais pour former un groupe parlementaire, il faut fédérer des députés de plusieurs pays, ce qui oblige à passer des alliances. Une alliance est aujourd’hui envisageable avec le PVV de Geert Wilders en raison des transformations du FN. Cette inflexion du FN résulte elle-même d’une évolution qui me semble très importante et qui pourrait transformer à terme le paysage de l’extrême-droite : c’est l’émergence de ce que j’appellerai une xénophobie libertaire. Je veux dire par là que, jusqu’à présent, la xénophobie se rencontrait essentiellement chez des gens conservateurs, attachés aux valeurs traditionnelles d’ordre et d’autorité. Aujourd’hui, la situation est assez différente. L’hostilité envers les étrangers (ou envers leurs valeurs, notamment religieuses) est aussi revendiquée au nom de la préservation d’un certain art de vivre : il s’agit de s’opposer aux étrangers parce qu’ils sont jugés menaçants pour la liberté des mœurs, pour les grands acquis libéraux relatifs au divorce, à l’homosexualité, à l’avortement, etc. Le parti de Wilders était déjà précurseur sur ce terrain mais le Front national est en train de le rejoindre : songeons à la façon dont le nouveau FN met en avant la laïcité et la République, autant de thèmes qui étaient inconcevables dans l’extrême droite traditionnelle. D’autres partis feront-ils de même ?

Concrètement, quelles seront les conséquences de cette poussée des nationalismes pour l'Europe ? Faut-il craindre un véritablement éclatement du noyau européen ?

L’extrême droite a effectivement augmenté ses scores dans plusieurs pays, il s'agit d'un résultat à la fois important et secondaire. Important car il confirme la défiance qui règne à l’égard des partis de gouvernement. Mais secondaire aussi parce que, d’une certaine façon, les succès de la droite europhobe sont inscrits dans la logique même des élections européennes. En effet, pour beaucoup d’électeurs, ces élections ne servent à rien, ce qui n’est pas totalement faux. Donc, ils sont incités soit à s’abstenir, soit à voter pour des partis hors système. C’est pourquoi les européennes ont souvent été favorables à l’extrême droite. Rappelons par exemple que c’est aux élections européennes de 1984 que le Front national a fait sa première grande percée électorale. 

Mais ce succès électoral n’aura que peu d’impact. La gestion de l’Europe n’en sera aucunement affectée. Au contraire, les partis de gouvernement sont encore plus incités à se rapprocher et à prolonger la cogestion qu’ils assurent de facto en Europe. Cette situation est également très confortable pour les partis d’extrême droite car ils peuvent se présenter comme des vainqueurs tout en étant dispensés d’avoir à assumer la gestion du pouvoir en temps de crise. En France, le FN bénéficie ainsi d’une situation très favorable pour préparer le scrutin présidentiel de 2017.

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